Comedown Machine
6.1
Comedown Machine

Album de The Strokes (2013)

En 2001 sort Is this it, et déjà la messe était dite. Album de la décennie, album d'un groupe, album que se traînera finalement les cinq New-Yorkais, comme un boulet au pied d'un prisonnier qui cherche en vain à s'évader. Depuis, les Strokes n'ont fait que s'éloigner du son abrasif, de l'urgence et des guitares tonitruantes des débuts. Le rock pur et dur a petit à petit laissé place à un son peut-être un peu plus funky, sinon beaucoup plus pop.

Exit aussi le son qui évoquait le New York canaille de la deuxième moitié des années 70, le CBGB, les Ramones ou autres Television, l'urgence du punk et le romantisme crasseux des soirées moites, qui traînait son désespoir dans les rues de la Grosse Pomme. Place aux années 80, d'abord avec First Impressions of Earth, leur troisième album, hommage à peine caché au hard rock FM, si l'on en croit les "Juicebox" ou autre "Visions of divisions". Oui, de l'eau avait coulé sous les ponts, et les cinq New-Yorkais avaient grandis. Aux guitares squelettiques des débuts, d'une telle simplicité qu'elles paraissaient si proches de la substantifique moelle, ils troquent des guitares gonflées à l'hormone, plus musculeuses et grasses, plus funs.

Déjà le "son" Strokes n'était plus. J'entends par là celui des vieilles guitares qui puent la bière et la pisse à la fois, le jean usé, cramé par les mégots. Et l'odeur de cyprine qui émanait des petites chattes de velours de ces filles BCBG dont on a tous rêvé à la fin du lycée, cette odeur qui flattait les narines et rendait inévitablement amoureux, avait disparu depuis longtemps déjà.

Angles sonne l'heure du retour inespéré. C'est peu dire que son enregistrement a été fastidieux, des morceaux jetés à la poubelle après une première session avec le producteur Joe Chiccarelli, il ne reste guère que "Life is simple in the moonlight". Dix ans après les débuts, le son a bien changé. Mais les années 80, elles, sont toujours là. Rien d'anormal lorsque l'on sait que Julian Casablancas, le chef d'orchestre de la bande, aime particulièrement cette décennie-là, élargie jusqu'à son maximum, jusqu'à la rupture, comme le montrent les Pearl Jam, Michael Jackson, Bob Marley, Nirvana qu'il affectionne tant. Et le rock des débuts de s'effacer, "Under cover of darkness", "Love is simple in the moonlight", comme un dernier tour de piste, derrière les "Machu Picchu", "Taken for a fool", beaucoup plus funky et beaucoup plus pop. Les claviers apparaissent aussi, comme on peut l'entendre sur "Games". Une suite logique à la progression entamée depuis First Impressions of Earth et sa seconde partie expérimentale, largement prolongée et développée sur l'album solo de Julian Casablancas, où les claviers tenaient le haut du pavé. A la différence des trois premiers albums, Angles n'était qu'un patchwork de chansons, une simple playlist avec quelques bons moments, rien de plus.

Si Angles n'avait pas d'atmosphère, difficile d'être aussi négatif pour Comedown Machine.
Tout se tient du début à la fin, l'ensemble est homogène.Il flotte au-dessus de tout cela, comme un parfum de fête, de légèreté retrouvée après le temps des reproches et des conflits. Certaines chansons paraissent faibles, notamment "All the time", curieusement encensée par certains alors qu'elle est d'une pauvreté affligeante en terme de composition. On tient avec ce titre, le refrain le plus plat et fainéant écrit par Julian Casablancas. Une déception qui avait pourtant tous les attributs pour "sonner" comme les Strokes des débuts. Comme quoi, l'habit ne fait pas toujours le moine. La preuve avec "One way trigger", un tube en puissance où les guitares restent en retrait, et qui pourtant se bonifie au fil des écoutes.

Tout parait pourtant si froid dans "One way trigger", et c'est vrai, dans un sens. L'instrumental semble cliniquement parfait, presque robotique, comme le jeu de Moretti à la batterie, qui a toujours plus ressemblé à une boite à rythme qu'à autre chose. Le cadre musical ne souffre d'aucun défaut, il n'y a pas un poil de cul qui dépasse. Il y a donc un rapport antagonique entre la musique et la voix, les paroles de Casablancas, et c'est là que le charme va s'opérer. D'un côté c'est ultra froid, de l'autre c'est vivant, humain, on sent la chaleur des émotions dépeintes pendant quatre minutes.

Il y a une richesse dans cette chanson qui se vérifie à chaque instant. Les mélodies y sont tout sauf plates et répétitives. Prenez le premier couplet, comparez-le au deuxième et voyez. Aucune ressemblance, des variations mélodiques, des nuances dans la voix de Casablancas qui portent à merveille des paroles toujours aussi mélancoliques, désabusées. Et c'est là que l'on retrouve le "son" des Strokes, dans cette espèce de mélancolie de trentenaire posé, obligé de mettre un terme à ses rêves à présent qu'il est devenu père "Find a job/ Find a friend/ Find a home/ Find a dog/ Settle down/ Out of town/ Find a dream... SHUT IT DOWN". Que sont "Is this it", "Someday", "Trying your luck", "Automatic stop", "What ever happened", "Under control", "Meet me in the bathroom", "You only live once", "Razorblade", "Ize of the world", "Life is simple in the moonlight", "One way trigger", "80s comedown machine" sinon des chansons mélancoliques ? Elle est là la clé des Strokes, bien plus que dans les guitares. Une couleur reconnaissable entre mille.

Avec "50/50", les Strokes montrent que s'ils le veulent, ils peuvent faire du rock comme au début. Ce titre est un pied de nez aux détracteurs, à ceux qui déjà à l'époque de Room On Fire critiquaient la proximité sonore avec Is This It. Lorsqu'un groupe prend des risques, il y a fort à parier que de nombreuses voix vont regretter le son d'antan. A l'inverse, lorsqu'il réutilise une recette qui marche, on prend souvent cela pour une preuve de paresse, voir presque de faiblesse. Si l'on s'entend à retrouver le son des débuts, celui qui a rendu les Strokes célèbres, alors on ne peut que être déçu. Il n'en reste pas moins que le groupe est encore capable de trousser de beaux morceaux, "Chances" et "Call it fate, call it karma" peuvent en témoigner.

Si album de trop il y a, dans la discographie du groupe, alors c'est à partir de Is This It. Lorsque l'on a sorti comme premier album, un album de cette trempe, dans lequel chaque chanson se pose comme une oeuvre aboutie, alors il n'y a pas trente-six solutions, soit on arrête tout pour finir sur la note la plus haute, soit on accepte de continuer et de retourner vivre parmi les mortels.
MC_Sauteuse
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le 7 avr. 2013

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