À l’écoute des premières secondes de Balloon Balloon Balloon, on pourrait croire à une archive oubliée du milieu des années 60. Guitares claires et scintillantes, harmonies vocales naïves, structures courtes et immédiatement mémorisables : tout, ou presque, semble provenir de l’âge d’or de la pop britannique, de jeunes Beatles et leurs amourettes. Et pourtant. Derrière ce sobriquet Sharp Pins se cache Kai Slater, la toute fraîche vingtaine venue directement de Chicago. Le garçon jongle entre ce projet solo, fait de mélodies catchy, et son groupe Lifeguard, plus porté sur les ambiances punk abrasives. Une appétence marquée pour le rock dans toutes ses formes donc et un goût pour la création ultra-productive – c’est le troisième disque qu’il sort officiellement sur l’année 2025.


La focale est ici fixée sur le dernier en date avec un hommage appuyé aux chansons d’amour à la sauce vintage, de la structure des morceaux jusqu’à leur technique d’enregistrement. Guitares 12 cordes, ambiance rétro, enregistrements granuleux, prise de son imparfaite et une approche résolument artisanale, lo-fi, volontairement sale, très « cassette ». Le mimétisme est réellement confondant. Slater connaît ses classiques et sait s’appuyer dessus pour revendiquer pleinement une esthétique.


Toute la première partie du disque est une démonstration sans équivoque. De l’introductif Popafangout à I Don’t Have the Heart jusqu’à (I Wanna) Be Your Girl, on est dans la DeLorean de Doc, un demi-siècle en arrière. On pense The Byrds, Beach Boys et consorts, ressorti du placard par un gamin assez épatant dans un exercice de revival forcément appréciable mais dont on peut légitimement se demander si l’artifice n’atteint pas rapidement ses propres limites.


Fort heureusement, ce parti pris n’est pas seulement un élément décoratif. Il participe directement à l’émotion du disque, en donnant aux chansons un caractère immédiat, presque domestique. On a le sentiment d’écouter des morceaux enregistrés dans l’urgence, sans filtre, avec une spontanéité naïve assez touchante. Ce pacte entre nostalgie et imperfection, c’est ce qui rend l’album immédiatement fragile, vulnérable, mais terriblement vivant. On comprend que Kai Slater ne cherche pas à reproduire un son vintage “polishé”, mais à en attraper l’âme en l’embrassant avec ses aspérités, ses craquements, ses maladresses.


Il y a un aspect bricolage, un peu bordélique très charmant. Renforcé par la présence de titres moins évidents, un peu plus rugueux sur le second acte où l’on retrouve un côté plus « bruitiste » qu’il aborde généralement avec son band. Ceci sans galvauder sa science de l’efficacité et de l’air qui va rester en tête pour autant. I Don’t Adore-Youo, l’excellent Fall in Love Again, Ex-Priest, Takes So Long d’en être les exemples les plus probants avec un côté plus rythmé, plus percutant tout aussi plaisant.


L’alternance entre chansons pop solaires et fragments plus expérimentaux font tout le sel de l’album. L’immédiateté des mélodies simples, refrains limpides et en contrepoint des parenthèses instrumentales, de passages volontairement instables, de démos de studio qui viennent rompre toute tentation de confort d’écoute. L’attitude de l’élève qui se sait doué mais préfère se mettre au fond de la classe à côté du radiateur pour se la jouer cool, un peu perturbateur.


Pourtant il suffit d’écouter la douceur de Maria Don’t en fin de parcours pour comprendre que le talent de Sharp Pins n’est que trop évident et qu’il a à peu près tout entre les mains pour réussir de très belles choses. Et c’est déjà bien parti.


[Chronique à retrouver sur Benzinemag]

AleksWTFRU
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le 11 déc. 2025

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