Bon, disons-le tout de suite, le Dead a réalisé là un rêve que peu d’artistes ont pu concrétiser. S’agit-il pour autant d’un incontournable ou d’une de leurs meilleures prestations ? Absolument pas. C’est le 2 septembre 78 que le Grateful Dead annonce une série de concerts en Égypte, sur le plateau de Gizeh. 3 concerts sont organisés pour participer au financement du voyage. Afin de s’assurer le soutien des autorités, le Dead s’engage à reverser l’intégralité des bénéfices au département des antiquités nationales et à une association proche de la 1ère dame du pays. Le groupe obtient 2 dates, les 14 et 15 septembre et même une 3e est ajoutée, le 16. Bill Graham est contacté pour organiser ce qui va s’apparenter à une véritable expédition mais il va décliner quand il comprend toute la portée mystique et spirituelle du voyage. Il accompagnera quand même le groupe dans son périple égyptien. Les concerts n’en sont qu’une partie car il est prévu que le Dead s’offre une vingtaine de jours de vacances sur les bords du Nil, accompagné par les familles, amis et l’équipe technique très nombreuse qui les suivait ! Une partie de son propre matériel arrive de Californie et ils empruntent le reste aux Who qui l’expédient de Londres. Les membres du groupe, Garcia et Lesh en particulier, voient ces concerts comme une apothéose, une sorte de quête spirituelle pour se rapprocher du berceau de l’humanité, une aventure qui coûtera quand même la bagatelle d’un demi-million de dollars !
Ces concerts sont une déception évidente vu les moyens déployés : un drapeau du Dead est hissé au sommet de la pyramide de Khéops, la scène en est installée au pied. Leur ingénieur du son, Dan Healy, a l’idée d’utiliser la pyramide elle-même comme caisse de résonnance, les musiciens sont emballés mais les autorités égyptiennes douchent leurs espérances en refusant. Tout avait bien commencé mais les ennuis vont faire de cette prestation « pharaonique » un semi-ratage. Les conditions dans lesquelles les concerts se déroulent sont calamiteuses, le sable et le vent provoquent des difficultés de son gênantes (tous ceux qui ont joué au pied des pyramides y ont été confrontés), à tel point que le piano de Keith Godchaux est presque inaudible. La puissante lumière des projecteurs attire des nuées d’insectes dont viennent se nourrir…des chauves-souris qui s’amoncèlent autour de la scène ! Quant aux musiciens, ils sont loin d’être en forme : Kreutzmann s’est brisé le poignet en jouant au basket, ne jouant qu’avec une seule baguette. Phil Lesh et Donna Godchaux sont minés par l’alcoolisme, les autres par la drogue. Impossible à partir de là de donner une performance flamboyante, le concert est souvent mou et on frôle à plusieurs reprises l’ennui.
La 1ère partie est assurée par des musiciens locaux et le Dead les rejoint pour une improvisation commune sur le titre « Ollin Arageed » (CD2, pour moi, peut-être le meilleur moment de ce concert, le plus intéressant avec le mélange des cultures) puis il entame son propre set. Les 3 concerts mêlent les nouveaux titres de « Shakedown Street » (« Fire on the mountain », « Stagger Lee »…) et les classiques de leur répertoire comme « Truckin’ », « Stella Blue » ainsi que les reprises qu’ils affectionnent (« Around and around », « It’s all over now », « Iko Iko »…). Tout cela est joué devant un public très restreint de quelques centaines de personnes (700 ?), dont très peu de locaux, beaucoup d’officiels égyptiens, des Américains de passage et la famille et les amis surtout. Un double album était prévu mais il a fallu attendre 30 ans pour le voir sortir (2008). Garcia jugeant la prestation du groupe bien trop faible (lucide) s’y était opposé. La magie et la majesté du lieu, s’ils n’ont pas permis de propulser la musique du groupe comme les musiciens l’auraient voulu, ont tout de même rendu possible de vivre une expérience hors-du-commun qui va les marquer. Maintenant, si vous voulez écouter un concert vraiment excitant du Dead, il y en a beaucoup d’autres disponibles pour les néophytes. Ce double CD (18 morceaux) et DVD (13 seulement) est réservé avant tout aux fans complétistes du groupe et a surtout une valeur historique. Quelques semaines plus tard, le groupe va assurer la soirée de clôture du Winterland à la demande de Bill Graham, concert d’une autre intensité qui a duré près de 6h et au cours duquel il reprendra « Dark Star » !