1. Il s'agit du premier souvenir, presque intact, qu'il me reste d'un Star Wars : une belle séance au Grand Rex de La Revanche des Sith. Avec le temps cependant, ce souvenir s'est détérioré pour ne laisser que quelques vagues images du combat qui oppose Anakin Skywalker à Obi-Wan Kenobi. Je me rappelle surtout avoir tout de suite aimé cette saga, transportée partout dans la galaxie, découvrant chaque année les détails cachés par la naïveté de mon âge. Pour cela, je regardais régulièrement chaque film de la saga, quasiment collée à l'écran pour suivre les aventures de mes héros dramatiques préférés. A l'âge de 11 ans, un dimanche, je décidai de mettre La Revanche des Sith parce qu'il me semblait avoir établi un lien particulier avec cet épisode depuis ma séance en 2005. Fascinée et surtout attristée par la lutte désespérée entre Anakin et Obi-Wan, j’eus l'idée masochiste de me repasser la scène de non-retour sur Mustafar. Les chœurs de Battle Of The Heroes, que je venais à peine de découvrir, m'avaient alors autant hypnotisée que dévastée, à tel point que je crus d'abord reconnaître une grande œuvre chorale digne de Carl Orff ou d'Edvard Grieg. Il n'en était rien : l'homme que je recherchais avait pour nom John Williams. Il était né le 8 février 1932, avait fait partie d'un groupe de jazz dans sa jeunesse – d'où la prédominance de cuivres dans son orchestration –, et avait d'abord composé pour des séries télévisées avant de se tourner vers le grand écran. Il rencontra à Hollywood des compositeurs tels que Bernard Herrmann ou Alfred Newman et des réalisateurs comme le jeune Steven Spielberg pour Sugarland Express puis George Lucas pour Star Wars. Battle of the Heroes fut donc la porte d'entrée à la musique de films, certes, mais également au cinéma tout entier. Je comprenais alors qu'en plus d'être un excellent musicien, John Williams était un immense dramaturge qui saisissait le langage cinématographique comme personne. Afin de mieux résumer l'empreinte qu'il laisse à chacune de ses partitions, ces quelques mots de Steven Spielberg, pour lequel John Williams a composé 27 de ses longs-métrages, honorent la carrière plus que grandiose de cet artiste : « Without John Williams, bikes don’t really fly, nor do brooms in Quidditch matches, nor do men in red capes. There is no Force, dinosaurs do not walk the Earth, we do not wonder, we do not weep, we do not believe. »



La revanche des Sith :



