Faith
7.8
Faith

Album de The Cure (1981)

L'expérience ô combien réussie de Seventeen Seconds n'a visiblement pas décidé le groupe à se reposer sur une « marque de fabrique » ou sur un style bien défini qui a déjà fait ses preuves. En effet, si Faith, sorti l'année d'après (soit en 1981) s'inscrit bien dans la continuité de leur second album, il faut reconnaître que ce qu'il s'en dégage tranche singulièrement avec ce qu'on a pu entendre précédemment.
Malgré son atmosphère doucement torturée, Seventeen Seconds semblait posséder quelques reflets scintillants ; avec l'album suivant seul un épais voile blanc semble faire surface (la très belle pochette, réalisée à partir d'un cliché de la Bolton Abbey, est à ce titre en totale adéquation avec). Ce changement de ton, c'est sans doute avant tout à Robert Smith qu'on le doit : à un jeune homme qui, à 21 ans, réalise un disque désabusé de toute philosophie de la vie (ou plutôt de toute foi en la vie) et incroyablement hanté par l'idée de la mort. Disque personnel s'il en est, puisque il faut rappeler que Smith a grandi dans une famille catholique – et c'est précisément là qu'il retourne avec Faith, peut être aux sources de son mal.


Dès la première piste, « The holy hour », l'évolution du son curien frappe : la basse de Gallup, qui rendait presque dansants certains morceaux de l'album précédent, est devenue pesante et sombre ; la voix de Smith quant à elle est désormais beaucoup moins vive, presque spectrale. Son écriture a également quelque peu changé : les paroles mystérieuses de Seventeen Seconds ont en partie laissé place à des textes incisifs, comme si le leader des Cure cherchait à en découdre avec la religion qui a marqué son enfance – l'enfance qui hante d'ailleurs plusieurs titres du disque. De la même manière « Primary » (unique single de l'album), sous sa cadence plus rythmée et son chant plus énergique que le reste de l'album (à l'exception de « Doubt »), cache mal l'amertume et la nostalgie qui minent l'esprit du chanteur.
Puis vient le troisième morceau, « Other voices » qui, dans la lignée du premier, fait passer le disque à une dimension plus mystique, mais surtout plus angoissée. « Whisper your name in an empty room » : c'est bien ce que fait Smith, dont les prétendues « autres voix » ne sont que les échos de la sienne résonnant dans sa « tête brisée ». Quant au titre suivant, « All cats are grey », il évoque la mort d'une manière en apparence apaisée, mais en réalité effroyablement directe (« In the caves, the textures coat my skin » …) : écrit par Lol Tolhurst qui vient alors de perdre sa mère, il témoigne de l'implication du groupe entier dans l'écriture de l'album.


On entame alors la face B du disque de l'autre côté du miroir avec ce qui est l'un des sommets de l'album, « The funeral party ». Une batterie calme rythme doucement les nappes tristes et célestes qu'évoque le son des claviers, tandis que la voix de Smith – à la fois totalement désincarnée et profondément vibrante – semble pleurer un texte d'une beauté dépressive dans lequel « les rêves d'enfants sont des souvenirs gîsant sans vie au sol ». C'est encore une fois un morceau en apparence apaisé, mais en réalité d'une anxiété effroyable.
Comme son nom peut le laisser entendre, le titre suivant « Doubt » vient à contre-courant de l'atmosphère de l'album : dans un dernier sursaut de vie, Smith chante (cette fois sur un texte de Gallup) avec une fureur inouïe, presque avec haine, préfigurant d'ores et déjà le « One hundred years » du prochain album … Mais pour le moment, cet accès de folie meurtrière reste le dernier et ce sont bien la mort et l'abandon qui resurgissent avec le morceau suivant, « The drowning man ». Au long de ce véritable poème, Smith chante la mort d'une femme emportée par les eaux – mort à laquelle il semble finalement lui aussi se destiner, soutenu par une guitare incisive et une batterie asséchée qui confèrent au titre un caractère suffocant. Vient enfin « Faith », le morceau-titre de l'album, qui retourne une dernière fois vers le religieux. Après une lancinante introduction de deux minutes durant laquelle la guitare vient étrangement interférer avec l'imperturbable ligne de basse, Smith (dont la voix est plus que jamais lointaine) semble s'adresser directement aux concepts de foi (« But the mountain never moves », contrairement à ce qu'affirmait le Christ …) et de sacré, délivrant parfois des mots d'une violence sidérante (« Rape me like a child christened in blood »). Le morceau se termine sur la frénétique répétition de la formule « With nothing left but faith », comme si Smith cherchait à se persuader lui-même qu'il peut trouver force et salut dans ce sentiment - faisant écho aux mois d'errance existentielle qui ont précédé et nourri l'album. La musique achèvera de rendre vains ses espoirs : les instruments s'arrêtent un à un, sa voix finit par résonner seule, de moins en moins fort, et finalement se désintègre.


Bien qu'absolument brillant, Faith s'avère être un disque sans absolument aucune issue : pas la moindre once d'espoir ne s'échappe de cet album dépressif et désabusé de tout. À seulement 22 ans, Smith semble avoir une âme de centenaire ; qui plus est, à ce dégoût presque ontologique de l'existence vient s'adjoindre une addiction toujours plus forte aux drogues. De son preuve aveu, le chanteur n'avait à cette époque qu'un seul moyen d'échapper au suicide : laisser exploser tout son mal-être sur un disque. Ou, autrement dit, s'autodétruire symboliquement pour pouvoir prendre un nouveau départ. Mais ce « remède » sera plus que jamais synonyme de souffrance.

Trelkovsky-
10
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le 1 nov. 2013

Critique lue 1K fois

16 j'aime

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