Les attentes que l’on projette sur un disque ont souvent de drôles répercussions sur notre appréciation.


Comme beaucoup de monde, je suppose, j’ai connu Stéphanie Sokolinski (alias Soko) grâce à son image et ses déclarations plutôt que par sa musique, notamment à cause de ses interviews. Autiste, maladroite et pourtant cocasse, sincère et attachante. Elle assume tout, que ce soit sa grande prise d’indépendance (elle sort peu de musique et n’hésite pas à tourner dans des films d’auteurs qui n’intéressent pas grand monde), sa démarche de rester naïve à tout prix pour ne pas sacrifier son d’âme d’enfant et même sa bisexualité. En fait, Soko a tout d’une héroïne sortie tout droit d’un film de Gregg Araki.


Bref, tout cela ressemble plus à un article de Voici qu’à une chronique musicale. Mais c’est parce qu’on a tendance à sous-estimer les détails extra-musicaux lorsqu’on maintient notre attention sur une musique. Toutes ces précisions embellissent ou nuisent notre regard sur un album, ce qui fut le cas pour moi-même.


Après un premier disque de folk intimiste aux relents lo-fi, Soko a conçu cette seconde sortie de deux manières. La première, faire un hommage aux années 1980 et en particulier à son groupe préféré : The Cure. La seconde raison, c’est d’exorciser ses démons. C’est exactement l’information typique qui va donner une aura à cette sortie ou confirmer son caractère surfait.
Je ne vais pas continuer dans les anecdotes extérieures à la musique (vous trouverez les détails sur Google, faites chauffez vos souris), mais tout est dans le titre : « Mes rêves dictent ma réalité ». Soko est perturbée et veut le faire savoir. Ce qui ne fonctionne pas tout à fait.


Moi qui m’attendais à un disque mélancolique à vous faire pleurer à chaudes larmes, je fus déçu. Car My Dreams Dictate My Reality est aussi schizophrénique et bigarré que les albums les plus colorés, voire pop, de Robert Smith. Mais c’est normal, j’ai été con de penser à mes attentes plutôt qu’à ce que racontait la fausse blonde : c’est un album à références (elle est même parvenu à dégoter Ross Robinson, le producteur du 12ème album des Cure), pas une déclinaison de Faith ou Disintegration.


… Ou peut-être pas. Car si je me suis vite rendu compte de la qualité de la musique, il subsiste un problème de taille : trop de références tuent toutes marques de singularité. Ironie du sort, ce disque, malgré sa sincérité et la personnalité de Soko, souffre exactement du même problème que beaucoup de sorties revival de notre époque : du talent, mais aucune étrangeté qui rendrait cela fascinant.


Même le chant de Soko se calque trop sur celui de Bob Smith. En dépit de son accent Français, elle chante exactement comme lui, c’est-à-dire n’importe comment mais avec une gouaille irrésistible. Et quand ses vocaux sont plus délirants comme sur « Temporary Mood Swings », elle est plus Lizzy Mercier Descloux que nature ! Il reste néanmoins le bouleversant « Peter Pan Syndrome », accompagnés de paroles qui ne peuvent pas laisser indifférent (« I refuse to conform, I refuse to transform ») et « Lovetrap », de la new wave fleur bleu à la fois touchante et tubesque, qui sont les deux grosses réussites du disque. Les deux chansons parvenant à sortir de ce carcan revivaliste 80s, pour faire comme à cette période mais différemment.


My Dreams Dictate My Reality est un album foncièrement bienveillant car puant l’authenticité (si « Keaton's Song » ne provoque pas la moindre réaction chez vous, je pense qu’il vaut mieux que vous arrêtiez d’écouter de la musique), mais qui n’arrive pas à se construire à l’image de sa compositrice.


Un disque frustrant qui en appelle un autre.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 19 juil. 2015

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