https://www.youtube.com/watch?v=VLWfmUV_Wxw


D'abord, quelques légers commentaires à propos du Main Title intitulé cette fois-ci Star Wars : il peut s'agir d'une déception car le thème iconique qui débute le troisième opus de cette prélogie ne fut pas ré-enregistré pour l'occasion. En réalité, George Lucas et John Williams utilisent l'enregistrement qui ouvrait La Menace Fantôme. Le charme de ce Main Title figure cependant inchangé et l'on remarque à peine l'absence d'une nouvelle orchestration. En fait, il faut avouer que l'on oublie très vite cette erreur tant ce qui la suit se hisse à la hauteur de nos multiples espérances : Star Wars And The Revenge Of The Sith demeure ainsi la plus belle ouverture musicale – et cinématographique – de tous les films de la saga Star Wars. Premièrement, aussitôt le Main Title achevé, John Williams le joint à l'autre thème fort de cette épopée galactique, à savoir le thème de la Force : ce dernier ne revêt pas, ici, sa parure dramatique mais se couvre d'ornements héroïques. En effet, des accompagnements divers, allant des glissati de flûtes aux ostinato rythmiques des caisses claires en passant par les tierces de trompettes, illuminent le leitmotiv chanté aux cors. En ce sens, la dernière fois qu'il fut joué avec autant de vaillance s'observait à la fin d'Un Nouvel Espoir à travers le morceau The Throne Room. Star Wars And The Revenge Of The Sith s'avère pourtant nettement plus pointu en termes d'harmonisation musicale : John Williams fait preuve d'habileté sur l'arrangement entre les différents instruments qui composent cet orchestre martial. Plongés dans la guerre des clones au-dessus de Coruscant, Obi-Wan et son apprenti Anakin se fraient un chemin entre les Star Destroyer Venator à bord de leur Intercepteur : l'ostinato rythmique des caisses claires reste interminable tandis que les trompettes s'affolent au milieu de cette bataille pour la République Galactique. En outre, le compositeur fait preuve de maîtrise en sachant parfaitement associer les percussions à la famille des vents : les grosses caisses remplacent donc les caisses claires, de même que les trombones pour les trompettes, car ils représentent l'assurance des chevaliers Jedis au sein de cette lutte. Néanmoins, la flûte cède sa place au piccolo, plus piquant : ce dernier communique largement avec le reste des cuivres, tentant de les déstabiliser. Par ailleurs, le tempo presto ne faiblit jamais et l'on reste agréablement dans des nuances fortissimo. Nouvel épisode, nouveau thème : celui du Général Grevious, plutôt noble du fait de ses croches/doubles-croches. On l'entend très brièvement, a cappella, par les trombones avant qu'il ne soit éclipsé par des cordes impatientes de proposer leur ostinato rythmique identique à celui des percussions. Jouées tremolo, elles effectuent leurs mesures prestissimo dans un crescendo monumental qui ne saurait être perturbé par le piccolo acéré. A l'image de cette immense reprise du thème de la Force en début de morceau, cette introduction musicale efface toute trace d'inquiétude quant au destin des héros starwarsiens ; les deux Jedis, et surtout Anakin, semblent dompter leur puissance par leur sagesse.


Des Sith, il en est de nombreuses fois question dans ce opus ravageur. Il s’agit non seulement de leur revanche mais également de leur apparition quasi-soudaine pour les peuples de la galaxie. Alors que le comte Dooku était l’antagoniste principal de L’Attaque des Clones, le général Grievous est l’ennemi juré des Jedi dans La Revanche des Sith et son combat au nom des Séparatistes s’enclenche avec Obi-Wan tout particulièrement. La mort du comte déclenche musicalement la montée en puissance du thème de Grievous présenté précédemment dans Star Wars And The Revenge Of The Sith. Néanmoins, il est d’autant plus présent dans une piste nommée General Grievous. Celle-ci présente le duel désormais mythique entre l’ancien guerrier Kaleesh et Obi-Wan sur Utapau. Dans la suite logique de L’Attaque des Clones, le morceau s’ouvre sur des reprises rythmiques par différents instruments que ce soient des percussions ou des cuivres grinçants. La noirceur du personnage semble irradier la partition qui, au détour de notes pianissimo, obscurcit le thème de la Force murmuré par des trompettes bien basses. Tandis que, sous quelques silences, General Grievous fait danser les violoncelles, un crescendo de trombones déclare alors la guerre entre les duellistes. L’ombre rythmique du Prisonnier d’Azkaban nous offre alors une démonstration stupéfiante d’un accouplement musical original puisque la flûte et les timbales se défient mutuellement. L’effort fourni par la flûte étant trop important face aux tambourins, elle est finalement soutenue par les cuivres avec sourdines qui montent les nuances en fortissimo. D’ailleurs, devant un comportement aussi sauvage, les cordes n’osent répliquer et même les liaisons de la harpe disparaissent prudemment dans ce conflit. En outre, Grevious And The Droids suit logiquement les effets de la piste précédente. Elle ne décrit pourtant pas la même scène. Après une introduction encore très cuivrée et parfaite rythmiquement, John Williams effectue un subtil canon de cuivres à différentes hauteurs qui annoncent une phrase belliqueuse. De retour, les cordes – et principalement les violoncelles – participent à masquer le thème de la saga. Les violons, secondés de la flûte, se cachent eux-aussi derrière la colère des cuivres menaçants. On comprend alors aisément que le poids du thème de Grievous s’impose à tous les autres instruments. Pourtant, par manque d’harmonie, le morceau tombe alors dans la cacophonie de cuivres – et plus généralement de vents – en totale perdition. En effet, Obi-Wan servait à contrebalancer General Grievous mais les droïdes sont bien trop faibles en comparaison du successeur du comte Dooku. De fait, le morceau se conclut sur une maigre reprise du thème de la Force derrière des violons tremolo et bien apeurés.


