Ces dernières années ont été, on le sait depuis "Popular Songs", puis "Fade", l'occasion d'une évolution paradoxale des New yorkais de Yo la Tengo, qui se sont progressivement éloignés des constructions soniques qui en avaient fait des compagnons de route de leurs voisins Sonic Youth, pour aller chercher la beauté dans une sérénité, tranchant singulièrement avec ce chaos du monde qui a toujours été l'un de leurs "grands sujets". Comme si, entre des atmosphères parfois quasi jazzy ou "bossa nova" et la poursuite des pistes inépuisables jadis ouvertes par le Velvet Underground sur son troisième album, Ira Kaplan, Georgia Hubley et James McNew avaient décidé de lover leur musique dans un cocon musical bienveillant.


"There's a Riot Going On", malgré son titre belliqueux faisant référence à une autre époque de combats politiques et sociaux, malgré sa volonté affirmée de peindre l'Amérique actuelle secouée par les convulsions engendrées par une présidence ubuesque, poursuit et accentue cette évolution vers le calme absolu... Un calme qui désorientera (et ennuiera peut-être) plus d'un auditeur distrait. Un calme bien entendu trompeur, car les superbes mélodies aériennes naissant comme dans le frémissement du vent et se diffusant puis mourant à la manière de rides à la surface d'un lac paisible, dissimulent une sombre menace ou même une profonde tristesse.


Les choeurs éthérés et les percussions obsédantes succèdent aux drones inquiétants, les intermèdes purement instrumentaux se multiplient... Croît alors en nous au fil de cet album peut-être un tantinet trop long, qui semble se vider peu à peu de sa substance pour "planer" de plus en plus, ce sentiment vertigineux de pouvoir contempler - et peut être comprendre un peu mieux - toute la folie, toute la complexité du monde.


On réalise alors combien la maturité de Yo la Tengo, l'indifférence aux modes dont témoigne la facture intemporelle de "There's a Riot..." permet aujourd'hui la construction d'une musique aussi paradoxale : une musique qui allie sans effort apparent une beauté profonde, d'étonnantes intuitions créatrices (qui ont toujours constitué l'une des grandes forces du groupe) et une inquiétude existentielle qui en accentue la contemporanéité et la pertinence.


[ Critique écrite en 2018]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine : https://www.benzinemag.net/2018/03/17/retour-planant-pour-yo-la-tengo-avec-theres-a-riot-going-on/

EricDebarnot
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le 8 mars 2018

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Eric BBYoda

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