Ce 4e album de Dream Theater en 1997 a bien failli causer la séparation du groupe et il reste aujourd’hui encore sans doute leur plus controversé. Après « Images & Words » en 1992, remarqué et remarquable, le groupe n’avait pas réussi à renouveler le succès du single « Pull me under ». Dream Theater est un groupe adulé par les critiques mais ignoré par le grand public. Leur maison de disques se fait alors pressente et les pousse à composer un album dont les singles pourraient passer à la radio…Les musiciens acceptent donc d’être produits par Kevin Shirley (devenu ensuite producteur à succès d’Iron Maiden et Joe Bonamassa). Et puis, ils sont aussi poussés à accepter le compositeur Desmond Child et là, la limite est franchie. Desmond Child était un hit-maker dans les années 80 et le garçon était derrière des hits comme « I Was Made For Loving You » (Kiss), « Livin’ On A Prayer » (Bon Jovi) et un paquet de joyaux magnifiés par Aerosmith lors de son impérial retour au milieu des années 80. Le contraste entre un Dream Theater, groupe progressif pur et un compositeur de hits rock parfaitement calibrés pour les radios et MTV est donc fort. On comprend les réticences du groupe surtout quand on sait la qualité des compositeurs présents dans la formation et sans que cela ne remette en question les compétences de Desmond Child. Les tensions dans le groupe deviennent logiquement de plus en plus lourdes car John Petrucci est plutôt pour ce projet; Mike Portnoy, lui, totalement contre car ne supportant pas l'intrusion de la maison de disques dans la création artistique.
Portnoy est d'ailleurs revenu récemment sur cet album en interview: "On n’était pas faits pour passer à la radio ou sur MTV. C’était un accident. Et pourtant, le label voulait retrouver ce succès à chaque fois. Ce n’est pas pour ça qu’ils nous avaient signés”. Les musiciens envisagent de se séparer pour se libérer des pressions à la rentabilité de leur maison de disques...On est donc dans cet album plutôt dans un format de « chanson » (le plus souvent de 5/6 mn), les morceaux longs étant rares (« Lines in the sand » de 12 mn et « Trial of tears » en conclusion de 13 mn). Même décrié, il y a quand même ici quelques bons titres : « Burning My Soul » et sa remarquable ligne de guitare (et sa ligne de chant), « Peruvian Skies » sont d’excellents morceaux. De même, « You Not Me » fonctionne superbement bien. On sent cependant que les pressions qu'ils subissent ont influencé certains morceaux ("Just let me breathe"...). Rien de honteux du tout, c’est même plutôt agréable à écouter, une tentative pour élargir leur public, mais les fans de Dream Theater ne s’y sont pas retrouvés et ont vu dans cet album une sorte de « trahison » du metal progressif qui est leur marque de fabrique pour une production plus lisse et plus "commerciale'" (radio friendly, dirait-on dans le monde anglo-saxon). Et c’est vrai que là, on y est plus vraiment même si le niveau technique des musiciens demeure exceptionnel. A noter une très belle pochette signée Storm Thorgerson (Hipgnosis) qui nous ramène aux heures de gloires du rock prog’. En réalité, l’échec commercial de cet album a permis au groupe de revenir de revenir à quelque chose de plus consistant et cohérent avec leur album suivant, «Metropolis Part 2: Scenes from a Memory » en 1999. Leur maison de disques ayant heureusement compris qu’il fallait leur redonner de la liberté.