XO
7.8
XO

Album de Elliott Smith (1998)


Il y a des mélodies…

Il y a des mélodies qui bercent le cœur comme une comptine d’enfance, qui, doucement, tout doucement, se fraient un chemin dans votre vie et ne vous lâchent plus. Depuis que je suis sur Sens Critique, il y a une critique que j’ai toujours voulu écrire, et c’est celle-ci. Mais comment parler d’un album qui au fil du temps, au fil des écoutes, est devenu si personnel ? Vous avez beau le conseiller aux gens, vous savez qu’ils ne ressentiront pas la même chose que vous à son écoute. Car depuis, des émotions, des lieux, des gens se sont pour vous associés à des chansons, et toujours ces émotions, ces lieux, ces gens seront en vous plus vivants lorsque vous poserez le disque sur la platine.

XO n’est peut-être pas le meilleur album de l’incroyable œuvre d’Elliott Smith, artiste américain ayant connu un plus grand succès post-mortem que de son vivant, personnage violent dont la mort le fut tout autant. C’était un être à l’opposé extrême de ses chanson, auxquelles on reproche parfois une certaine mollesse, là où je ne vois que la maîtrise d’un grand compositeur qui sait que les effets les plus fins sont les plus efficaces, un subtil changement de ton suscitant parfois une réaction plus forte qu’un brusque solo ou qu’un beat bien lourd. Et c’est sur ce point, la subtilité, que je trouve que XO (premier album de Smith signé chez un label, en 1998, après le succès de son troisième album either/or et de sa BO du film Will Hunting), est l’album le plus abouti de sa discographie ; même si Elliott Smith et either/or, plus catchy, n’en restent pas moins ses deux autres meilleurs disques sortis de son vivant.



(Si vous avez un éclairage à apporter sur la signification d’une chanson n’hésitez pas)



Sweet Adeline, d’abord. Le morceau phare de l’album pose dès le départ les bases du « style » Smith, identifiable à coup sûr ; une base en apparence extrêmement simple voix + guitare acoustique, et de grandes envolées mélodiques très arrangées, avec une omniprésence des voix, doublées, triplées, assorties de chœurs. Smith chante en apparence ses peines de cœur mais il s’agit surtout ici, comme dans beaucoup de ses textes, d’une ode à la nostalgie et à la beauté de l’instant perdu.


Tomorrow Tomorrow apparaît juste après comme plus personnel. La guitare se fait plus agressive, plus revancharde. Smith semble exprimer sa frustration, ses échecs, et la pression de ses pairs (ici de l’industrie musicale), un autre sujet qui lui est cher.


Waltz #2 est comme son nom écrit comme une valse en 3/4 temps. C’est un petit bijou, empreint d’une poésie teintée de regrets. Une interprétation autobiographique est possible : le morceau ferait référence à la décision de la mère de Smith de construire un foyer avec son beau-père violent (« That’s the man she’s married to now / That’s the girl that he takes around town ») et à la décision d’Elliott de partir (« I’m so glad that my memory’s remote / ’Cause I’m doing just fine hour to hour, note to note »). « You’re never gonna love me now but I’m gonna love you anyhow » s’adressant donc à sa mère. Depuis la mort de Smith, cette phrase a pris un tout autre sens et nous pouvons à notre tour la lui destiner, tout comme les paroles de No Name No.5 sur l’album either/or semblent étrangement prémonitoires :
« Everybody’s gone at last ».


Si Baby Britain rappelle encore une fois une figure féminine (ici s’autoaupitoyant sur elle-même) qui semble obséder l’artiste, et si l’atmosphère est faussement légère et onirique, la « Baby Britain » insouciante et isolée, qui aligne des soldats morts et refuse obstinément de faire face à ses problèmes, c’est aussi l’Angleterre. On remarque le style Beatles et la référence à Revolver. Smith n’a jamais caché son admiration pour le groupe, ne manquant pas de reprendre en concert certaines de leurs chansons.


Pitseleh s’inscrit dans la veine des deux premiers morceaux.


Le magnifique Independance Day est lui bien plus étrange, sujet à diverses interprétations : hymne à la liberté et/ou moquerie du jour national américain, récit d’une expérience liée à la mort, allusion à The Death of the Moth de Virginia Woolf ?


Bled White prend lui place dans une ville nébuleuse qui catalyse la dépression du narrateur.


Waltz #1, incontestablement un des meilleurs morceaux de l’album, est une balade mélancolique aux arrangements somptueux et au sens mystérieux. Il laisse place à deux courts morceaux :


Amity, beaucoup plus rock, laisse exploser la passion du compositeur. C’est encore une preuve, s’il en faut, de la multiplicité de Smith, trop souvent réduit à un dépressif romantique.


Oh Well, OK frappe par son efficacité dès les premières notes. Puis arrivent les violons et on se laisse porter par cette sublime chanson sur la résignation et l’amour perdu.


Bottle Up And Explode ! se concentre lui sur la pression retenue en elle par un personnage féminin (peut-être la mère de Smith ?) face à un homme qui l'a fait souffrir.


A Question Mark commence en beauté le trio final de chansons sur l’interrogation. Usant de cuivres (saxophone baryton) et de batterie comme rarement dans l’album, Smith signe ici un morceau très dynamique et contrasté, s’aventurant aux frontières de la folie : « Cos you couldn't keep the great unknown from making you mad ».


Everybody Cares, Everybody Understands continue sur cette lancée. Les voix démultipliée donnent de l’élan à cette chanson au ton très ironique et désabusée sur l’intérêt des gens porté sur des sujets qui les dépassent. Le pont, mêlant piano et guitares électriques, est particulièrement atypique.


I Didn’t Understand semble être une réponse à l’avant dernier titre. Le morceau débute sur un chœur aux harmonies très travaillées, qui rappelle immédiatement les Beatles. Le contraste entre cette musique presque baroque et les paroles dures (« What a fucking joke ») accentue le désespoir perceptible de Smith.



Il y a des mélodies…



Il y a des mélodies qui restent et s’incrustent dans votre cœur comme un pacemaker, vous aidant chaque jour à respirer.
Je pense que chacun a sa musique vitale. Pour moi, l’œuvre d’Elliott Smith en fait partie.

Lucie_L
10
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le 14 janv. 2015

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Lucie L.

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