Bon Iver
7.3
Bon Iver

Album de Bon Iver (2011)

http://funkyoudear.com/2011/06/24/bon-iver-bon-iver-bon-iver/

Suite à de difficiles ruptures, avec une fille et avec son groupe DeYarmond Edison, avec qui il jouait depuis son enfance, en 2008 Justin Vernon se retire 3 mois dans la cabane de chasse de son père au fin fond d'une forêt du Wisconsin (clip de Wolves réalisé par Matthiew Amato). Déprimé, malade, un peu alcoolique, il compose un album intime et émotionnellement très chargé: For Emma, Forever Ago.

Bon Iver - Skinny Love* (via Jagjaguwar) extrait de For Emma, Forever Ago.

Les choses ont bien changé depuis. For Emma a connu un succès surprenant. Les expérimentations de falsetto (voix de tête) et d'autotune sur le EP Blood Bank (2009) ont attiré l'attention de Kanye West qui l'a invité à Hawaii pour enregistrer My Beautifull Dark Twisted Fantasy. Il a participé à de nombreux projets comme Gayngs et Volcano Choir et a même reformé son premier groupe lors d'un concert exceptionnel au festival South By Southwest.

C'est avec bien plus de confiance en lui et de nouvelles motivations que Justin est retourné en studio. Avec For Emma, il avait des choses à dire, à raconter, mais désormais il s'agit plus de sentiments, de sons. Il reconnait qu'il n'a plus l'inspiration pour simplement s'asseoir avec sa guitare et composer. Les dix titres de Bon Iver, Bon Iver sont les seuls qu'il ait composés ces trois dernières années et sont le fruit d'un long processus. Le résultat est plus dense et sophistiqué, plus riche et profond, mais toujours très accessible. Il déclare lui-même être parti de sons, même si ses textes sont d'une grande importance. En effet, un jour après le « leak » de son album sur le net, il a publié l'intégralité des textes de l'album, craignant que des textes erronés ne circulent. La lecture de ces textes est plutôt déconcertante, à croire qu'il s'agit de mots placés là au hasard. Pourtant des émotions se dégagent. L'important ici est le flow, la manière avec laquelle les mots s'enchainent et résonnent. Une grande place dans l'interprétation est laissée à l'auditeur. Justin Vernon définit Bon Iver plus comme un sentiment que comme un projet musical. Plus jeune, il a entamé des études musicales poussées qu'il a abandonnées estimant que la quête de la performance technique éloignait des sensations.

C'est dans les titres que l'on peut trouver une ligne conductrice. Il s'agit de lieux (parfois fictifs) et on remarque à quel point c'est un thème important aux yeux de Justin. En effet, sa terre, le Wisconsin, est tatoué sur le haut de sa poitrine et il a dit vouloir en connaître tous les recoins avant de découvrir d'autres contrées. Le titre Holocene parle, dans sa deuxième partie, de la maison de Brad et Phil Cook, ses amis d'enfance avec qui il a formé DeYarmond Edison, qui jouent désormais sous le nom de Megafaun. La première partie de ce titre parle de sombres souvenirs, de cette maison et de cette époque.

Les arrangements musicaux de Bon Iver, Bon Iver sont plus chargés, plus riches et plus chaleureux que sur For Emma. On le croirait presque heureux. Cuivres, percussions, synthés, saxophones, et violons arrangés par Rob Moose (Antony and The Johnsons, Arcade Fire, The National). On retrouve aussi Colin Stetson, le plus grand saxophoniste vivant selon Justin, qu'on a pu entendre aux cotés de Tom Waits, David Byrne, TV On The Radio etc... d'autres invités sont présents, et bien sûr S. Carey (qui a sorti le très bon All We Grow en 2010), Matthew McCaughan et Michael Noyce membre de Bon Iver depuis For Emma.

L'album est très bien construit. Il ouvre avec Perth, un titre sur lequel le groupe travaillait déjà en 2008, sachant qu'il s'agirait d'un titre d'ouverture. Il part de presque rien pour finir sur des cuivres et des tambours explosifs. Un subtile enchainement nous mène à Minnesota, WI qui commence par un instant reggae pour laisser place à des synthés tintants et des saxos qui donnent un ton soft rock 80′s. On sent alors l'influence Gayngs, le projet de Ryan Olsen auquel lui et 24 artistes (Solid Gold, Megafaun, P.O.S.) ont participé.



Tous ces arrangements viennent soutenir la voix de Justin Vernon qui reste l'élément central de Bon Iver, une voix unique, souvent en falsetto, tantôt angélique, tantôt déchirante. La guitare, souvent en picking, est toujours prise du bout des doigts. Très sensible et minimaliste, joué avec minutie, la comparaison n'est pas évidente, mais sur ce titre et le suivant – Holocene – cette guitare répétitive rappelle Portishead (The Rip). En effet, sur Holocene le même paterne est joué en boucle du début à la fin du titre. Towers est une balade folk plutôt joyeuse où les violons sont particulièrement mis en avant.

Les ambiances sont douces et chaleureuses. Sur Michicant une petite sonnette de vélo nous plonge dans des souvenirs d'enfance. Le piano est souvent feutré et la voix presque toujours enregistrée plusieurs fois. C'est très frappant sur le titre Wash et ses jeux de stereo et de balance. Un enregistrement de sa voix est mis uniquement à gauche et un autre à droite, et bien souvent, un troisième, voir un quatrième, vient se superposer et se placer encore ailleurs dans l'espace. Cette superposition de voix (double tracking), très utilisée par des artistes comme John Lennon, Paul Simon et Elliott Smith, ajoute encore à cet effet feutré et délicat.

Calgary fut le premier single de l'album et sans doute le plus puissant. Le texte est merveilleux et très intense dès la première phrase: « don't you cherish me to sleep ». Musicalement par contre, c'est très progressif. Tout d'abord, les nappes de synthés, puis la voix, les percussions, les guitares. Justin pousse sa voix comme jamais auparavant: « there's a fire going out, but there's really nothing to the south »


L'album ce termine sur Beth / Rest. La perle de l'album pour certain, une grosse blague voir une imposture pour d'autre, ce titre fait débat. Une chose est sûre, il n'y a aucune volonté d'ironie de la part du compositeur. En effet Justin a raconté dans une excellente interview donnée à Grayson Currin qu'il avait pleuré en composant ce titre. Il ajoute que son but était de retrouver l'essence d'un type qui chante avec sa guitare folk, sauf que c'est un type avec un Korg M1. Pour la première fois sur cet album on retrouve de l'autotune. Mais cette fois en voix de poitrine. Quelques guitares célestes sont là aussi, mais le résultat reste très épuré et sincère.

Bon Iver, Bon Iver est une suite de paysages musicaux, de sensations et d'émotions. Malgré une voix douce et des guitares du bout des doigts, cet album est puissant et chargé. On est loin de For Emma, mais vous pouvez toujours ressortir votre disque, il est difficile de s'en lasser. À une époque où le concept »d'artiste indépendant » est de plus en plus flou, Bon Iver est un exemple d'authenticité et de sincérité.
TristanI
10
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le 3 mars 2012

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11 j'aime

TristanI

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