Loin des ridicules automates, le général Grievous fait face à Dark Sidious : ainsi la musique de La Revanche des Sith s’oriente vers la ruse mêlée d’une grande impétuosité. Non sans élégance, Grevious Speaks To Lord Sidious s’ouvre sur une magnifique valse des violons qui répètent leur double-croches. Dans leurs silences amusés, les cuivres se dissipent alors pour faire entendre leur voix. Il est difficile, pour le général Grievous, de contester l’autorité du seigneur Sith. Cependant, son thème est finalement chanté une dernière fois dans cet album : la mélodie est soigneusement interprétée par les cors. Or le thème se défile lorsque les chœurs des London Voices mettent à terme à la polyphonie engagée par le compositeur américain. Il faut dire que Dark Sidious en avait plus qu’assez des démarches individuelles de l’apprenti de Dooku. Par conséquent, les chœurs impériaux réussissent à calmer les ardeurs du général à travers des paroles introuvables mais dont on sait qu’elles sont en langue Sanskrit telles celles de Duel of the Fates dans La Menace Fantôme. D’un coup, l’orchestre se tait. Les cordes hésitent entre un jeu tremolo et un jeu pizzicato. En fait, ce sont les cuivres, avec des notes plus ou moins tenues, qui rappellent la gravité des événements. La République se meurt sans que quiconque ne dise mot ; et dans le même temps, un amour fragile se fracture de telle manière que les cordes s’égarent dans leur ostinato bien triste. D’un registre à l’autre, le thème chimérique de L’Attaque des Clones se métamorphose en une plainte nostalgique dans La Revanche des Sith. Mais on ne doit, en réalité, trouver qu’un seul responsable à ces agitations : le chancelier Palpatine. S’il était déjà étonnant d’avoir une pièce chorale comme Duel of the Fates dans la saga Star Wars, il est d’autant plus perturbant d’écouter un morceau tel Palpatine's Teaching. Lors d’un spectacle, le destin de la galaxie est scellé. A travers une simple onomatopée, John Williams nous plonge dans un opéra très contemporain aux allures angoissantes du Requiem de Ligeti et au parfum sacré d’une œuvre de Part. Quelques instruments – une trompette et un xylophone par exemple – parviennent à se glisser délicatement dans la partition mais exclusivement dans la dissonance. Très gravement et surtout pianissimo, les cordes introduisent une noble trompette qui annonce, d’une seule mesure, le thème de Schmi agréablement présent dans cet épisode. Malheureusement, ces appels discrets ne suffisent pas à détourner Anakin des chemins du Côté Obscur puisque, très discrètement, la marche impériale insuffle sa future domination. De même, les efforts louables du thème de la Force à la noblesse infinie – car joué aux cors – échouent dans cette reconquête du cœur sinistre de l’Élu. La marche impériale, quant à elle, se dresse ingénieusement grâce à des bois malicieux – le basson, la clarinette basse – plutôt que des cuivres claquants. Encore une fois, John Williams prouve que tout se joue dans la précision des nuances. Par-dessus tout, le compositeur nous noie dans les noirceurs minimalistes de sa partition qui ne finit pas de nous tourmenter, d’autant plus que les cordes se morfondent de nouveau dans un ostinato ténébreux. Par contraste avec le reste de Palpatine’s Teaching, John Williams termine ses affaires avec une fanfare très semblable à celles écoutées sur Naboo. Cependant, il est désormais trop tard pour faire marche arrière et de glorieuses fanfares, il n’y en aura plus.



