Eragon … Malgré la sombre bouse qu’est le film, Patrick Doyle a bien du faire avec pour broder une Bo épique de ce nom sur un film (encore des dragons pour Doyle, il y est abonné, c’est au moins son 3eme après Excalibur, l’Epée Magique et Harry Potter IV !) qui ne l’est pas. En résulte le plus grand écart jamais observé entre la qualité d’un film et celle de sa musique.

Franchement, j’aurais bien aimé voir sa tête quand Stefen Fangmeier lui a présenté le long-métrage en lui demandant de pondre un score phénoménal avec pour seul support la daube qu’il venait de tourner. Bon nombre sont surpris voir choqués quand je leur fais écouter cette merveille, et que je prononce en même temps les mots « musique Eragon » tant l’écart est surnaturel. Mais bon, tout compositeur est passé par là, c’est parti pour une musique dragonesque.

Et nous avons droit à du Patrick Doyle pur jus. S’il y a une Bo à écouter de lui hormis HP IV, c’est celle-là. S’il y a une œuvre totalement représentative de son style, c’est celle-là. Pour commencer, l’orchestration est complète, rien à redire, l’ensemble fonctionne parfaitement en harmonie lors des généreuses envolées qu’on nous offre lors des séquences avec Saphira, elle fonctionne selon le schéma classique inspiré des plus grands compositeurs du début du siècle (Prokofiev, Stravinski, avec les notes au triangle qui ressemblent à une minuterie en fin de morceau …)
Déjà, le thème de notre héros (je parle d’Eragon, du moins, ce qu’il aurait du être, et pas de la contrefaçon d’Ed Speelers …): même s’il trichote un peu on remettant les mêmes arguments au bout de 2min pour aboutir au résultat final de 4min (c’est 2x2, en fait), "Eragon" n’en reste pas moins exceptionnel, une véritable définition de l’épique, dont le motif décrit très bien notre héros.

Un exemple pour illustrer le réel miracle de sa présence dans le film avec "Roran Leaves". Elle fonctionne de manière très logique : des cordes mélancoliques pour retranscrire la tristesse de la situation et des cuivres étouffés pour l’épreuve que notre dragonnier commence tout juste à endurer. La musique cherche presque à réconforter Eragon avec la reprise solennelle et chaleureuse de son thème (ce qui est sympa de sa part, parce qu’on aurait plus envie de lui coller trois baffes en guise de soutien, au héros). De cette manière, la musique agit comme un observateur extérieur, accompagnant les protagonistes durant les belles transitions, rugissant quand Durza cabotine avec ses chauves-souris, et pleurant aussi que le film le désire (pendant environ 2h30) quand le dragon-qu’on-croit-qu’il-est-mort-mais-en-fait-non est gravement blessé.

Cette Bo aurait été le soutien parfait pour un vrai film épique, en lui permettant de développer encore plus d’arguments, mais là, dans un film où tantôt l’on explose de rire, tantôt on cherche une corde à tâtons les yeux aveuglés par tant de niaiseries, seules nos oreilles sont comblées de bonne choses (la musique étant le seul point réussi du film ^^), et nous font vraiment demander si elle n’aurait pas du être pourrie un peu pour mieux coller au film, je sais pas, peut-être qu’il aurait fallu la remixer …

Du coup, le revers de la médaille, avec un long-métrage aussi pauvre, on ne se retrouve qu’avec 50 min de musique, et un seul grand thème, juste quelques motifs secondaires plus ou moins récurrents (par exemple de thème pour Galbatorix, pas de musique tout court, peut-être une volonté de la prod) avec un ensemble pas aussi diversifié orchestralement que pourrait une Bo d’heroic-fantasy : comme il faut bien coller aux registres développés … pardon, expédiés au burin par le film, il y a 3 catégories de musiques ici : les épiques, les martiales (qui précèdent donc les épiques) et les solennelles/tragiques. Pour l’épique, à savoir 90% de l’intérêt de la Bo : "Eragon", "Saphira’s First Flight", "If You Were Flying" (le thème d’Eragon, mais pour le film), le sublime "Ra’Zac" au cours d’une scène de vol hautement pathétique –‘, … Pour le martial, avec ses percussions valorisées, on aura "Durza", le début de "Battle for Varden", … A noter toutefois le début de "Fortune Teller", intéressant au niveau de l’ambiance mystérieuse qu’il procure.

L’autre défaut qui découle directement de la qualité du film est le fait qu’utiliser une orchestration pré-existante au style déjà formatée Doyle, en l’occurrence, nous fera penser qu’il s’agit d’une Bo pour heroic-fantasy, et non pour Eragon. En effet, en dépit de son motif principal, le tout pourrait être interchangeable avec n’importe quel film de dragon, aucune originalité particulière n’ayant été trouvé pour donner une identité propre à ce film. Il s’agit d’une Bo donc assez personnelle pour Doyle, mais impersonnelle dans le sens où elle ne fait que coller au genre et non à la particularité, que ce soit l’histoire, les personnages, … Il n’y a que le motif pour nous prouver le contraire, ce qui est un argument trop faible au vu de l’ensemble. Le film n’ayant aucune identité remarquable, comment la musique peut-elle en développer une, cohérente au matériau, tout en restant de bonne qualité ?

Enfin, fort heureusement, la bave du vieux blockbuster n’atteint pas la blanche musique, et Doyle a fait le choix de la qualité, et à donner une Bo magnifique de part en part, qui doit être traité indépendamment du nom qu’il porte (il faudra l’appeler « Bande Originale De » et vous enlevez « Eragon » … ou alors c’est la Bo du livre). Le souffle épique est clairement là, et les variations virtuoses du thème dans les (3) registres proposés permettent à la Bo de développer suffisamment d’arguments pour mériter le détour. Et félicitons chaudement Patrick Doyle (qui subit la malédiction des suites) pour avoir réussi à composer quelque chose d’aussi héroïque sur un film qui ne peut pas l’être moins.
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le 29 juin 2014

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