Entre musique improvisée et interprétée, contemporaine ou jazz, se mêlant à des créations théâtrales, cinématographiques, chorégraphiées ou à des arts plastiques, la harpiste française Hélène Breschand envisage son instrument au sein d’un art total. Incontournable dans son registre, elle s’est notamment produite au Grand Palais, en duo avec Jean-François Pauvros, et au Palais de Tokyo en 2006 au sein de l'exigeant Ensemble Laborintus, lors d'un hommage à Luc Ferrari. Avec un parcours aussi riche qu’impressionnant, son second album solo vient de sortir, huit ans après son brillant et premier essai Le Goût du Sel. Le label DAC Records (D’Autres Cordes) fondé par Franck Vigroux, se charge une nouvelle fois de cette sortie. Après The Din of Eons du duo Transistor (Franck Vigroux et Ben Miller), décharge noise à la saveur indus et punk, le label lâche un nouvel uppercut avec Les Incarnés.


Qu'elles soient vocales, électriques ou acoustiques, pincées, frottées ou filtrées, les cordes d'Hélène Breschand déroutent. De par son instrument rarement autant mis en avant et de par les fréquences empruntées. Elle évolue sur une corde tendue et prête à rompre, équilibriste au-dessus d'un précipice. Aigus, graves et médiums avancent avec une assurance téméraire, alors que l’auditeur, lui, hésite, en manque de repères et craignant une chute vers des notes encore plus froides et déstabilisantes.


Constitué d'une seule et longue piste de 37 minutes (en deux parties pour le vinyle), Les Incarnés dégage une énergie brute et instinctive. Celle de la voix immatérielle et surnaturelle de la harpiste, dans les premières minutes de l'album, et celle de ses compositions, aventureuses et en course perpétuelle vers l'avant.


Cette voix qui se mue en lamentation, telle une présence fantomatique qui s'éveillerait, hésitante, en quête d'un corps où se loger. L’ectoplasme de la jeune fille de la froide (et superbe) illustration, peut-être, prenant conscience de son existence physique échue. Des cordes de ses harpes, Breschand lui crée un réceptacle. Elle cisaille dans les aigus et les médiums, telle une sculptrice qui taillerait dans le bronze son modèle. Lentement pour commencer, pour esquisser les contours et réveiller les formes, puis de façon plus frénétique pour insuffler détails et vie dans sa création. Les graves, en arrière-plan, tressaillent et résonnent, cristallisant cet acte divin. Dans un fracas sourd, son Frankenstein s’éveille alors.


Après avoir tâtonné le cadre des harpes, s'extirpant, la voix refait surface, plus humaine cette fois, et exhale dans une prière face à la vie. La suite sera une lente fuite en avant, en quête d’espace et de lumière. Quittant progressivement cette obscurité familière, elle gravit les marches, libérée, dans une plainte s’élevant des ténèbres qui l’ont vue naître. Bien après que le vinyle se soit terminé, son chant retentit encore dans un écho qui refuse de s'éteindre et continue de nous hanter, dans la voie infinie de l’aiguille dans son sillon.


Sur le fil, en flirtant avec la frontière du vivant, Hélène Breschand nous happe dans son univers et fascine. Sur son autel de harpes, Les Incarnés est une invitation pour habiter ses cordes et les faire vibrer dans l’éternel.


http://www.swqw.fr/chroniques/experimental-modern-classical/hélène-breschand-les-incarnés.html

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le 11 sept. 2015

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