La naissance de Vador :



https://www.youtube.com/watch?v=evRJGVn6ikk


S’il y a une telle adoration générale envers la composition de La Revanche des Sith, cela ne dépend pas seulement de son caractère tragique mais aussi des surprises musicales qui remplissent cette sublime partition. Les capacités d’innovations de John Williams sur la saga Star Wars deviennent quasiment extraordinaires et elles se retrouvent nul part ailleurs. Les deux morceaux dont il est question maintenant le démontrent facilement. Le premier, Anakin's Dream, subit la nette influence de La Liste de Schindler et de son violoniste : Itzhak Perlmann. Tant de douceur s’échappe de ce solo de violon adoubé d’une harpe sereine ! Ce dernier, en contre-temps, éclipse même le thème d’Anakin et de Padmé pourtant acclamé par une flûte remplie de timidité. Néanmoins, l’ensemble des cordes s’abîment ensuite dans des dissonances de plus en plus hautes et dans des crescendo de plus en plus violents : c’est l’heure du funeste cauchemar. Ce rêve tant redouté qui deviendra réalité invite les violons à former un terrible adagio sans réel motif. De nouveau, le thème d’amour est convoqué et quitte à se renforcer, il le fait par l’intermédiaire des cors. Les pauvres, toutefois, ne terminent pas leurs mesures réconfortantes. En effet, John Williams nous dirige de nouveau vers les profondeurs de l’âme de Skywalker. Ainsi, les violoncelles, très graves et inquiétants, contrastent avec des violons aux sonorités plus aiguës. En outre, le thème le plus joué de la saga Star Wars refait une apparition certes pudique mais incontestable : en effet, le thème de la Force se camoufle dans une clarinette bel et bien présente. Or, plus surprenant qu’Anakin’s Dream, il y a ce deuxième morceau : Padme's Ruminations. Lorsque l’on demande à John Williams pourquoi il n’utilise pas plus d’instruments électroniques, celui-ci répond qu’il ne sait pas s’y prendre et que ses connaissances en la matière sont bien maigres comparées à celles de compositeurs plus jeunes. D’ailleurs, si le compositeur a tiré son épingle du jeu dans les années 1980, c’est bien parce qu’il ne suivait pas la tendance électronique dans les musiques de films. Le bonhomme a consacré sa vie à l’écriture pour orchestre. Aussi, l’emploi du synthétiseur au début de Padme’s Ruminations étonne : premièrement parce que c’est effectivement très rare de l’entendre dans une partition de John Williams et deuxièmement parce que c’est tout simplement ingénieux. Ainsi, l’utilisation de ces sonorités électroniques ne se confond pas avec un vulgaire manque d’originalité. De plus, le caractère étrange de ces sons s’entrelace avec une voix féminine chaude et orientale. Celle-ci nous entraîne alors dans les pensées les plus morbides de la reine Padmé et n’hésite pas à marquer quelques silences pour amplifier notre inquiétude. Dans une galaxie lointaine, le thème d’Anakin et de Padmé résonne une dernière fois. Puis, les cordes bien agitées dirigent les opérations tout en restant dans la discordance tandis que la nuance forte ne se modifie pas. Enfin, cette dissonance est reprise par les vents entrecoupée de cuivres staccato mais exige de toute façon un retour à l’harmonie. C’est pourquoi, pour finir son morceau, John Williams marque un accord aux cordes tenues.


