Un dimanche après-midi à Tchernobyl ou Murat-le-Quaire. Il fait beau et froid. Le vent est fier. On a une heure à tuer avant que la réalité et les basses contingences ne nous rattrapent. On choisit un album, presque au hasard, comme si le hasard existait. On s’installe dans son fauteuil préféré. On place le casque sur nos oreilles. On appuie sur lecture. On ferme les yeux. On croise les mains sur son petit bedon… Et le voyage commence.
Popol Vuh (le premier qui ricane je le fous dehors) est un groupe de ce que les rosbeefs ont racistement appelé du krautrock, comprenez du rock progressif allemand des années 70. Il semblerait que les allemands ont, dans la musique qu’ils font, une patte reconnaissable, un exotisme continental, mittel-europa si vous voulez, bref, ils sonnent différemment et c’est tant mieux, ça change de cette hégémonie américano-anglaise, de cette acculturation mondiale dont nous sommes tous victimes : Disney, Macdo, Levi’s, Coca-cola, Nike, Hollywood,… tout ça et rien comme alternative. La mondialisation ou la mort, telle semble être notre destin.
Nous avons donc découvert ce groupe. Avant l’écoute, notre état d’esprit était celui d’un condamné à mort par ennui, travail et médiocrité du monde environnant à commencer par nos semblables, nos congénères que nous pouvons qualifier sans rougir d’engeance. Cette audition fut un vrai bain de jouvence, une régénération. Dans ce monde plein de brun, il reste encore, et même à notre âge quasi canonique, des belles choses à découvrir. Werner Herzog ne s’y est pas trompé le bougre. Cette album respire le bien, le beau et le vrai. Les musiciens sont tous excellents dans leur domaine. Le guitariste est un frère d’âme de Jerry Garcia. Le pianiste a un style très personnel. Il semble parfois hésiter à briser le silence et procède par touches impressionnistes, comme un peintre devant une toile blanche qui hésiterait à briser la pureté et virginité monochrome.
Il y a très longtemps, la musique n’existait pas. L’homme n’en avait pas besoin. Puis est venue la civilisation, ce lent pourrissement entropique. Alors la musique devint nécessaire à l’homme comme consolation. Elle fut d’abord sacrée et, la courbe descendant inexorablement, finit par devenir profane, puis, comble de la bassesse, populaire. Mais ça et là, il reste encore des individus touchés par la grâce, ne serait-ce que le temps d’un album et celui-ci en fait partie.
Le batteur, quant à lui, développe aussi un style très personnel, très loin du tchak-poum rock’n’rollien. Cela a peut-être échappé à notre attention mais il nous semble que sur cette galette, il ne joue pas une seule mesure du 4/4 basique que tout batteur débutant apprend lors de sa première leçon. Il préfère sculpter l’espace-temps et le silence à coups de cymbales et de toms, comme une ponctuation musicale de la prose de ses collègues. On me dit dans l’oreillette que le batteur et le guitariste sont une seule et même personne. Que demande le peuple ?
De loin en loin, une voix qui nous semble féminine vient apporter une cerise sur ce gâteau et qui plus est en allemand ce qui n’est pas pour nous déplaire.
La deuxième face de ce saint disque n’est constituée que d’un seul morceau. C’est un peu leur Echoes à eux et cette album serait leur Meddle, sauf qu’il y a du remplissage dans Meddle (on pense au clébard et à Saint Tropez) alors qu’ici tout est d’égale qualité. Et leur Echoes à eux est une vrai Odyssée musicale, grandiose, jamais bavarde ni trop longue, étiré comme certains paresseux on coutume de la faire. Preuve en est : le morceau se finit en fade-out. Ils auraient très bien pu encore continuer comme ça plus longtemps.
Quand le disque s’arrête, nous ouvrons les yeux. Dans ceux-ci brillent une lueur nouvelle. La petite musique de notre âme, la petite flamme qui brûle en nous à trouver là du combustible pour continuer encore un peu, à commencer par aller bosser demain. Il reste le souvenir de cette audition, comme un diamant trouvé en plein dans une veine de noir charbon.