Breathless
6.3
Breathless

Album de Camel (1978)

Nous sommes en 1978. Ça fait à peu près plus d'un an qu'Andy Latimer, sous l'influence du batteur Andy Ward qui voulait poursuivre une musicalité davantage centrée sur le jazz, a viré le bassiste Doug Ferguson, le remplaçant par Richard Sinclair de Caravan et ajoutant Mel Collins au nouveau line-up. Le résultat de cette nouvelle collaboration (car c'était bien la première fois qu'ils altéraient le personnel) est le cinquième album studio de Camel, Rain Dances, qui, sans pour autant se hisser aux sommets infinis de Mirage ou Moonmadness, représentait un changement de direction jazzy et plutôt solide. Et si ce dernier avait aussi emphatisé sur des morceaux plus commerciaux, comme le bon single Highways of the Sun, l'album présent, Breathless, ne fait que confirmer cette volonté de percer auprès du grand public. Oui, Camel, osons-le, commence à s'éloigner du rock progressif, désormais désespéré de trouver un hit single (l'apogée de cette quête se retrouvera dans I Can See Your House From Here de l'année suivante avec le titre abominable qu'est Remote Romance). Dit comme cela, cet album paraît ressembler à un faux pas typique des grands dinosaures du rock à cette époque, comme Agents of Fortune et Mirrors du Blue Öyster Cult ou In Through the Out Door de Led Zeppelin, ou Hot Streets de Chicago... Mais pas tout à fait. Bien qu'il soit loin d'être parfait, Breathless s'avère, à certains endroits, être un marriage intéressant et assez homogène entre rock progressif et pop.

Tout commence par le morceau titre, qui, plus qu'autre chose, marque une exploration dans le domaine de la pop. Avec ses guitares acoustiques claires et crystallines, ainsi que ses paroles d'amour gnangnan (où est passée la romance de Lady Fantasy, chef-d'œuvre suprême de Camel?), c'est la chanson parfaite à jouer lors d'une soirée intime... Et pourtant, malgré toute cette superficialité musicale, le groupe réussit encore à refiler quelques passages de flute (qui leur est si caractéristique) et segments instrumentaux; en somme, Breathless ne représente rien de bien méchant, surtout par rapport à d'autres contenus sur le disque. Le morceau suivant, Echoes, est une lueur d'espoir extrêmement promettante qui montre que le progressisme de notre ami chameau ne s'est pas encore volatilisé comme un mirage. Loin d'égaler l'épique éponyme de Pink Floyd, cette piste nous ramène pourtant au Camel qu'on aime avec un riff initial mélodieux, joyeux et allumé, que ne renierait certainement pas Thin Lizzy, et nous transporte à travers plusieurs sections aux ambiances variées où Ward, Latimer et Bardens font preuve d'une symbiose parfaitement maîtrisée, sans compter le chant, qui est lui aussi plein de félicité et particulièrement mouvementée, représentant des parties vocales plus accessibles que la moyenne. Sans aucun doute le chef-d'œuvre de l'album, les sept minutes remplies de joie d'Echoes sont un intermède parfaitement bienvenue, réconciliant progressif, hard rock et pop de façon concluante. Les titres successifs sont-ils à la hauteur? Ben, c'est bien ça le problème. Si Breathless (la chanson) avait pu dégoûter certains fans à l'époque de sa sortie, je n'imagine pas la réaction qu'ils ont dû avoir en écoutant Wing and a Prayer, super mielleux et beaucoup beaucoup trop bavard (même si ça fait plaisir d'entendre à nouveau et pour la dernière fois la douce voix de Peter Bardens), complètement surproduit et quasi insupportable à mon goût. Down on the Farm, première composition de Richard Sinclair dans le groupe, est une satire plutôt marrante du hard rock, avec un écart hilarant entre la dureté du riff introductif et les parties vocales heureuses et apaisantes. Starlight Ride n'annonce pas grand chose en plus à part les flûtes sans âme qui le parsèment ou l'absence regrettable de Ward, qui aurait certainement "épicé" le morceau. Puis arrive le très saisissant Summer Lightning, c'est-à-dire la naissance du disco-prog! Au début, j'ai eu du mal à blairer celui-ci, avec son putain de rythme disco, qui, bien qu'irrésistible, casse les couilles à partir d'un certain moment tout en ajoutant une touche de décadence... Mais ensuite, j'ai, comme pour la plupart de la musique que j'écoute, appris à l'apprécier et à découvrir l'étonnante experience musicale qui se cachait sous ce four-to-the-floor. D'abord, le décalage entre le solo de Latimer, car il s'agit incontestablement de l'un de ses plus longs et meilleurs soli de guitare, et l'intro pop et remplie de backing vocals est incroyable et pourtant quasi imperceptible. Les soli de synthés de Bardens, non plus, n'ont rien à voir avec la ligne de basse tapante de Sinclair ou la batterie disco de Ward, mélangeant rock progressif et disco de manière probante. Croyez-moi, cette chanson est un autre sommet de ce disque, certes moins bon qu'Echoes, démontrant une recherche et exploration musicale ficelée et (parfois) admirable. Le morceau après, en revanche, You Make Me Smile, exploite maladroitement les qualités de son précédent, donnant une ligne de basse lourde, funky et typiquement disco ayant quelques difficultés à fusionner harmonieusement avec le solo de clavier de Bardens et des paroles mielleuses, encore une fois superficielles, parlant d'amour, assurées par un Latimer tentant de chanter un peu plus aigu... en vain. Pas mauvais, mais pas excellent non plus. The Sleeper, unique instrumental de l'album, remonte la pente en mettant des saxophones inhabituels et très dansants de la part de Collins avec pour fond une ligne de basse accrocheuse et remarquablement construite par Sinclair, constituant pour le coup un morceau bizarre mais tout aussi amusant, créatif, et plaisant, en passant par l'intro énigmatique au synthé et de très bons soli de guitare dont seul Latimer a le secret. L'album se conclut sur une dernière excursion pop et dépourvue de batterie (quel dommage...) en guise d'adieu à Peter Bardens. Il faut dire que les falsetti de Latimer, criant de mélancolie, sont plutôt bienvenus et s'associent assez bien avec les instruments à vent de Collins.

1) Breathless (7/10)

2) Echoes (10/10)

3) A Wing and A Prayer (5,5/10)

4) Down on the Farm (6,5/10)

5) Starlight Ride (5/10)

6) Summer Lightning (8,5/10)

7) You Make Me Smile (7/10)

8) The Sleeper (8,5/10)

9) Rainbow's End (6,5/10)

(Le morceau en gras indique mon morceau préféré)

Breathless détient des avis très écartés au sein des fans, certains le trouvant génial et exemplaire en matière de pop progressive, d'autres le considèrent comme une trahison et critiquent son aspect ouvertement commercial. À mon sens, j'estime qu'il s'agit, somme toute, d'un disque tout à fait respectable qui présente une pluralité de facettes musicales homogènes et pour la plupart fidèles à l'esprit de Camel.

7/10

Herp
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le 15 mars 2025

Critique lue 15 fois

Herp

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