Là, il faut bien reconnaître qu'en 1980, au sortir d'un "Mirrors" qu'on avait détesté (même si depuis j'ai revu très positivement mon opinion sur cet album "MOR" du Blue Öyster Cult), on s'était pris cette claque magistrale qu'est "Cultösaurus Erectus" en pleine tronche, mais avec un plaisir inouï. Car derrière une pochette vaguement parodique - marrante, mais décalée par rapport à l'album -, on retrouvait un groupe méchant, monstrueux par instants (depuis "Tyranny and Mutation", le groupe n'avait plus joué aussi "dur" !), qui, cerise sur le gâteau, n'avait rien sacrifié pour autant de sa récente virtuosité pop. Et qui plus est, bénéficiant pour la première fois de sa carrière (et j'adore Sandy Pearlman, entendons-nous bien !) d'une production à la hauteur de son talent : en appelant à la rescousse Martin Birch, LE producteur de hard rock qui ne loupait aucun album, à l'époque, nos boys ont eu le nez creux. Du coup, "Cultösaurus Erectus" est une formidable machine à plaisir, qui combine toutes les qualités du BÖC, des riffs infernaux, des solos de guitare dantesques, des mélodies imparables, du chant grandiose - car Bloom est à nouveau aux commandes sur 6 des 9 titres -, et des textes aux petits oignons. Et il n'y a objectivement qu'un seul titre faible sur l'album - "Marshall Plan", trop décalé par rapport au reste des morceaux qui explorent pour la plupart des thèmes littéraires ou cinématographiques, mais toujours très sombres.


Revue de détails (rapide quand même) d'un album qui le mérite :


"I have this feeling that my luck is none too good / This sword here at my side don't act the way it should / Keeps calling me its master, but I feel like its slave / Hauling me faster and faster to an early, early grave / And it howls! It howls like hell!"


"Black Blade", co-écrit par Bloom et John Trivers, musicien extérieur au groupe, met en musique un texte d'heroic fantasy de Michael Moorcock, sur une épée diabolique qui possède l'âme de celui qui la manie, et qui gagne en puissance démoniaque au fil des carnages. C'est le morceau le plus épique et le plus long de l'album, qui frôle d'ailleurs le prog rock, et celui où le groupe se coule de manière efficace mais peut-être pas très originale dans les codes de la littérature qu'il illustre. Pour certains fans, c'est le plus beau morceau, pour d'autres, comme moi, on est presque dans la caricature du hard : oui c'est beau, mais un peu vain. Le final, avec bidouillages électroniques lorsque l'épée Stormbringer prend la parole est quand même assez amusant, et très efficace !


"Love never should have entered / It was never in the plan / We were finally going to have her / And let Joe be damned!"


Avec "Monsters", on monte d'un cran en qualité, et on a sans doute affaire à l'un des morceaux les plus impressionnants que le BÖC ait jamais composé, avec une imbrication de hard bien lourd et de dérapages jazz stupéfiants. Et puis il y a un travail merveilleux de Buck Dharma à la guitare (comme souvent, mais c'est cette fois particulièrement resplendissant dans un morceau aussi complexe !). Et pour finir, il y a ce texte dément et dérangeant, qui raconte comment sur un vaisseau spatial ayant permis à une poignée de survivants de fuir la planète promise à la destruction, l'amour pour une femme sublime (Pasha) et la fureur érotique mènent au drame. Un titre immense ! (Et c'est encore une composition de l'irremplaçable Albert Bouchard !)


"If he really thinks we're the devil / Then let's send him to hell"


"Divine Wind" ralentit le tempo, mais c'est pour balancer l'un des rares textes politiques du groupe. On est en pleine crise (dite "des otages") avec l'Iran, et Buck Dharma imagine comment un fanatique iranien se représente les USA comme lieu parfaitement diabolique : c'est simple mais extrêmement efficace. Et quelles parties de guitare, remplies d'émotion !


"Don't miss the deadline darling / Consequences are easily misconstrued"


Buck Dharma à nouveau, pour une ballade enlevée bien caractéristique de son style, dont la légèreté contraste avec la noirceur de son propos, puisqu'elle raconte l'histoire (vraie, dit Roeser) d'un deal ayant mal tourné. On est donc, cette fois, plutôt dans l'univers du film noir.


"Johnny wakes up dreaming turns on the radio / Than he jumps up plays his guitar in the mirror / Starts his day with a rock and roll pose / Tonight's the night that Suzy and he / Are going to a rock and roll show"


"The Marshall Plan", avec son titre jeu de mot avec les amplis Marshall, ouvre la seconde face dans une ambiance presque parodique de teen movie : tout le groupe a contribué à sa composition, mais on est dans le domaine du cliché, du rêve que le hard rock représente pour les ados, et la reprise du riff de "Smoke on the Water" dans une fausse ambiance live n'arrange rien. Pas un mauvais morceau, objectivement, mais il n'a pas grand chose à faire sur l'album.


"Friday night we take off heading for the city / To dance with the lady from the white snow country / And if she takes us home and we get a little love / That's something can't get enough of"


"Hungry Boys" ne déparerait pas sur le "Scary Monsters" de Bowie, c'est dire le niveau de qualité qu'atteint encore une fois Albert Bouchard, qui est vraiment le sorcier de l'album. La rythmique est infernale, les guitares grincent de manière surnaturelle, le refrain est irrésistible, la descente aux enfers des plaisirs interdits présente bien des attraits !


"When the brink of ruin lies / Upon the world angels shall rise / To lead the fallen now remember world / A fallen angel"


Composé et chanté par Joe Bouchard, "Fallen Angel* est un morceau un peu plus mineur, mais on apprécie la voix déchirée du bassiste avant de passer aux choses plus sérieuses, les deux dernières chansons qui vont clore superbement l'album.


"I am gripped by what I cannot tell / Have I slipped or have I merely fell / I feel gypped my senses telling lies"


Personnellement, j'adore, je vénère presque "Lips in the Hills", collaboration hyper-excitante de Bloom et Roeser sur un texte poétique lovecraftien de Richard Meltzer, oui celui de la trilogie noir et blanche ! Sans doute l'un des morceaux les plus intenses, voire violents, du Blue Öyster Cult, supérieur à mon goût à "Hot Rails to Hell", mais que le groupe a très peu joué sur scène. On se demande pourquoi...


"There was no light shining through the window / As Margaret lie in bed / She was wearing cotton pajamas / A crucifix above her head / She awoke from a dream, her eyes were open / Her lips were moving in the dark"


Cerise sur le gâteau, "Cultösaurus Rex" évite le syndrome BÖC habituel de la clôture sur un titre léger façon rock californien, et nous offre un délicieusement pervers "Unknown Tongue", certes très pop, mais aussi très troublant, avec une place prépondérante du piano, dans la ligne directe des meilleures chansons de "Spectres".


Voici donc un album intensément satisfaisant, qui vieillit encore mieux que le reste de la discographie du Blue Öyster Cult, grâce au travail de Birch. Mais le plus surprenant, eh bien, c'est que la même fine équipe va encore faire mieux dans le disque suivant, le superlatif "Fire of Unknown Origin" !


[Critique écrite en 2022]

EricDebarnot
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le 7 janv. 2022

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Eric BBYoda

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