25-26 avril, 1994.


Une salle cosy et intimiste. Ambiance Ouest américain aux couleurs chaudes. Presque « chilling », dirait-on avec les mots de l'époque. Les Eagles ont voulu leur retour sans prétention, épuré d'effets inutiles. Des places limitées, mais une proximité confortable pour les détenteurs du ticket magique. Il n'y a que des premières loges ce soir ...
On prend place dans ce grand piano-bar, encore baigné de lumière et d'effervescence docile, et on attend sagement que la scène prenne le relais de l'action.



For the record, we never broke up. We just took a 14 year vacation



Une voix d'outre-tombe. La phrase est lâchée dans la salle impatiente. Une douce ironie qui prélude le début du show. Il n'en faut pas plus pour réjouir la foule, car elle sent que le temps des retrouvailles est arrivé. Les Eagles sont là putain, c'est sûr. Cette fois c'est bon, on y est, ils ne peuvent plus éluder la question d'un éternel retour.
Car ces mots d'apparence anodine viennent rompre le silence. Ils mettent fin à 15 piges de disette. 15 années qui ont suivi le décrochage en plein vol du groupe. 15 années ou chacun s'est essayé à l'aventure solitaire, avec plus ou moins de succès. Mais ce soir les vacances sont finies, les bêtises en solo aussi.
Les Eagles s'approche du public, de la plus normale des manières, comme ils l'ont toujours fait. Ils prennent place sur les tabourets qui surplombent la scène, tiennent leur guitare fièrement dans les bras et regardent enfin les yeux dans les yeux, ce monde qui les attendait.


Get Over It entame la reprise tant espérée. Un single sorti pour l'occasion, mid-tempo enérgique et efficace. La chanson parle d'un type qui ne cesse de se plaindre, qui geint sans cesse. Don Henley lui hurle de passer à autre chose. Ça sonnerait presque comme un pied de nez compte tenu des circonstances. Taquins jusqu'au bout ces Eagles. Mais comme ils aiment définitivement jouer, ils édulcorent les couplets pour le morceau suivant. Love Will Keep Us Alive, entonnée par Timothy B. Schmit, représente la ballade country so Eagles. Elle sonnerait niaise sortie d'une autre bouche, mais ils peuvent chanter tous les bons sentiments du monde nos aigles, ils transforment l'émotion en élégance. Au tour de Glenn Frey de nous raconter son histoire. L'aventure d'une nuit et des regrets qui s'en suivirent. Un hypothétique retour (ndlr : décidément ...) auprès d'une femme qui nourrit des espoirs, mais qui restera éternellement The Girl From Yesterday.
L'atmosphère monte d'un échelon dans le mélancolique, Learn Be Still, plus solennel, avise l'homme de prendre de la hauteur, de se montrer plus distant des choses. On prend bonne note du conseil. Ils ont l'art d'envelopper leur musique d'une aura magnétique ces gars, on les suivraient au bout du monde ...
Tequila Sunrise ralentit la route. Une halte de coté, le temps de siroter un cocktail et d'admirer le soleil. Petit interlude sucré qui ravit les cœurs.
Une sonorité latine, on croirait entendre Paco de Lucia. Le toucher subtil de Don Felder concentre l'attention de tous. Quelle est belle cette intro. Les Eagles lorgneraient vers le flamenco ? Ils sont tellement à l'aise avec leurs manches, ils peuvent tout jouer, tout improviser, la grâce est inhérente à leurs talents. Soudain, des accords connus retentissent, des percussions rejoignent les cordes, Mais c'est bien sûr ! Hotel California ladies & gentlemen. Cette relecture supplante sans efforts le tube radio. À partir de ce moment, il sera impossible pour quiconque entendra cette version de réécouter l'original. J'en parie mon chapeau !
Les places changent. Don Henley s'en va derrière les fûts, toujours en chantant, et Glenn Frey va tâter les touches du piano. Wasted Time racontent aussi les regrets, quand on regarde le passé en se demandant si notre vie d'alors avait du sens. Que reste-il aujourd'hui ?


On n'avait pas encore entendu la voix atypique de Joe Walsh. Cette bouille facétieuse tranche avec le flegme apparent des autres gars. Mais qu'importe le physique, seule la musique parle, et elle, elle en dit encore des jolies choses sur Pretty Maids All In A Row. Autre célèbre Hit sorti sur l'album majeur du groupe en 1976.
I Can't Tell You Why, dernier succés avant la séparation de 1980, évoque les non-dits, les ressentiments qui apparaissent dans la vie d'un couple et précipitent la chute. La musique se fait ici plus grave. Étant sortie d'une période crépusculaire pour le groupe, ceci explique sans doute cela.
On quitte la Californie et sa quiétude. La ville debout nous apparaît. Imposante et implacable. New York Minute est une évasion à l'intérieur même du concert. Un interlude, le temps d'aller explorer sur la côte Est un autre répertoire. Celui de Don Henley en l'occurrence, qui offre ici sa composition au groupe. L'air est différent, majestueux, mais d'une telle évidence ce soir.
The Last Resort refermait la porte d'Hotel Calfornia il y a 20 ans, il est restitué ici sans perdre une once de la puissance originelle. Une monté crescendo qui parle d'un homme qui finit par détruire ce qu'il a tant chéri. Pas de craintes pour ce soir, ils sont plus en formes que jamais nos cow-boys, mieux même, ils subliment les plus beaux chapitres de leur carrière. C'est comme s'ils ne s'étaient jamais séparés. Le langage de la musique se retrouve dès le premier accord, un quart de siècle et pourtant, une note jouée et ils ressuscitent la légende. Le feu sacré n'avait besoin que d'une simple étincelle pour se raviver, et ce soir, il n'a jamais aussi bien rougeoyé, illuminant le public d'une prestation intense et passionnée. Du coup ils peuvent se permettre d'envoyer pour les prochaines pistes. Take it Easy, In The City et Life In The Fast Lane sont expédiés à la chaîne. Les gars sont en roue libre et chauffent la piste une dernière fois, mais bien comme il faut.
Néanmoins, cette réunion méritait un au revoir à la hauteur de l'événement. Les Eagles vont aller puiser à la source de leur identité. Un Desperado interprété avec classe et dignité. La complainte du cow-boy qui raccroche le chapeau après une dure journée de labeur. Le sourire en coin et la satisfaction d'avoir fait le job.


Malgré la réussite totale de concert, et de la tournée qui a suivie. Les Eagles n'ont jamais vraiment retrouvé la fibre d'antan. Oh ils ont essayés de se rabibocher, un coup par-ci, un coup par-là, mais ils n'avaient plus les mots pour se parler. Tout fut déclamé lors de ces soirées, et lorsqu'on a plus rien à se dire, mieux vaut s'épargner de fâcheux moments. En témoigne cet insipide Long Road out to Heaven sorti en 2007.


Récemment, Glenn Frey nous a quitté, entérinant une fois pour doute le destin des Eagles. J'aime à croire que malgré tout, dans un autre monde, il a retrouvé The Girl From Yesterday, et a remis le couvert avec elle.

Liverbird
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le 19 mai 2016

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