Sadtimes
7.4
Sadtimes

Album de Wasaru (2016)

Wasaru, originaire de Lille, est un personnage aux multiples facettes. Tantôt animateur, tantôt scénariste, tantôt beatmaker, c’est via cette dernière identité qu’il sert Sadtimes, un projet pluriculturel de beatmaker. De bien beaux adjectifs.


Dès l’artwork, l’urbain est pris d’un angle insolite. La pluie vient refroidir les ardeurs des arpenteurs d’impasses les plus téméraires. Elle crée des reflets étranges, vient faire de la frontière entre illusion et réalité une fine couche de glace qu’un pas imprudent peut rapidement briser. Au risque de s’y noyer. En nommant son projet Sadtimes, en le qualifiant de trip-hop multiculturel grâce à des invités venus d’un peu partout, de France, d’Allemagne, de Corée, de Japon et des USA, Wasaru dessine la barre très haute. L’avantage, c’est qu’à vivre dans un monde de cartoon, la physique la plus élémentaire peut facilement être détournée par l’imagination et la créativité.


Signes de lutte


Une « Intro » en règle qui vient appuyer en 50 secondes l’ensemble des principes repris plus haut, et on est partis pour l’écoute de la petite heure en 14 titres de Sadtimes. Déjà, Wasaru ne blague pas avec le premier titre en chair et en os de l’album, « Blurred Foam », et ses quatre invités américains, Bwritten, Slawth, 211Joe et Cory Bugz. 4 noms obscurs pour le grand public, mais parfaitement scoutés par le lillois. Dans des explorations électroniques aux bits réduits, rappelant les sonorités des vieilles bornes d’arcade, les 4 MC’s pilotent nos oreilles à la DualShock, première génération, pressant les bons boutons et effectuant les bons combos aux bons moments.


Des sons purement Hip Hop, Wasaru nous en sert quelques uns de bien fameux, à commencer par « Tokyo’s Night View ». Comme son nom l’indique à moitié, il s’agit là, en japonais dans le texte, de décrire ses fameuses villes de nuit qui font rêver tant de mélomanes et d’urbains consciencieux et nostalgiques. Sous d’authentiques sons enregistrés par Wasaru lui même dans la folle ville nippone, Jaycee se charge de l’expérience tokyoïte tandis que Kuga of NjS transpose sa vision du côté de San Francisco. Même connexion par le Pacifique avec « California », où C.Cle débite en japonais sur une production minimaliste, cette fois plus menaçante que poétique.


On retrouve avec « Monuments », sur une instru’ que n’aurait pas reniée les CunninLynguists et qui rappelle leur « The Gates » de A Piece Of Strange, un autre invité, allemand cette fois : Cedric Till. Une grande ode sur la cupidité et sur la surconsommation, quelque part entre les mondes, difficilement identifiable entre la voix d’un saint et celle d’un démon – c’est là le principe, non ? Même atmosphère de sermon avec « Take A Hi(n)t », où l’on retrouve un Cory Bugz sombre, dans un ultime geste de révolte et une atmosphère filmique. La révolte, elle est aussi inscrite dans le génome français, en témoigne la force du propos social de Nÿme sur « Séculaire ».


Signes de possession


La tristesse de Sadtimes ne s’exprime jamais par une morosité subie, mais au contraire dans un ultime combat, ou du moins une ultime mascarade. Quitte à ce que la pluie vienne tremper notre abri de fortune urbain, autant y faire une dernière sauterie. A l’image de « Fantasy Drop », Wasaru lance des confettis à la mort, comme ça, pour voir. A ses côtés, Tommy Jordan et Danielle Rose, qui donnent chacun à leur manière ce décalage nécessaire d’une production pas aisée à prendre en micro. En résulte une ballade pour orphelins, avec des flows décalés et railleurs à la sauce du Demon Days de Gorillaz. Si Tim Burton faisait un film sur le rap, il aurait ce titre en bande originale.


On vous rassure, Sadtimes est bien la propriété de Wasaru. C’est bien le producteur qui fait tourner l’attraction de maison hantée qu’il a construite avec tant d’attention. Chaque toile d’arachnide, chaque jump scare, chaque petite secousse dans le chariot grinçant sur lequel est embarqué l’auditeur est prévu au scream près. Pour « Sociophobe » et « Two Thousand Thirteen », ce sera Slawth qui se fera le maître de cérémonie du récit. La dénomination complète du MC est ici indispensable. Pour le premier cité, voilà un voyage vers l’enfance d’un serial killer bercé par les sons rétro des Game Boy, dans ce qui rappelle la démarche de la pépite vidéoludique The Binding Of Isaac.


On ne saurait approcher Sadtimes sans faire un détour du côté des inspirations trip-hop de Wasaru. Dès « So Long », avec Kaejo, le rythme est ralenti à son maximum, la tristesse se fait ici plus prégnante, et si le combat pour la vie subsiste par le flow du MC, il est de plus en plus fébrile. On continue la démarche plusieurs titres plus loin avec « All Across The Sun », jusqu’à toucher le Graal avec « Tricky (feat. Katagi) », encore dans la langue de Takeshi Kitano, dont le titre n’a rien à envier à la légendaire figure de Bristol.


Wasaru nous invite à jeter sur un œil sur la composition de son monde avec Sadtimes. Flirtant volontairement avec des thématiques sombres sans jamais s'en laisser submerger, le producteur lillois nous sert un projet mûri, construit comme un film à sketchs à remonter soi-même. D'un tel procédé, on en tire à la fois la force et la faiblesse de l'album, à savoir un projet polyvalent où votre cœur devra malheureusement laisser quelques titres à l'arrière du wagon de cette belle maison hantée. Problème de riches.

Hype_Soul
7
Écrit par

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le 20 mai 2016

Critique lue 72 fois

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