« Execute Order 66. »


Mace Windu est mort et avec lui la promesse d’une nouvelle République inter-galactique. Ce n’est ni de la tristesse ni de la colère qui s’empare de moi à chaque fois que je regarde cette scène. Il est tout simplement embarrassant de regarder l’épicentre de la saga Star Wars, c’est-à-dire ce moment où Anakin passe définitivement du Côté Obscur. Après quoi, Sidious n’a qu’à prononcer trois mots et la Grande Purge Jedi est lancée. Quant à John Williams, il compose la plus belle lamentation aux morts jusqu’à ce jour dans sa filmographie : Anakin’s Betrayal, la trahison d’Anakin, pleure chaque Jedi tombé pour la République. Il y a d’abord les cordes legato d’une infime tristesse dont la hauteur s’amplifie à chaque mort. Et puisque ce n’est pas assez, le compositeur superpose les chœurs des London Voices par-dessus ce mouvement élégiaque. A mesure que les voix s’intensifient de doléance, un Jedi laisse échapper son dernier souffle : Ki-Adi-Mundi sur Mygeeto, Plo Kloon sur Cato Neimoidia, Aayla Secura sur Felucia ou encore Stass Allie sur Saleucami. Le crescendo de tout l’orchestre se fond dans les larmes versées jusqu’à ce que les timbales signent la fin de l’ordre des Jedi. Dès lors, les cuivres prennent le relais pour tenter de glorifier ces samouraïs ; or le ton général demeure celui du chagrin si bien que seuls les violons peuvent continuer leur motif adagio. Tandis que les nuances diminuent et que le rythme se calme, le maître Yoda coupe la tête de ses adversaires d’un coup de trompettes. Sur Coruscant, au temple Jedi, de jeunes apprentis font vibrer leur salut dans un chœur enfantin de sopranos. Néanmoins, la douleur est trop grande et c’est toutes les voix de ces messieurs qui accompagnent l’agonie de cette génération perdue. La dernière note de cette tragédie, presque trop longue, s’affaisse à la fin dans un decrescendo. Même si la pièce est écrite en Do majeur, et non en Ré mineur, on ne peut rejeter l’influence du Requiem de Mozart (Lacrimosa), celui de Fauré ou de Duruflé plus douloureux. En effet, la partition d’Anakin’s Betrayal s’accompagne d’une note de John Williams indiquant un jeu sorrowful. D’ailleurs, pour ce qui est des cordes legato, elles s’apparentent grandement à celles de Lacrimosa. Pour ce qui est de la grandeur orchestrale de ce morceau, il faut plutôt chercher du côté d’un certain Dvorak : la même atrocité se dégage de l’ouverture du Requiem du compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde dans Requiem Aeternam. Ainsi, John Williams renoue à la fin de la prélogie avec ses influences romantiques et se détache des motifs répétitifs.


Depuis le début de la prélogie, aucun morceau ne porte le nom du seigneur asthmatique. Cela change définitivement avec la piste Enter Lord Vader qui constitue l’entrée symphonique dans le dernier acte de La Revanche des Sith. En revanche, l’introduction fanfaronne est vite abrégée par une mélodie à la flûte calmée par la harpe et les violons. De suite, les cors s’emparent du mouvement mais sont très vite rattrapés par la brutalité des cymbales et la clameur des trompettes. Pour le dire simplement, le morceau est un duel permanent entre la sagesse de Yoda et d’Obi-Wan et la descente aux enfers du seigneur Vador sur Mustafar. C’est pourquoi John Williams alterne entre des instruments nobles – les cors, les cordes – et des instruments plus sauvages – les trombones, les cymbales – plus généralement. Au centre de Enter Lord Vader, un motif élogieux se glissent sur les cordes des violons legato mais est vite expulsé par un retour de la marche militaire employée en début de morceau. Peu à peu, la marche impériale fortissimo s’impose au reste de l’orchestre : sa monstruosité est d’ailleurs annoncée par des tambours impatients. Tandis qu’elle chante sa dernière note, le thème de la Force – glorieux certes mais surtout diabolique – s’éteint face au thème de l’Empereur plus malin. D’autre part, pour tous les amateurs de musique de films, l’amorce de Anakin's Dark Deeds s’approche de l’écriture chorale de Howard Shore pour Le Seigneur des Anneaux. En fait, il ne faut pas se tromper, l’erreur provient du son et non de l’écriture car, en effet, il s’agit des mêmes chœurs pour les deux mythiques sagas. Nonobstant, les murmures perçus en ce début de piste déclarent par la suite un rugissement vocale en Sanskrit. Subséquemment, un ostinato s’enchaîne d’abord à travers les cordes puis à travers les cuivres sur un mode ternaire : premièrement élégant, il devient tranchant tandis que les trompettes nous transpercent. Pour tout vous dire, Anakin’s Dark Deeds sonne surtout le glas de la République « sous une pluie d’applaudissements » : le chœur maléfique triomphe conjointement à la victoire de Dark Sidious sur le Sénat galactique. Une autre affaire attend cependant Obi-Wan Kenobi. Pour trouver Anakin, il faut chercher auprès d’une Padmé délaissée depuis quelques temps et qui est, pourtant, le nombril de cet épisode, au sens propre comme au sens figuré. Or, comme les spectateurs en désarroi, Padmé réfute la vérité. De fait, pour montrer son obstination dans la voie du mensonge et du déni, John Williams convoque un ostinato bouleversant (certainement le plus émouvant d’entre tous sur cette saga). Alors que les cordes marquent les accords à différentes hauteurs, leur immobilité dessine la mélodie jouée aux cuivres bien doux. De piano, les violons s’approprient le motif en forte et enfin les cuivres envahissent le morceau en fortissimo. S’en suit une fanfare d’une rare violence et exigeante et les timbales nous assènent un coup de poignard. Malgré le fait qu’elle soit difficile à digérer, la vérité éclate au grand jour pour nous comme pour Padmé.



