Toujours pas de critique ?


Allez, je m'y colle.


"S'y coller", oui, je crois que c'est le bon terme.


Bon ça va être mièvre, mais j'assume.


Il est 4h du matin, GMT+1, et je compte écrire quelques paragraphes insignifiants sur un album qui n'a pas besoin qu'on parle de lui. Je sais même pas pourquoi écrire sur une pareille oeuvre. Peut-être est-ce parce que je ne m'attendais pas à l'aimer autant ? Peut-être est-ce parce que je croyais en avoir marre de ces albums dont le thème tourne autour de la perte d'être aimés (Nick Cave, Sufjan Stevens, c'est vous que je regarde) ou de la mort en en soi (Bowie, Cohen, je vous regarde aussi) ? Ou peut-être est-ce au final pour pousser les sceptiques de la gent sens-critiquienne à donner une chance à un pauvre type du nom de Phil Elverum.


Pour les néophytes, Phil Elverum, la personne derrière le projet Mount Eerie, est un petit monument du l'indie folk/lo-fi des années 2000. Avec ce projet et son groupe initial The Microphones, Phil Elverum a déjà fait consensus au sein de la communauté musicale avec de nombreux albums, en tête desquels se trouve le colossal The Glow Pt. 2. Pour les sceptiques, je rajouterais ceci : Phil Elverum est un homme avant tout. Car oui, on aurait tendance à l'oublier, mais tous nos artistes préférés sont des humains qui ressentent, aiment, pleurent, font l'amour, rient, et meurent. Cette dernière phrase me fait paraître pour un bouffon qui prend les gens pour des cons, mais il est important de rappeler que derrière une voix et une guitare se cache une âme. Et cette âme, celle de Phil, celle de Mount Eerie, s'est déchirée ce 9 juillet 2016. Après un combat qui dura plus d'un an, sa femme Geneviève Castrée succomba finalement en juillet à l'âge de 35 ans. C'était une illustratrice et musicienne pour certains. C'était une épouse et une mère pour d'autres. Pour Phil en particulier.


Trois mois après ce funeste évènement, Mr. Elverum se met à écrire.



Death is real



C'est ainsi que l'album commence. Sur un accord majeur. Joyeux non ? Si je ne parlais pas anglais, on aurait pu me faire croire que le monsieur chante à propos de jeunes filles en fleur et de printemps. Mais l'ambiance s'assombrit très rapidement. Les accords majeurs font place à une guitare acoustique mélancolique, sur lesquels les textes de Phil sont chantés. Des textes personnels, à travers lesquels le musicien parle de sa passion, de son amour pour Geneviève, de leur fille, de la nature, du déni de la mort, de leur maison, de la mort, de la vie.


A Crow Looked at Me est un album personnel, une ode de Phil Elverum destinée à lui même, à son deuil. Mais c'est aussi une oeuvre universelle. On a tous connu la mort, on a tous aimés, on veut tous aimer. A Crow Looked at Me réuni des morceaux qui parleront à tous les êtres qui ont un coeur qui bat et qui comprennent la langue de Shakespeare. Impossible de ne pas exploser en pleurs lors du second "death is real" à la fin de My Chasm. Quiconque ne versant pas de larme n'est pas humain. Je refuse de croire cela. Mais ce qu'il y a de particulier à cet album, c'est qu'entre les pleurs, Phil reste optimiste. Ses textes, aussi déchirants soient ils, dégagent une passion toujours aussi forte pour la vie, pour le futur. "Today our daughter asked me if mama swims/I told her, yes, she does/And that's probably all she does now". Ces paroles sont à mon sens remplies d'espoir. Phil rassure sa fille. Maman est morte, mais il ne faut pas baisser les bras. Il est là pour elle, il est là pour eux.


Je crois que je vais m'arrêter là, j'en ai peut-être trop dit. Ou pas assez, on pourrait écrire 1000 pages sur cet album. Mais il n'a en soi pas besoin d'explications. Les textes parlent d'eux-mêmes, allez les lire. Cette critique est là juste pour rassurer les personnes dubitatives, pousser à écouter ceux qui croient trouver en A Crow Looked at Me qu'un pauvre gars aux portes de la quarantaine pleurer à la mémoire de sa femme décédée. Cet album est plus que ça. C'est un chant d'amour, un poème destiné à ceux qui aiment et qui ont aimé. C'est une sortie de secours pour tous les désespérés qui n'ont plus foi en la vie. Phil Elverum est là pour nous, pour sa fille, pour sa femme. Il demeure digne, fier de ce qu'il a accompli, de sa famille. Il continuera à s'occuper de son enfant, il continuera à sortir les poubelles, il continuera à fréquenter son supermarché, il continuera d'écrire et chanter.
La vie nous apporte des merdes, certes. Mais si Phil est toujours parmi nous, à chanter, à produire des concerts, à tracer sa vie, alors nous aussi on peut.

Gargantues
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le 25 mars 2017

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Gargantues

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