A Moon Shaped Pool
7.5
A Moon Shaped Pool

Album de Radiohead (2016)

Jamais un album de Radiohead n'a été aussi abouti.

Dernier album de Radiohead en date, et très injustement sous-estimé, tout comme son grand frère The King of Limbs, A Moon Shaped Pool est pourtant une œuvre des plus intéressantes, album le plus égal, et de loin de toute la discographie du groupe, et le mieux produit.


Il s'agit presque d'une synthèse des précédents albums du groupe, où chaque aspect de ces derniers a été sublimé, et le fait que plusieurs morceaux de l'album avaient déjà été joué bien avant leur version studio en live renforce encore plus cette impression.
A Moon Shaped Pool est une œuvre d'une douceur qui n'avait jamais été proposée par le groupe jusqu'à présent. L'album se laisse caresser dans le sens du poil sur tous les aspects, le mixage propose une mise en son très claire, les graves sont en retraits et la mise en son ne paraît que rarement agressif (les seuls moment qui me viennent à l'esprit sont les cordes sur la fin de Daydreaming et à partir du deuxième couplet de The numbers), la batterie a un son totalement à l'inverse de ce qu'on veut généralement de cet instrument, en retrait sur quasiment l'intégralité de l'album, parfois absente, et avec très peu d'attaque (excepté sur Ful Stop), la voix de Thom, enfin totalement assumée par ce dernier, est la clé de voûte de cette volonté de douceur et claireté de A Moon Shaped Pool. Là, où les autres albums transpiraient la fougue de la jeunesse, Ce LP9 est un d'un calme exemplaire, les membres ont vieilli et se sont assagis (il suffit de voir la tête de Papy Yorke pour le comprendre).


Ils ont vieilli et le montrent : cet album est un chef d'oeuvre de maturité.
Aucun titre ne cherche à être meilleur que l'autre, ils se valent tous, apportent tous quelques choses de différents, bien qu'ils puissent paraître assez similaires les premières écoutes.
Les titre de l'album sont classés par ordre alphabétique et l'album commence donc avec Burn The Witch, qui donnera le ton au reste du travail de Radiohead sur A Moon Shaped Pool : les arrangements de cordes y auront une place très importante.
Burn The Witch est une musique que jouait Radiohead depuis déjà quelques années, ses accents pop, et son travail sur les cordes, passant du pizzicato au legato la rend particulièrement sympathique. La fin du morceau avec ses cordes tournant au dissonant puis revenant à la consonance pour nous faire ressentir un manque qu'ils viennent combler, ne manque pas de nous rappeler la fin de How to Disappear Completly qui utilise la même méthode.
Viens ensuite Daydreaming, une ballade particulièrement fragile, dans laquelle Thom chuchote presque au chant, comme si chanter en utilisant toute sa voix était au dessus de ses forces.
Le travail effectué sur Daydreaming est remarquable, des textures et sonorité noyé dans du delay viennent débuter le morceau, et surviennent par dessus des notes de piano d'une grande délicatesse.
La mise en son dans ce morceau est particulièrement réussie, entre les samples de la voix de Thom qui apparaissent de manière spontanée et enrichissent le morceau, le travail sur le panoramique qui a été minutieusement organisé selon chaque sonorité, et le climax du morceau : les cordes imitant le chant que Thom nous offrait sur les refrains. Bouleversant.
C'est sur des notes de piano servant de texture, et une batterie très Hip-Hop que débute Decks Dark, ce morceau se démarque par ses synthé de choeurs, et ses sonorités rock (en tout cas bien plus que le reste de l'album).