La bataille des héros :



https://www.youtube.com/watch?v=Erwnbf42EOU


Pour qu’une bande originale soit considérée comme un chef d’œuvre, il ne lui suffit pas d’être unique en son genre. En fait, il faut une pièce maîtresse qui résume à elle-seule l’album. Cela semble évident pour L’Empire Contre-Attaque. Ce n’est décidément pas le cas pour La Menace Fantôme car Duel of the Fates surplombe carrément toute la partition. Toujours est-il que Battle of the Heroes demeure la clé de voûte de cette composition tant sa dramaturgie se diffuse sur tout le reste de ce monument symphonique. Cependant, la simplicité et la limpidité de l’écriture de John Williams sur ce morceau trouble autant qu’elle émeut. Tel le Dies Irae de Berlioz, la funeste introduction se déploie par l’intermédiaire des violons ici tremolo. Après quatre mesures mezzopiano, ils sont confrontés à la fureur de la trompette jouée, quant à elle, mezzoforte. Pour mieux nous faire exalter cette souffrance repoussante, les mêmes notes blanches de la trompette se répètent. Tout naturellement, les chœurs fraternels agissent comme une pénible délivrance. Aucune parole n’est prononcée car John Williams tente d’unifier la douleur immense de ses deux frères condamnés par la fatalité. Toutefois, on se trompe souvent à croire que ce chœur plein donne une impression de grandeur car il n’y a pas plus intime que ce thème déchirant. En effet, à écouter plus attentivement, le motif magnifié par les London Voices se rapproche à la fois de la structure de la marche impériale et de la douceur du thème de Schmi. De plus, le rythme presto – de même que les cuivres – s’oublient dans les méandres de cet hurlement : aucune place n’est faite pour la gloire, l’honneur ou même l’horreur personnifiées par les cuivres gourmands. Puisque la tonalité de départ ne fonctionne pas pour les réunir, le compositeur la change mais rien n’y fait et le thème retrouve toujours sa fougue d’origine. Tandis que les percussions – notamment les cymbales et le xylophone – s’infiltrent dangereusement au milieu du chaos amoureux, le thème de la Force, plus ténébreux que jamais, gicle de la bouche des ténors et bondit du bec des trompettes. Presque dissonant, il embrasse l’âme souillée de Skywalker sucée jusqu’à ce qu’il n’en reste que du suc mortel puis absorbe le cœur généreux de Kenobi dévoré par le chagrin. Une fois dépouillé, le thème de la Force, autrefois juste et noble, se sauve devant la mélodie maladive de Battle of the Heroes. Lorsque, sur les rives du Phlégéthon, les deux sabres s’entrechoquent pour la dernière fois, l’orchestre s’exclame crescendo dans un accord parfait. Avant que la terrible sentence ne soit actée, les violons puis les cuivres tentent d’arrêter l’impossible en développant le motif du morceau. La douleur presque intellectuelle s’inscrit physiquement sur le corps calciné de Vador et, étonnamment, John Williams console son orchestre désolé : le thème s’adoucit alors à la clarinette. Enfin, le rythme perd de son allure, marquant plusieurs silences, pour finalement déboucher sur un accord clinquant de tout l’orchestre. C’est, pour ainsi dire, l’ultime coup de poignard achevant César.


