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6.2
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Album de Abd al Malik (2015)

Abd Al Malik est quelqu'un que j'aime pas beaucoup critiquer, parce que même si c'est sûr qu'on peut lui reprocher d'avoir la grosse tête et une sorte de complexe du Messie, je pense qu'il est très sincère dans son envie de connecter la jeunesse des quartiers à la France populaire et je veux pas clasher un mec qui a des bonnes intentions. Mais le problème c'est que justement son soucis d'intégration passe par la soumission à l'autre et l'abaissement de soi-même pour tenter désespérément de plaire aux vieilles blanches de 50 ans en étant une caricature de renoi cultivé (ce qui explique son besoin frénétique gênant de faire du name-dropping d'auteurs littéraires scolaires comme Flaubert, Ionesco ou Sartre, je pense pas que ça soit pour éduquer son écouteur, ce qui serait condescendant et inutile), engagé dans l'inaction et les fellations à Ruquier.
Abd serait donc la version bac français de Disizfaitdesvidéos, autre nègre de maison bien intentionné mais maladroit, dont je vous recommande d'ailleurs l'interview qu'il a donné pour Conscience Noire, qui a un peu changé le point de vue très négatif que j'avais sur lui.


Alors forcément quand j'ai vu Scarifications j'ai tiqué, je me suis dit ça y est le produit est conçu sur mesure pour ravir à la fois les blancs qui aiment pas le rap "mais ça c'est bien" et John Rachid (qui a dû se régaler avec toutes ces références de commentaire youtube music, Iam, Oxmo, Lunatic, Les Sages Po', c'est la totale), on a le cliché de la musique contemporaine pointue et une pochette typée grand classique du Jazz, avec des textes qui parlent de soucis d'intégration alors que pourtant on veut tellement s'entendre avec vous Angélique !


Et le truc c'est que l'album réussit le tour de force de marcher exactement là où il voulait marcher en étant conçu sur mesure à cette fin. Laurent Garnier fait un excellent travail avec une musique industrielle sèche et noire parsemée de petites touches digitales organiques qui complète à merveille la voix du bonhomme, qui d'après ce que j'ai entendu sur PureBakingSoda lui aurait en fait filé ses a cappella en lui disant de les habiller. Cette caractéristique, que j'ai apprise après avoir écouté l'album, est très étonnante tant Malik semble avoir posé dessus en toute connaissance de cause, l'alchimie est parfaite. Sa voix et les flows qu'il adopte conviennent parfaitement au ton futuriste cultivé par l'album (dans sa musique et son univers visuel), il rappe avec une clarté incisive qui peut évoquer un robot, un humain modifié/créé génétiquement. Et là où cet ancrage dans un style sf un peu cyberpunk donne quelque chose de très intéressant, c'est dans l'évocation des problèmes actuels mentionnés plus haut, à savoir le soucis d'intégration, la difficulté de grandir noir, dans les quartiers, devoir dealer, faire rentrer de l'argent pour survivre, ou encore les embrouilles qui peuvent partir vite. Autant d'éléments qui appartiennent à notre époque mais qui ont toujours eu tout autant de place dans la fiction d'anticipation, et le rapprochement (volontaire ou non) entre notre réalité et celle envisagée il y a plusieurs années par des livres traitant par exemple de problèmes de supériorité de classes dus à des classement de valeurs génétiques (comme les bouquins pour meufs au cdi là, Uglies, Pretties et Specials je crois) donne un résultat avec une saveur bien particulière qui change du traitement classique de ces thèmes.


Après c'est essentiellement sur le plan musical que l'album se tient, les textes de Malik sont loin d'être passionnants et tiennent surtout pour le socle qu'ils offrent à la musicalité de sa voix, très jolie, qui s'embellit à mesure qu'il diminue ses performances techniques (le récital de poésie de Daniel Darc, le flow délié de Juliette Greco). À noter aussi que les feats sont excellents et rentrent parfaitement dans l'esprit de l'album, la direction artistique du projet est exemplaire.


Au final ce qu'on peut regretter est juste une durée un peu excessive, l'album semble parfois répétitif et il aurait gagné en efficacité à être plus court, à avoir une conception encore plus épurée.
Ce n'est pas non plus un drame et ça reste un projet solide, surprenant, à se pâmer par moments tant l'alchimie est bonne, et ce malgré les défauts inhérents à l'écriture de Abd, toujours bien présents, juste dissimulés derrière la haute couture des morceaux.

PrincesseSaphir
7
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le 11 nov. 2015

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