Cet album est également caractérisé par la guitare acoustique de Thom, qui est présente sur 3 morceaux : Desert Disk Island, Present Tense et The numbers.
Desert Disk Island nous propose donc des riffs de guitare acoustique particulièrement efficaces, accompagnés au fur et à mesure par des textures, des notes de rhodes, puis une batterie et une basse apparaissent et viennent intensifier la chanson, qui se terminent sur les dernières paroles de Thom, « Different types of love are possible ».
Present Tense, quant à lui, nous offre un rythme bossa nova, accompagné au début seulement par le chant et les arpèges de guitare de Thom. Pour pallier à ce vide, une méthode plutôt intéressante a été employée : sampler la voix de Thom et la rentrée dans un Delay, puis disposer le tout entièrement dans le canal droit de la stéréo, après chaque prise de parole de Thom, un sample est utilisé, gagnant en niveau à chaque répétition du delay.
Le morceau continue à s'intensifier avec l'arrivée de la caisse claire, de la cymbale ride, des guitares électriques et de la basse.
Present Tense est un morceau intéressant, dansant et pourtant triste.
The Numbers, quand à lui, nous livre une premier couplet mené par un riff de guitare répété inlassable par Thom, auquel s'ajoutent de nombreux éléments: samples divers, notes éparpillées de piano, et plus traditionnel : batterie et basse.
Même recette sur le deuxième couplets mais s'ajoutent par dessus des cordes particulièrement efficaces. Le morceau se termine sur la voix de Thom, arrachant de ses poumons un « One day at time » ne pouvant que donner des frissons.


A Moon Shaped Pool propose également les versions studios de morceaux existants depuis un certain temps, mais ayant été uniquement joué en concert.
Ainsi, Ful Stop ne manque pas de un peu nous rappeler Idiotheque, avec son premier couplet, particulièrement angoissant, caractérisé par sa batterie et sa ligne de basse répétées à outrance, et ses longues notes de synthétiseur.
Ce premier couplet se transforme en un pont d'une grande beauté, sur lequel Thom ne cesse de répéter « Truth will mess you up », en guise d'avertissement. La vérité vas te foutre en l'air, et se pont nous foutre une sacrée claque, tant lors des premières écoutes il est inattendu ! Le morceau passant du presque dissonant a quelque chose de beaucoup plus consonant.
Identikit, lui aussi, est un morceau, qui existait déjà, mais en live uniquement. Il est construit à partir d'une progression d'accords ultra classique et utilisé, mais utilisé d'une manière tout à fait original dans ce morceau ; transformée en un simple riff de guitare, répété jusqu'à l'arrivée du pont, derrière lequel se trouve des choeurs plutôt intriguant chantés par Thom.
Le pont, passage particulièrement marquant de ce morceau, débute avec des accords de la guitare de Jonny bourrée en delay, sur laquelle Thom, nous prend un malin plaisir à se lamenter :  « Broken Hearts make it rain », arrive alors des notes de synthétiseurs ne cessant de monter dans les aigus donnant un tout autre aspect à ce moment de la chanson. Cette dernière se termine sur un solo de Jonny qui est très intéressant grâce à sa gestion du delay.
La piste existant depuis le plus longtemps est incontestablement True Love Waits. Un morceau qui a attendu plus de 20 ans pour enfin avoir sa version studio !
Et quelle version …!
La chanson n'est plus vraiment la même qu'on avait pu avoir la chance d'entendre parfois en live, plus de guitare acoustique, mais un piano noyé dans la reverb, et des tonnes de textures.
Le morceau, qui était déjà pourtant intimiste, le devient d'autant plus, à travers cette mise en son, qui se veut très profonde.
Beaucoup d'interprétations peuvent être faites à travers cette piste qui, comme Daydreaming, a le droit à son lot de théories sur le web.
True Love Waits, conclue parfaitement l'album mais le choc est tel qu'il est difficile de s'en remettre.


Les cordes, qui ont été beaucoup utilisées dans cet album, sont l'élément central de Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief, un morceau qui commence de manière très calme, avec seulement un clavier et une batterie, sans oublier la voix de Thom, et qui évolue et s'intensifie avec notamment l'arrivée des violons. Les arrangements sont particulièrement efficaces : une partie des cordes ne cesse de descendre d'un ton, tandis que l'autre, nous joue un thème à la « James Bond ».
Glass eye, d'une certaine mesure, est assez similaire à ce pont de Tinker Tailor, sauf que à la place de descendre d'un ton sans cesse, le piano de cette ballade ne cesse de monter dans les aigus en utilisant les notes d'une même gamme. La conclusion de ce morceau, « I feel this love to the core / I feel this love turned cold » est particulièrement boulversante.