Logiquement, ou plutôt chronologiquement, j’aurais dû d’abord présenter Anakin Vs. Obi-Wan et le choix d’évoquer Battle of the Heroes en premier n’est pas purement personnel : Anakin Vs. Obi-Wan ressemble comme deux gouttes d’eaux à sa version vocale. Le morceau recouvre néanmoins une partie consacrée au duel entre Yoda et Sidious. Le rythme apparaît nettement plus rapide tandis que les trombones reprennent le motif précédemment commenté. Pour le rivaliser avec grâce, la marche impériale exprime ses farouches et fanfaronnantes mesures. Il y a certes des glissati de flûtes célébrés par le London Symphony Orchestra, ou l’emploi volontiers de percussions lourdes ; il n’empêche que toute l’attention est focalisée sur l’émotion procurée par les violons lorsqu’ils exhument le thème de Battle of the Heroes. La puissance de l’orchestre semble extrême ; à tel point que les violons s’entremêlent leurs cordes, ne parvenant plus à trouver quelconque soutien avec d’autres instruments. Seule la marche impériale demeure capable de hiérarchiser de nouveau le morceau combatif. Or les instruments se fâchent et se lâchent complètement, que ce soient les flûtes frivoles ou les violons insouciants. Il faut d’ailleurs comprendre que chaque instrument se bataille avec son voisin et qu’en plus, le chœur batifole avec joie, concurrençant le crescendo des violons. L’Imperial March ayant tenté sa chance, qui de mieux que le thème de la Force pour ramener l’équilibre au milieu de ces combats pathétiques ? Malencontreusement, le miséreux se presse trop malgré sa tentative honorifique. En outre, dans un pragmatisme absolu cher au compositeur, la piste suivante s’intitule The Immolation Scene. Écrite en La mineur, elle extirpe les larmes de notre corps au moment où les violons exposent leur mélodie très legato. Comme nous ne pleurions pas assez, John Williams en rajoute donc une couche en augmentant ses hauteurs mais en réclamant le même mouvement lamentable et adagio. Quelque part, il est rassurant de tomber de nouveau sur un orchestre starwarsien uni dans la désespérance. De surcroît, il y a bien longtemps que les cuivres ne s’étaient pas tus dans une galaxie lointaine, très lointaine. De ces notes aiguës, les violons s’affaissent encore, ne sachant quoi ajouter. John Williams convie alors les violoncelles con moto, plus empreints à la tristesse, à se joindre à la cérémonie d’enterrement de la prélogie. Pourtant, pendant que ceux-ci s’exécutent à la pénible tâche, le thème de la Force renaît à travers une flûte enchantée. Serait-ce le début d’un nouvel espoir ?


