Wake Up!
7.3
Wake Up!

Album de The Boo Radleys (1995)

Quand un groupe dit “indépendant” décroche la timbale du succès commercial après avoir été adoubé par les critiques suite à un album laboratoire et ambitieux, un malaise doit inéluctablement s’installer. La popularité s’accompagne de concessions. Ce qui entraîne obligatoirement dans l’esprit de tout mélomane digne de ce nom, que c’est forcément mauvais. Dériver vers une musique moins austère et donc plus apte à séduire plus de monde, c’est mal voyez-vous. Il faut garder la musique élitiste. La rendre inaccessible pour monsieur tout le monde et lui faire comprendre qu’elle n’est pas pour lui… Sauf concernant les Beatles.


Ah les Scarabées ! Le seul groupe pop qui peut être écouté par un véritable mélomane (vous pouvez néanmoins faire quelques écarts avec les Kinks et le Pet Sounds des Beach Boys). Pas leurs premières œuvres évidemment, car bien trop proche de la pop de leur époque (beurk, caca !). Trop mièvres, trop niaises et trop faciles. Il faut les écouter UNIQUEMENT à partir de Revolver (éventuellement à partir de Rubber Soul si vous êtes prêt à assumer votre mauvais goût). Le disque qui a tout chamboulé. Celui qui a rendu la pop noble parce que mélangée à la musique classique (souvenez-vous des cordes de « Eleanor Rigby », ah ces cordes !), au psychédélisme et à la musique expérimentale (ah « Tomorrow Never Knows » !).


Alors pourquoi les Boo Radleys (seule bande capable de succéder aux Biteuls, puisqu’ils viennent aussi de Liverpool. Ah Liverpool !) ont-ils détruit une carrière prometteuse avec cette sortie indigne de leur talent ? Au lieu de s’enfoncer dans une abstraction incompréhensible suite au méritant Giant Steps, ils ont préféré commettre une horreur, une faute grave : composer un album britpop ! Ce qui tombe bien entendu au moment où ce style méprisable connaît son pic de (pop)ularité ! Les Boo n’étaient donc pas seulement des escrocs, mais également des êtres calculateurs.


La première chanson ouvrant cette infamie n’est autre que le fameux « Wake Up Boo ». Le titre qui va définitivement les faire connaître et permettre à Wake Up de truster les charts Anglais. Argh, que ce morceau est joyeux ! Pourquoi est-il autant sautillant et accrocheur ? Certains vils individus (ceux qui osent affirmer qu’Oasis furent des grands mélodistes) diront même qu’il s’agit du réveil matin parfait ! Raison de plus pour conchier ce tube rejoignant le triste (et immense) troupeau des chansons pop faites par des formations respectables.


Le pire étant que ce n’est pas fini. Il y en a d’autres des titres similaires ici ! L’écœurante énergie communicative de « It's Lulu » et « Twinside » ou les refrains affreusement ensoleillés de « Find The Answer Within » et « Reaching Out From Here » sont abjects. Pourquoi écrire des mélodies aussi fédératrices ? Pourquoi se concentrer sur cet art mineur qu’est la chanson, alors que les gens ont besoin de complexité, de confusion et de sombres sentiments ? Le sucre et la simplicité devraient être bannis de la musique populaire. Cela ne fait que nous asservir pour nous rendre plus dociles !


Certes, les Boo Radleys n’ont pas laissé tomber totalement leurs velléités progressives. Des pièces telles que « Joel » et « Martin, Doom! It's Seven O'Clock » renouent avec les compositions alambiquées d’antan. Le quatuor injectant également de la dissonance dans leur mixture. Cependant, il ne peut pas s’empêcher d’insérer une ou plusieurs mélodies pour séduire une vaste populace voire des arrangements trop chatoyants pour être honnêtes (ah ce cuivre malheureux sur « Martin » !). Lorsque retentissent des notes de piano dans l’introduction de « Wilder », on s’attend à une rencontre avec la musique classique… Ce qui n’arrivera jamais, la faute à ce sentimentalisme qui rend ce titre bien trop simple et bien trop humain.


La britpop était un mouvement dont on ne peut que regretter la naissance. Un sous genre qui n’aura récupéré que ce qu’il y avait de plus accrocheur et d’efficace dans la glorieuse pop des années 1960. Au lieu de s’attarder sur ses longueurs et de développer ses propres concepts fouillis. Pour lui permettre d’être traité comme un véritable Art.


La pop n’a pas besoin d’un album comme celui-ci. La pop se doit d’être compliquée, ne jamais être limpide au risque d’être reprise la bouche en cœur par des foules d’ignorants. Les Boo ont failli à leur tâche. Leur objectif n’était pas de faire une musique accessible tout en étant fouillée, ils devaient continuer de creuser dans l’expérimentation. Atteindre des espaces que seuls quelques élus pourront apprécier à sa juste valeur.


Aucun mélomane ne peut aimer sincèrement ce disque tout en décrétant que Giant Steps était une œuvre essentielle. Tout cela n’est que posture.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
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le 26 oct. 2015

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