Il est fort quand même le Léo: il arrive encore à sortir des albums, même plus de 20 ans après sa mort... Mais celui-ci est encore plus fantôme que "Métamec", c'est dire. Ça a été longtemps un document précieux pour son fils Mathieu (il l'a découvert le soir de sa mort... N'importe qui aurait eu les larmes aux yeux avec un tel trésor intervenant à un tel moment) ; il a enfin décidé de le partager généreusement. Ce qui fait poser deux questions essentielles : il en a encore beaucoup des albums maquettés le vieux Lion ? Et pourquoi personne ne donne son avis sur ce disque ?
J'aimerais énormément connaitre l'avis des personnes ayant écoutés cet album (surtout que, pour le moment, je suis le seul à l'avoir noté et à le critiquer). Parce que cet album, il est pour TOI. Je parle à n'importe qui... A toi, à moi, à nous, à vous. La socialisation de la conjugaison, comme il le souligne d'ailleurs... Je sais d'ores et déjà que j'écouterai ce disque très régulièrement, avec le livret sous les yeux pour n'en pas louper une miette. Cette œuvre est littéralement hors-normes, impossible de tout piger ou tout exploré du premier coup dans cette longue déambulation au sein du Soi. Fraternel, bouillonnant d'amour, semblant sans ligne directrice et pourtant totalement maitrisé, la voix de Ferré devient une pirogue sur des pensées. Des mots reviennent: Créteil, Je T'aime, les tramways bleus, les chevaux, Je Parle à N'Importe Qui... Des passages reviennent, toujours pour mieux abolir les frontières, toujours pour plus s'approcher du mot Liberté et le hisser dans un piédestal artistique absolu. Seul avec Léo, et finalement, on parle avec lui, sans échanger de mots. Parce qu'il touche au plus profond, il exhorte, et puis il met en musique. Les musiques... Tantôt même pas séparées, tantôt oui (autant dire que j'aime quand elles ne le sont pas), il semble parfois réellement emporté dans son propre Imaginaire, et oublier qu'il est en train d'enregistrer, comme son réinterprétation de "L’Espoir". D'ailleurs, pour le titre '"Sur la mer", il reprend la mélodie du "Vin de l'Assassin" ! Il n'y a pas besoin d'être musicien pour savoir que les thèmes, rarement diversifiés, sont avant-tout des atmosphères ; mais elles marchent à chaque fois, et certains solos de piano émeuvent durablement. Elles déambulent, fantômes et bien vivantes, construites et hors de contrôle, portant à bout de bras un texte totalement anarchique et fleuve comme nos âmes. Profondément humain, à ressentir profondément. Bien sûr, il faut aimer Ferré, et déjà bien connaitre son œuvre, pour comprendre où il veut en venir (et je maintiens qu'il faut être un Marginal pour aimer l'ensemble du travail de Ferré, ses partis pris etc.). Bien sûr, la qualité sonore (en particuliers les deux premiers titres) peuvent laisser à désirer. Mais l'album a une raison d'être bien plus particulière: celle de Communiquer l'Incommunicable.
Parmi les parties les plus bouleversantes, on peut noter l'ouverture "Dans le désastre de la Fourmilière", avec un crescendo magnifique, "J'habite à Ostende", "Chanter l'Enfer" (avec un clin d’œil curieux à Joan Baez...) ou "Demain ? Nothing !", pièce monumentale ayant tout simplement l'ambition de résumer l'esprit No Future. Mais, de tous, c'est le dernier qui doit retenir le plus l'attention, comme sur "Métamec" : "Écoute !". Je disais, sur l'album "Métamec", qu''Opus X" était le titre le plus mystérieux de la chanson française, et je le maintiens. Par contre, ce n'est plus le titre le plus fantôme de l’œuvre de Ferré. "Écoute !" atteint un titre de mysticisme assez exceptionnel : il l'a enregistré à 1 h 30 du matin, le 1er Janvier 1978. Déjà, il dit "de toutes façons, je vous aime bien...", comme s'il savait que ce document sortirait un jour sur disque. Ensuite, il semble dicté, par dessus "O Vos Omnes" de Da Victoria: une version qui n'existe pas sur YouTube, une version qu'il n'a pas utilisé sur scène, une version beaucoup plus effrayante et pénétrante que celle qu'on connait tous. Et enfin, le texte, mêlé au contexte... Frissons garantis pour tous ceux qui ont connu un évènement particuliers en 1978, surtout ceux qui aiment Ferré. C'est bien simple, en une phrase: c'est une chanson d'outre-tombe, qui le rend immortel. Ni plus ni moins. Et personnellement, ça me secoue encore plus fort, surtout la nuit.
Je ne peux pas recommander ce disque à ceux qui ne sont pas passionnés de Léo Ferré, il est destiné à ceux qui, comme moi, vont jusqu'à acheter "Les Chants de la Fureur" malgré son prix et son poids. Mais pour tous ceux qui aiment les disques "qui ne devaient pas voir le jour", tous ceux qui veulent trouver quelque chose de complètement inédit musicalement et qui va au-delà de toutes les limites, tous ceux qui se sentent seuls et incompris et vaincus... Cet album est là pour vous. Comme un ami qui sera éternellement constellé, et dont la richesse est juste inqualifiable.

Billy98
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le 14 mai 2018

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Billy98

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