Qu'il ait été drastiquement épuré ou soit resté aussi authentique que désespérément classique, le Black Metal, rejeton dégénéré du Metal Extrême qui semait jadis panique et désolation à sa seule évocation, fait désormais presque peine à voir. Si ses individualités les plus inspirées avaient depuis long intégré de leur propre chef des éléments extérieurs à la mythologie de l'Homme crabe-panda, leurs héritiers se sont laissé bêtement dépouiller d'une identité désormais dissoute aux quatre coins de la carte de l'extrême, et même au delà. La résistance, à défaut d'être organisée ou même revendiquée comme telle était bien active dans les sous-sols (Spektr, Leviathan, Lurker of Chalice, Darkspace, Blut Aus Nord... ou même Walknut dont chacun pensera ce qu'il veut) mais cela n'aura pas suffit. Et le grand épouvantail, à force de devenir tantôt trop hybride, tantôt trop fréquentable, ne fit progressivement plus peur à personne au point de devenir une variable d'ajustement pour groupes en recherche d'un peu de street cred et de noirceur.


C'est précisément à face à ce constat déprimant que Blood Vaults - The Blazing Gospel Of Heinrich Kramer, nouvelle incarnation de l'intelligence musicale d'un artiste hors pair planqué derrière le costume trop étroit de blackeux intransigeant, débarque en contre-argument parfait. Car bien qu'ayant démontré au fil des années que sa musique ne prêchait pour aucune paroisse, Alexander Von Meilenwald fait indéniablement partie, à sa manière, de la frange des irréductibles. Aussi peu dogmatique que terriblement discret, il n'a cessé de naviguer en eaux troubles, y étoffant un univers dense et subtil aussi authentiquement Black Metal qu'atypique au regard de l'évolution du style auquel ses œuvres sont encore rattachées.
Puissant, fauve, volatile et évocateur, menaçant sans se priver de nuances, voire sensible ("Malefica"): c'est pourtant à se demander parfois si l'on parle encore bien ici de ce bon vieux Black des familles tant l'emballage, entre Black Cathédrale, Funeral Doom cryptique et Doom Death suffocant se distingue de ce que fut - ou n'est plus vraiment - ce genre que seul l'accordage évoque encore sans détour. Le lapidaire et nauséeux "Ordeal", bien que rassurant sur la filiation du dernier rejeton du one-man band, est trop expéditif en comparaison des morceaux monstres l'entourant pour tromper son monde. Pourtant, par-dessous ce traitement sonore toujours plus hérité de la scène Death Metal, malgré des repères stylistiques globalement absents et ces compositions labyrinthiques - le riffing est à nouveau à se mettre la tête dans mur - la noirceur, l'interdit et l'occulte écrasent Blood Vaults de tout leur poids.


Véritable fil conducteur d'une discographie mouvante, cette sainte trinité se voit ici de nouveau consacrée bien plus par le fond que par la forme. On ne distingue plus véritablement les pourtours stylistiques changeants de The Ruins of Beverast depuis maintenant deux disques et c'est donc loin des codes et du cadre classique que tout se joue. Autour d'une identité sonore forte, véritable épave fantôme faisant régner la terreur sur un océan de Black tiède et tristement grisâtre à chacune de ses apparitions. Celle là même qui a laissé tour à tour s'exprimer les accents les plus épiques et hallucinés - évitons le terme psychédélique (Foulest Semen of a Sheltered Elite), noirs et mystiques (Rain Upon the Impure) ou, désormais, morbides du genre en poussant toujours plus loin la (con)fusion entre intentions et concrétisation en superposant les filtres stylistiques. On ne saurait attribuer l'exclusivité de l'ambiance néopaïenne glaciale de "A failed Exorcism" , des digressions tribales incantatoires de "Spires, The Wailing City" ni même des atmosphères follement gothiques d'"Ornaments of Malice" ou du surprenant "Monument" - entre recueillement et épouvante - à une scène en particulier. Toutes ces facettes d'un même disque ne sauraient en revanche être associées à quelqu'un d'autre qu'à Alexander Von Meilenwald. Le seul et unique.


Il ne faut néanmoins pas se mentir: le travail d'Alexander Von Meilenwald, aussi hypnotique et captivant soit-il, peut se révéler éreintant. Moins étouffant que son prédécesseur, de montées processionnaires, progressions tourbillonnantes et riffs dantesques en dépressurisations brutales, Blood Vaults reste néanmoins un pavé monumental de près d'une heure vingt. Une œuvre monolithique et revêche dont la profondeur du moindre détail témoigne que chacun a été pensé cent fois, chronophage tant par sa simple durée que par le niveau d'attention qu'elle accapare en raison de sa densité démentielle. Ce n'est qu'à ce prix, que l'univers de The Ruins of Beverast se développe pleinement et se dévoile. Elitiste? Probablement, même si l'on préférera le terme "exigeant", beaucoup mois réducteur et certainement plus proche de la réalité à une époque où la passion semble parfois d'avantage se mesurer en gigaoctets qu'en temps consacré à l'écoute. Les disciples de l’allemand, rompus à l'exercice, trouveront ici une récompense magistrale à la hauteur de leur longue attente, les profanes les plus décidés, peut être, le salut. A vous qui n'êtes pas encore tout à fait prêts, je n'aurai en revanche qu'une recommandation: fuyez, pauvres fous.


http://www.metalorgie.com/groupe/The-Ruins-of-Beverast

Craipo
9
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le 4 mars 2016

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