La griffe du maître
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Je porte depuis toujours en moi cette sensation intime et primordiale de grandir avec la perte comme unique variable sensorielle. La souffrance a fait croître mes os psychiques en une aveuglante litanie qu’aucune prière ne saurait faire taire. Ici-bas, seule la mort m’élève dans les vertiges d’une existence phagocytée, et me relie à l’espoir de l’absolu déclin. Lorsque l’on ne perçoit la vie que comme la concrétion d’une ruine, alors la chair rejoint l’inertie du vide, et la décadence devient la seule morale gouvernant un univers de suie. A cet instant précis, tout menace de s’éteindre à jamais.
La douleur d’être vivant est implacablement liée à l’acte créatif. En catalysant ses torrents d’afflictions et ses lacs de peurs, l’Homme réifie ses propres démons dans une œuvre émotive dont il transmet et incarne chaque particule, comme pour tenter de se débarrasser d’une trop grande peine. D’après les danois de Vægtløs, il faudrait peut-être que les tristes âmes conjuguent la mélancolique grâce de l'apesanteur à la déchirante violence du quotidien - afin de pouvoir vivre, tout simplement.
Les mélodies d’Aftryk content les maladies, rappellent les deuils des proches, invoquent l’immonde bas-monde qui nous cloue dans une détresse solitaire. Dès le début de “Ingenting kan forhindre at små struber skælver en forårsnat”, la parole devient un cri incantatoire, un déchirement de screamo fragile comme la palpitation d’une vie, sombre et libre comme une tristesse existentielle. Dans leurs fulgurantes ascensions rythmiques, les trémolos des guitares ceinturent d’un chagrin élégiaque les joutes des blast-beats - car l’agonie est un combat de chaque instant, et la vie est d'autant plus dramatiquement vécue qu’elle est altérée, condamnée à son immuable extinction. L’émotion déboule comme une avalanche glacée, et s’éteint en une plainte réverbérée.
Cette première intensité scénique est suivie d’autres refuges sonores, qui paraissent accouchés dans une souffrance toute aussi vive et palpable. Le fatal et plus cadenassé “Først da vi bar (...) “ relie les vivants aux morts, et cette funeste filiation possède la noirceur d’un black metal lacéré d’émotivité - on pourrait parler de blackgaze, parfois. Dans sa capacité à élever les tempêtes de l’esprit, d’insuffler les passions et de braver les affres du dépérissement dans chacun des 4 titres, Vaegtlos nous saisit à plein cœur. Éprouvé jusqu’à la moelle, Aftryk imprime en nous sa tourmente infinie.
Alors que “Her i vores hjerter bærer vi en ny verden” possède la beauté sépulcrale des dernières confessions du frère mourant, une mélodie de guitare au charme cruel ouvre “Tag dit knuste hjerte og lav det til kunst“. Cette dernière stèle atmosphérique accepte la séparation des cœurs et la liquéfaction des chairs, pour inviter à la vie, à l’amour, au rêve. Et lorsqu’éclate de nouveau l’avalanche d’harmonies époustouflantes, la part de lumière d’Aftryk, jusque-là si frêle mais si présente pourtant, finit par totalement transpercer les ombres languissantes. L’esprit et la parole, profuses de bout en bout d’album et jusqu’à l'appellation des titres mêmes, finissent dans une sublime union cathartique. Avec une implacable mais très sensible lucidité, Vaegtlos parvient à jouer l’indicible, à raconter l’insurmontable : la permanente déchirure de nos vies.
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Créée
le 8 juin 2025
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