Mahdhurah Swehpna
Go Rahdomah Swehpna
Mahdhurah Swehpna
Go Rahdomah Swehpna
Moorittioo, Mahdurah Swehpna


Une mère et un père s’écroulent sous le poids du destin ; deux enfants naissent les yeux remplis d’espérance. The Birth Of The Twins And Padme's Destiny raconte ce dernier moment schizophrénique entre la vie et la mort. D’abord, l’éclosion de deux êtres prometteurs, liés par les liens du sang et de l’amour. Dans une ambiance très feutrée et presque irréelle, un duo entre le célesta et la harpe, accompagné de violons taiseux, escorte la naissance de Luke et de Leia Skywalker. Ajoutant de la légèreté, la flûte traversière puis la clarinette succombe tout de même telle Padmé sur son lit de mort alors qu’elle accouche la trilogie originelle. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas deux naissances mais trois puisque s’ajoute aussi celle de Vador dans son costume impérial. Ainsi, le célesta n’a plus sa place dans un monde de géants et il s’efface au profit d’un accord terrifiant de tout l’orchestre. Cette union entre la vie d’un côté et la mort de l’autre s’observe dans la complainte déjà entendue à la fin de La Menace Fantôme. Elle caractérisait en effet le cortège de Qui-Gon Jin. Comme Part, John Williams distribue des sons de cloches dans sa partition teintée de mélancolie et de peine. Tandis que Padmé rejoint le royaume de ses illustres ancêtres, Dark Vador se réveille de son effroyable cauchemar. Constatant que la réalité l’a rattrapé, il la proteste fermement, beugle et gueule, ce que les chœurs en Sanskrit aboient dans leur grondement. Entre temps, le thème de la Force, très plaintif, lie à jamais les deux amants dans le tombeau de l’infortune. Heureusement, après tant de malheurs, la liaison avec la trilogie des jumeaux se réalise. Dans un premier temps, l’orchestre célèbre l’arrivée de la petite Leia dans sa famille par l’acclamation discrète de son thème romantique. Dans un second temps, cette innocence est rejointe par celle de son frère Luke, séparé de sa sœur par un gouffre spatial. De son plus bel uniforme, le thème de la Force envoie un message éloquent au reste de la galaxie, un message d’espoir. Rappelons alors que le thème du générique était d’abord attribué à Luke et nous avons donc un enchaînement parfait avec la seconde trilogie. Dans A New Hope And End Credits, John Williams vocifère les thèmes qui lui sont chers car il n’imaginait sans doute pas revenir une dizaine d’années plus tard sur son ouvrage le plus complet. Il y a certes la reprise habituelle de Battle of the Heroes, celle largement arrangée de The Throne Room, et encore celle du thème de la Force, fragile sur son hautbois, tragique sur ces maîtres violons. Malgré ces maigres commentaires, aucune d’entre elles ne fera couler autant de larmes que celle du thème de la Princesse Leia. Quarante ans plus tôt, John Williams avait su capter l’énergie, le lyrisme et la férocité du personnage interprété par la désinvolte Carrie Fisher. Plus belle encore que les images, cette mélodie surveille maintenant, partout dans la galaxie, le regard bienveillant d’une étoile qui s’est éteinte.



Enfin, la haine :



L’effet de la bande originale de La Revanche des Sith dans ma découverte passionnée de la musique symphonique au cinéma est immense. Elle s’avère être la plus grande partition sur la saga Star Wars pour le dire sans prudence. De mes 11 ans à aujourd’hui, je chéris le faiseur de rêves qui, dans La Revanche des Sith, désespère de ces saisons en enfer. En effet, cette bande originale s’avoue complètement mature, ne paraphrasant jamais ses grandes sœurs pourtant étouffantes. Le fait est, aussi, que les morceaux écrits pour cet épisode n’ont pas à rougir de honte devant les plus mythiques thèmes starwarsiens. Alors qu’il faut objectivement signaler que la partition de L’Empire Contre-Attaque reste jusqu’à ce jour la plus finement composée, il n’en demeure pas moins que l’attachement personnel à celle de l’épisode III amène une entière glorification de la noirceur et de la mélancolie d’une telle œuvre musicale. Puisse ce souvenir d’une petite fille accroupie devant la télévision résister aux épreuves du temps.

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le 15 avr. 2017

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Nonore

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