Pardonnez que je rejoigne la cohorte des personnes venues tirer à boulet rouge sur le dernier morceau des enfoirés. Tiré de mon lit au cœur d’un sommeil dans lequel j’étais douillettement enfoui (ultime paresse de ma jeunesse qui s’étiole), je m’en suis vu exilé par des réflexions parasitaires, alors bon, quitte à être réveillé, autant en faire quelque chose. Et comme une ambulance passait par là, je me suis dit que pour une fois, je pouvais m’octroyer le plaisir coupable de la dégommer.
L’année dernière, Les Enfoirés nous avaient proposé un morceau dans lequel les chanteurs se glissaient dans la peau de bénévoles aux chaussures péraves et aux plaisirs frugaux. Le décalage n’avait pas manqué de frapper bien des personnes et une polémique était allée grandissante notamment à travers les réseaux sociaux. Mais ce n’était rien comparé au cru de cette année.
Alors, que nous dit le dernier morceau des Enfoirés ? Ou plus généralement, que nous disent les Enfoirés depuis un certain nombre d’années ? Depuis combien de temps d’ailleurs, n’ai-je pas dilapidé quelques heures de mon temps pour regarder une de leurs célébrations festives au nom de la précarité ? Est-ce que cela m’est jamais arrivé ? Et si cela ne m’est jamais arrivé, dois-je me rendre coupable de ne pas avoir sacrifié ces quelques bribes de temps sur l’autel de la sacro-sainte entraide ? Ô réflexions douloureuses, cessez donc de me tourmenter, arrêtez là vos bouillonnements car le dernier morceau des Enfoirés vous réconcilieront avec l’idée selon laquelle une bonne solitude vaut mieux que la mauvaise multitude d’une bonne action, et qu’il vaut mieux se taire que de hurler parmi les loups. Mais critiquer les Enfoirés, n’est-ce pas précisément hurler avec d’autres loups ? Peu importe !
A travers « Toute la vie », les Enfoirés, ne font que témoigner une fois de plus du climat délétère dans lequel est engoncé notre beau pays (croyez-le ou non, je suis allé faire un tour sur la côté finistérienne dernièrement et, en hiver, c’est une pure merveille. On peut y voir des plaines verdoyantes luire sous un soleil timoré et les chevaux d’écume rogner les flancs du pays.). Car il n’est pas seulement question de tensions entre juifs et musulmans, entre réacs et progressiste ou entre fachos et bien-pensants. Il existe également un autre conflit, plus sourd et moins dangereux, il faut bien le concéder. C’est le conflit générationnel parfaitement mise en exergue dans ce clip qui présente des jeunes qui demandent des comptes à leurs aînés (les Enfoirés). Rien que ce concept binaire est inepte puisque parmi les artistes « bénévoles » on peut croiser un certain nombre de jeunes « talents ». Mais tout ceci n’est qu’une mascarade, une mise en scène, nous dira-t-on. Bon, d’accord. Alors si la mise en scène laisse à désirer, laissez-moi vous dire que côté texte, on (qui est un con) passe complètement à côté du sujet. Un échange de « punchlines » (comme le disent si bien les chroniqueurs mondains qui semblent avoir oublié que la langue française n’était pas faite pour les chiens) plus idiotes les unes que les autres tiennent lieu de paroles. Et laissez-moi vous conter la fin de l’histoire. Chacune des deux parties est renvoyée dos à dos, sans qu’il y ait la moindre effusion de sang. A la toute fin, on sent bien que le tout part en baston, au regard des jeunes qui se ruent sur les Enfoirés, mais le cadreur a manqué le clou du spectacle. Et il semblerait qu’il n’y ait eu aucun mort à déplorer. Quel gâchis, une si belle opportunité de se débarrasser de Lââm…
