Borderland
6.6
Borderland

Album de Amorphis (2025)

Et tu fouleras les landes d'un destin tout tracé - mon fier fils, rappelle-toi les jours aimés. A la frontière de terres mouvantes, ton aura et ton héritage à tout jamais te hantent.


Bord de terres, limite de rivages : Amorphis se pense avec une incroyable prestance, sur le 15ème album studio d'une discographie métronomique, faite d'époustouflantes mélodies et de quelques avatars plus enhardis . D'envolées lyriques, il sera pleinement question ici, tant "Borderland" nous conte avec une dimension épique et une accessibilité inégalée une nouvelle épopée tonale dans les lointains sauvages.


L'esprit tutélaire de Skyforger (2009) hante chacun des morceaux qui, hormis le hargneux mais anecdotique "Bones" (c'est "Death of a King" en nettement moins bon), s'agencent avec grâce et pudeur dans un syncrétisme salutaire. Alors oui, j'aurais personnellement préféré voir Amorphis plonger dans des mers d'expérimentations, créant une sorte de cauchemar sombre et tumultueux issu de sa tournée anniversaire célébrant les 30 ans de Tales From the Thousand Lakes ... mais il n'en est rien. Bien au contraire, les finlandais ont préféré délaisser la rage melodeath pour rallier l'étendard de la sage mélancolie, bâtissant un cloître d'une richesse picturale poétique et noble (jusqu'à son intemporel artwork), s'efforçant à consolider sa propre légende. Et soyons rassurés : Borderland réussit admirablement bien l'exercice périlleux de la synthèse, ravivant la prestance quasi-symphonique de l'excellent Queen of Time (2018) à l'affriolante "FM-friendly" d'Eclipse et Silent Waters (2006-2007), sans faire l'effet d'une pâle copie comme l'avait été le bancal The Beginning of Times (2011). Qualitativement, Borderland est (quasiment) de la trempe d'un Circle (2013); Côtoyant la maestria d'Under the Red Cloud (2015), il s'avère surtout nettement supérieur au pourtant osseux et tourbeux Halo (2022) qui, peut-être, se cherchait ou se "jouait" un peu trop, là où Borderland crible sa cible d'une joyeuse évidence : Amorphis est et restera une magistrale machine à tube; une bête rutilante et élégante, marinée aux mystères du Kalevala, dont le lyriciste Pekka Kainulainen continue d'imprimer chacun des morceaux, ici proposés dans un format resserré (12 titres pour un peu moins de 50 minutes, c'est racé et parfaitement calibré).


Les amateurs de vastes mélopées nordiques auront de copieuses portions à déguster ("Fog to Fog", "Light and Shadow", deux créations ultra-maîtrisées qui ont la carrure de futurs classiques), tandis que les plus nostalgiques pourront jurer à en pleurer revivre un âge d'or ici réinvoqué avec une saveur presque-intacte ("The Circle" ou "Borderland"). Bien que chétivement, des microdoses de fraîcheur sont proposées, avec le groovy "Dancing Shadow" (et son refrain ultra-catchy), le délicat "Tempest" (et monte la tourmente), l'élastique "The Lantern" ou le déchirant "Despair" (pas si sombre, mais quelle classe !). Du lot, les synthés de Santeri Kallio brillent comme ils ne l'ont pas fait depuis ... et bien Skyforger, tandis que la voix clair de Tomi Joutsen se taille la part du lion, plus belle et profonde que jamais. L'alternance avec des growls plus disparates mais d'autant plus impactants (surtout dans les chorus) est tout à fait cohérente avec l'effet de lissage que propose "Borderland" : un son plus pop, frais, reconnaissable entre mille, et immédiatement prenant.


Le chapitre de l'héritage pleinement assumé qu'est Borderland rend Amorphis plus assuré que jamais. Alors que l'on est soi même gagné par l'émotion de ces faiseurs de sortilèges mélodiques, on oublierait presque qu'aucun rayon de progrès ne balaie les vastes fjords enneigés. Mais parfois, il est préférable de se poser, et d'avaler une large goulée de confiance, avant que ne reprenne l'hasardeuse danse d'un futur toujours incertain, et à jamais à tracer.







FlorianSanfilippo
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il y a 4 jours

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