Dans l'ennui insondable du début des seventies, alors que le prog-rock pompier triomphe et que toutes les stars sont mortes, deux kids californiens imaginent d'honorer l'âge d'or de la comédie musicale hollywoodienne en l'accélérant et en y collant des guitares saturées et des vocaux hystériques. Personne n'y comprend rien, mais pour une poignée de curieux, en France, sans doute disciples d'Yves Adrien, le futur a de nouveau un goût excitant. Parlez d'une "mélodie du bonheur"...


Dans la foulée d'un premier album largement ignoré par la critique et par le public, les Frères Mael lancent ce "A Woofer in Tweeter's Clothing" que l'on ne peut que qualifier, en toute honnêteté de... stupéfiant : des mélodies incroyables - "Girl From Germany", "Moon over Kentucky", "Angus Desire" -, des orchestrations baroques quasi jamais osées dans le Rock avant - l'hilarant "Here Comes Bob", le renversant "The Louvre" avec son magnifique texte en français -, et un groupe, certes pas encore très efficace, mais un peu plus poussé en avant par une production plus ambitieuse.


A posteriori, "A Woofer in Tweeter's Clothing" est le premier sommet d'une discographie qui en comprendra encore de nombreux autres. Pourtant, il n'attirera à sa sortie guère qu'un peu d'attention en Angleterre, où une phrase comme "I'm the girl in your head but the boy in your bed" ("Beaver O'Lindy") ne pouvait que résonner pleinement alors que la scène locale, menée par Bolan et Bowie, renversait les tabous sur l'homosexualité et les genres en général (même si l'on utilisait pas encore ce terme en 1973 !).


L'album fascine toujours par son assemblage hétéroclite de chansons pop DIY et déviantes - dans la lignée du premier album - et d'éruptions sporadiques plus puissantes qui préfigurent - encore maladroitement - les albums à venir. L'adaptation du classique de "la Mélodie du Bonheur" ("Do-Re-Mi") est ainsi la première réussite totale de Sparks, conjuguant parfaitement leur amour pour la comédie musicale classique et leur folle énergie. Mais c'est sans doute la stupéfiante "Beaver O'Lindy", sorte de chanson-monstre de Frankenstein qui révolutionne la forme pop, alternant accélérations électriques et chaos légèrement absurde, qui confirme le potentiel créatif des Frères Mael. Ajoutons enfin que Russell trouve ici sa "voix", ce chant très haut qui va caractériser complètement Sparks durant les décennies à venir : "A Woofer in Tweeter's Clothing", au delà de son éclatante réussite artistique, indique que Sparks est désormais prêt à prendre son envol.


Les Frères Mael allaient, logiquement, mettre fin à cette première tentative sous la forme - finalement peu appropriée par rapport à leurs ambitions - d'un groupe traditionnel, adopter pour toujours le format duo, et s'exiler en Angleterre, pour participer pleinement à la révolution "glam" qui annonçait avec trois ans d'avance l'explosion punk. Le choc qu'allait représenter l'album suivant; le superlatif "Kimono My House" allait les propulser définitivement dans l'Histoire...


[Critique écrite en 2020, en incluant en introduction un texte écrit en 2002]

Eric BBYoda

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