Le meilleur album reggae d'un non Jamaïcain

Les deux fines années qui séparent les deux albums “reggae” de Gainsbourg sont cruciales pour qui veut comprendre l’œuvre et le personnage. C’est entre ces deux disques somme toute assez semblables – ne serait-ce que par leur style musical très connoté – que la vie et l’image de l’artiste vont basculer de façon radicale. C’est entre 1979 et 1981 qu’ apparaîtra le tragique Gainsbarre, son Mister Hyde à lui (prophétisé dès 1966 dans la chanson Docteur Jekyll et Monsieur Hyde sortie en 45t EP et reprise en version reggae lors des concerts de 1980), révélé à ses yeux à la mi-septembre 1980, quand Jane Birkin, lassée des coups qu’elle prend dans la gueule (au propre et au figuré) et après douze années de vie commune, le quitte. C’est en 1980 qu’il publie Evguenie Sokolov, conte parabolique en forme de bilan transitionnel, où s’expriment magistralement ses doutes, son désespoir, ses souffrances et ses frustrations. Après 1980, Gainsbourg ne sera plus le même. Il fera des excès un mode de vie, une image de marque facile et lamentable, néfaste à la qualité d’une œuvre dont on pourra honnêtement tout juste sauver ses concerts fabuleux au Casino de Paris et le « Baby alone in Babylone » qu’il écrira pour Jane en 1983 .


En 1978, Gainsbourg lui avait déjà offert l’excellent « Ex fan des sixties ». Et lui, « pour faire du blé », il avait commis un tube de l’été, « Sea Sex and Sun », peu glorieuse B.O. du film Les Bronzés.


Le succès phénoménal de cette grosse daube disco le déprime.
Il décide d’aller explorer d’autres horizons musicaux, de prendre des risques : il file en Jamaïque. En une petite semaine il enregistre au studio Dynamic de Kingston avec les musiciens de Peter Tosh et les choristes de Bob Marley – autrement dit le gratin du genre – les douze titres de « Aux armes et caetera ».
Deux jours de rythmique, une demi-journée pour les chœurs, une journée pour les voix…Une prise seulement ou presque.
Les paroles ont été écrites sur place, d’une traite, en une nuit de stress.
« Il faut penser au peintre japonais qui regarde une fleur pendant trois mois et la cerne en quelques secondes » disait-il.
C’est la technique du talk-over qui prévaut ( l’état de la voix bitumée de Gainsbourg ne lui ouvre de toutes façons plus beaucoup d’autres registres …). Du phrasé sur un dub de folie.


C’est enlevé, c’est excitant, c’est complètement nouveau à l’époque.
« Le meilleur album reggae fait par un non Jamaïcain » dira le batteur Sly Dunbar (LA pointure-référence du genre).
Et c’est donc par Gainsbourg que le reggae élargit son audience en France.


Apparition fracassante, car en plus de l’impact musical, il y a en plan pub la fameuse polémique suscitée par cette version rastafari de la Marseillaise dont le futur académicien Michel Droit (« odieuse chienlit…profanation pure et simple de ce que nous avons de plus sacré ») sera le ridicule porte-drapeau.
« On n’a pas le con d’être aussi Droit » répliquera – entre autre – Gainsbourg qui réussira à faire reprendre debout et en chœur l’hymne national à un bataillon de parachutistes pourtant venu pour casser de l’iconoclaste (Strasbourg, 4 janvier 1980).
« Je suis un insoumis qui a redonné à la Marseillaise son sens initial » conclura-t-il rageusement . (Pour la petite histoire, il achètera quelques années plus tard– environ 130000 Francs - le manuscrit original signé Rouget de Lisle , où l’on peut constater « Aux armes….et caetera » clairement calligraphié au niveau des refrains !).


Enorme succès mérité (1 million d’exemplaires vendus) pour cet excellent album très inspiré, dont le titre Lola Rastaquouere est à mon sens le sommet.

Gainsbourg est à nouveau sous les feux de la rampe. Il entreprend une tournée triomphale avec ses rastas. Il sort, il boit, il fume. Jane s’en va. Il pleure, il regrette, il souffre.
« J’ai eu une fille en or mais elle s’est tirée. Elle m'a jeté et c'était bien fait pour ma gueule, puisque j'lui cassais la sienne".

RolandCaduf
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le 20 avr. 2021

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RolandCaduf

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