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Chantons ici les charmes de l’expatriation : pour avoir vécu nous-mêmes plus longtemps hors des frontières françaises qu’à l’intérieur, nous savons que l’on n’aime jamais autant son pays et sa culture que quand on en est loin. La distance gomme les imperfections qui saturent notre vie quotidienne, l’éloignement crée le désir. La France a de tous temps été un havre de créativité pour les artistes américains, et les musiciens n’y font pas exception. Nous étions l’autre soir au concert annuel d’Elliott Murphy au New Morning, et lui-même, ayant survécu physiquement et artistiquement à une grande partie de ses contemporains (à l’exception du Boss, mais c’est une autre histoire…), témoigne sans relâche de comment l’exil – après le rock’n’roll et le blues – a sauvé sa vie. Coïncidence, il invitait sur scène à chanter avec lui une autre Américaine en France, Natalie M. King, et ils interprétaient ensemble une superbe version du – très beau – "Pink Houses" de John Mellencamp. C’était moins d’une semaine avant la sortie du nouvel album de la farouche – et sympathique, nous pouvons en témoigner – Natalia, "Woman Mind of My Own", son premier depuis 5 ans !


Hébergée par Dixiefrog, LE label blues français qui fait des étincelles, Natalia nous offre un pur disque de Blues, sans doute le seul de sa carrière à date, mais sa vision du Blues est aussi diverse et changeante que peut l’être cette musique. D’une chanson à l’autre, on passera ici du blues le plus traditionnel ("Woman Mind of My Own" pourrait avoir été joué dans le delta du Mississipi par Robert Johnson en 1930 !) au plus contemporain (le pugnace "AKA Chosen" crie la fierté LGBT qui a émergé mais continue menacée par les réactionnaires réunis partout sur la planète)… Mais on reste en permanence émerveillé par la voix de Natalia, impériale sur les neuf chansons de cet album qui conjugue, sans crainte de hiatus stylistique, élévation bouleversante (la ballade soul soyeuse et d’un classicisme exubérant de "Forget Yourself", littéralement à pleurer !) et dépression poisseuse ("Play On", un titre qui séduira peut-être les nostalgiques du Gun Club hanté).


Et puis il y a "Pink Houses", bien sûr, sur lequel Elliott joue son troubadour folk vieillissant avec sa voix que l’âge a creusé magnifiquement : un texte à la fois critique politiquement sur les inégalités sociales et raciales, mais qui peut aussi être entendu comme une déclaration d’amour nostalgique parfaite pour Natalia et Elliott… « Oh, but ain’t that America for you and me? / Ain’t that America somethin’ to see, baby? / Ain’t that America home of the free, yeah? / Little pink houses for you and me… » (Oh, mais n’est-ce pas l’Amérique pour toi et moi ? / N’est-ce pas quelque chose à voir, l’Amérique ? / L’Amérique n’est-elle pas la patrie de la liberté ? / Des petites maisons roses pour toi et moi…). On se réjouira presque autant du second duo de l’album, qui réunit cette fois Natalia et le néo-zélandais Grant Haua, lui aussi chez Dixiefrog : "Lover You Don’t Treat me No Good" est une chanson de pur délice soul classique !


L’album se clôt pourtant loin des références « honorables » qui nous sont venues à l’esprit tout au long de ses chansons : c’est à une reprise – quasiment acoustique – d’une chanson de George Michael, "One More Try", que revient le droit de conclure ce voyage à travers la musique américaine ! L’émotion et la technique vocale de Natalia M. King soulignent parfaitement la beauté de cette chanson presque tragique, éloignée de l’atmosphère un peu pop plastique de sa version originale. « Because there ain’t no joy / For an uptown boy / Who just isn’t willing to try / I’m so cold Inside / Maybe just one more try » (Parce qu’il n’y a pas de joie / Pour un garçon des quartiers chics / Qui ne veut tout simplement pas essayer / J’ai si froid à l’intérieur / Je vais peut-être essayer une fois encore…).


En tous cas, nous, loin de l’Amérique comme Natalia, attendrons patiemment, et avec confiance, la prochaine fois qu’elle « essaiera une fois encore »… de nous jouer une musique aussi impressionnante et aussi touchante.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/11/11/natalia-m-king-woman-mind-of-my-own-loin-des-yeux-pres-du-coeur/

EricDebarnot
8
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le 12 nov. 2021

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Eric BBYoda

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