Sans compter l'aspect uniquement musical de cet album, A Moon Shaped Pool comporte également les plus beaux textes écrits par Thom.
Nous avons pu voir quelques exemples au fur et à mesure de cette critique.
L'écriture du leader de Radiohead se veut parfois musical « This dance is a like a weapon of self-defence against the Present Tense » fonctionne particulièrement bien sur Present Tense par exemple.
D'ailleurs, on ne peut s'empêcher de se demander si Thom fait exprès de ne pas articuler pour créer la confusion sur le début de la phrase, il est facile de comprendre « Distance » ou « This tense » au lieu de « This dance ».
Les paroles de cet album sont tantôt tendres et rêveuses « In You I'm Lost », tantôt menaçantes « Burn The Witch, we know where you live », « Truth will mess you up », «  et tantôt intrigantes « It's the loudest sound you've ever heard ».
Les paroles de Yorke étant ouverte à l'interprétation, à l'instar des paroles de Ian Curtis, que se dernier admire beaucoup, il est impossible de savoir exactement ce à quoi il pensait en les écrivant, mais n'est-il pas justement mieux que de réfléchir et de donner le sens que l'on pense être vrai à ces textes ?


A Moon Shaped Pool est donc l'apogée de ce qu'a fait Radiohead : jamais un de leur album n'a été aussi abouti. Aucun aspect n'a été négligé, le mixage est impeccable, aussi bien techniquement qu'artistiquement, les pistes sont différentes sans l'être trop et donnant une réelle cohérence à l'album, et les textes d'une grande finesse et d'un beauté froide, triste.
Les albums précédents nous rappelait toujours les influences du groupe, The Bends et OK Computer nous rappelait The Smiths, R.E.M et Pixies ; Kid Amnesiac s'inspirait de Can, Aphex Twin, Charles Mingus et Ornette Coleman, et ainsi de suite jusqu'à The King of Limbs qui n'aurait certainement pas vu le jour sans le travail de Flying Lotus, Burial, et Four Tet, pour ne cité que eux.
Jamais Radiohead ne s'était jamais autant affirmé que dans A Moon Shaped Pool, qui sonne pur, sans la moindre influence. Jamais un album n'avait été aussi égal.
Ce neuvième album, est comme dit au début de cette analyse un chef d'oeuvre de maturité, qui demande du temps pour être apprécié à sa juste valeur, dans lequel chacun des aspects des musiques du groupe a été sublimer à son paroxysme.

CROCRODILE
8
Écrit par

Créée

le 19 juin 2019

Critique lue 297 fois

2 j'aime

2 commentaires

CROCRODILE

Écrit par

Critique lue 297 fois

2
2

D'autres avis sur A Moon Shaped Pool

A Moon Shaped Pool
Velvetman
8

Nude

Il est toujours compliqué d’appréhender une création de Radiohead. C’est une bête sauvage, agile et féroce, qui se dompte avec patience. Parfois elle trébuche, est acculée dans ses retranchements,...

le 12 mai 2016

61 j'aime

4

A Moon Shaped Pool
guyness
7

Ground control to major Thom

Thom, mon poteau, entre nous, on se raconte plus d'histoire, t'es d'accord ? Parce que ça remonte à loin, entre nous, quand même. OK, Pablo Honey, j'étais carrément passé à côté (faut dire que...

le 22 mai 2016

47 j'aime

24

A Moon Shaped Pool
Grifta
8

A Radiohead Shaped Album

Je ne suis pas un fan de la première heure. A vrai dire, j'ai plongé dans la discographie de Radiohead très récemment, ce qui enlève tout le facteur hype et l'attente de 5 ans que les fans ont dû...

le 8 mai 2016

33 j'aime

7

Du même critique

A Moon Shaped Pool
CROCRODILE
8

Jamais un album de Radiohead n'a été aussi abouti.

Dernier album de Radiohead en date, et très injustement sous-estimé, tout comme son grand frère The King of Limbs, A Moon Shaped Pool est pourtant une œuvre des plus intéressantes, album le plus...

le 19 juin 2019

2 j'aime

2

Emperor Tomato Ketchup
CROCRODILE
8

Simple et subtile

Emperor Tomato Ketchup est un de ces albums qui est facile à écouter mais difficile à décrypter. La raison est en faite toute bête : son apparente simplicité dissimule sa complexité. Simple dans la...

le 18 janv. 2021

1 j'aime

Faust
CROCRODILE
8

Mangez donc des carottes !

Sorti en 1971, cet album est un véritable ovni, un monument d'étrangeté, les sonorités explorées sont bizarres et inquiétantes, les expérimentations faites sont surprenantes et innovatrices pour cet...

le 25 nov. 2018

1 j'aime