Résumons. Dans des couplets à la finesse mortifère, la jeunesse reproche aux vieux d’être responsables de toutes les plaies de la Terre. Livrés au désespoir, il ne leur reste plus rien. Bref, les récriminations geignardes d’une jeunesse qu’on a forcément envie de baffer, même si elle n’a pas tout à fait tort. En filigrane se mêle, on le sent, un discours à l’égard de la notoriété et de la réussite symbolisées par les stars. Ce à quoi l’armada d’humanitaires endimanchés leur répond : « On s’est battu, on a rien volé. » ou encore « Tout ce qu’on a, il a fallu le gagner » (a l’image, c’est Tal, Zaz et Amel Bent qui vocifèrent ces paroles, toute honte bue, ce qui porte à sourire) avant que d’autres n’achèvent l’odieuse complainte méritocrate avec un « A vous de jouer, mais faudrait vous bouger ! » à l’égard de ces feignasses de jeunes. Les légions d’entre eux qui se sont évertués à faire des études, à se casser le cul durant les vacances scolaires à faire des jobs de merde, à se faire exploiter sans vergogne dans des stages à répétitions et autres contrats précaires tout cela pour finir par s’encastrer dans l’interminable liste des demandeurs d’emploi apprécieront.
« Et puis jeune, franchement, au lieu de te plaindre du trou dans la couche d’ozone, du réchauffement climatique, de la décimation de la forêt amazonienne, des annihilations de maintes races animales, de la surexploitation des animaux comestibles, de la guerre de l’eau qui se prépare gentiment, écrase ta clope, ensuite tu pourras la ramener. Bon, O.K., on sait que le lobby du tabac te vise en particulier et que nous autre, artistes, on s’arrange pour faire en sorte que fumer soit vaguement stylé, mais bon, fais un effort, quand même. Personne ne t’a demandé de nous ressembler. Et puis si tu nous ressemblais, peut-être que ta préoccupation porterait plutôt l’allègement fiscal, mais ça c’est un autre problème, ne nous égarons pas… Et puis d’abord, est-ce que c’est vraiment du tabac que vous fumez ? Bande de beatnik ! »
Pour ce qui est des idéologies trahies, c’est vrai. Au regard de la mixité composée par les Enfoirés, on sent qu’ils ont trahi l’idéologie nazie, notamment.
A travers cette chanson, on sent la commande express. On s’imagine Goldman gribouiller quelques mots sur un coin de table en se disant que si médiocre puisse être le morceau qu’il est en train de composer, sa réputation fera le reste. Et puis « Toute la vie », c’est vrai que « ça veut rien dire », surtout s’il faut la passer à cumuler des situations précaires et essuyer le mépris des élites ainsi que des aînés qui, à la suite des jeunes, vocifèreraient « Travaille, paie nos retraite et ferme ta gueule ! » (qui ne serait pas sans évoquer le « Fais des môme et ferme ta gueule ! » du philosophe Eric Cartman). Et puis, se diraient les vioques, nous on a peut-être eu Léo Ferré et Pierre Desproges, mais vous, vous avez Kev Adams et Maître Gims, avec la 4G en bonus, alors de quoi vous plaignez-vous?
« Mourir pour des idées, c’est bien beau mais lesquelles ? » chantait Georges Brassens, à travers un titre que Goldman disait détester, lui, le chantre de l’engagement consensuel qui semble avoir été vidé de toute forme d’inspiration. Reste que si les idées sont de ce tonneau, peut-être vaut-il mieux mourir en silence.
Je pense qu’on pourrait faire un véritable pamphlet à l’égard de cette déroute totale que symbolise ce morceau mais aussi ce clip qui a l’air d’avoir été tourné en milieu carcéral. Et tout glandu que je sois, je suis un peu fourbu après ma semaine de quarante heures et je me dis qu’il y a peut-être des choses plus intéressantes à faire que zigouiller verbalement un titre qui n’a pas besoin de ça. Reste que la prochaine fois que les Restos du cœur voudront promouvoir leur action, il va falloir qu’ils en mettent vraiment, du cœur, au risque de passer pour des enfoirés.

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le 1 mars 2015

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Anthony Boyer

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