Green Day et moi, c’est une longue histoire d’amour qui dure depuis plus de 15 ans. A l’époque, American Idiot (2004) avait véritablement dynamité mon univers musical jusque-là assez pauvre, avec un opéra-rock conceptuel aux accents révolutionnaires mais brandissant fièrement l’étendard -souvent conspué- du mainstream. Une fois cet uppercut musical assené et encaissé, et malgré un « affinage » de mes goûts au fil du temps, j’ai toujours conservé une réelle tendresse et une certaine admiration pour le trio (punk)-rock californien, même si les albums suivants ne réussirent malheureusement jamais à supplanter leur chef d’œuvre flamboyant.


C’est donc avec beaucoup d’appréhension que j’avais appris la sortie de l’album Father Of All Motherfuckers (2020), annoncé comme l’exact opposé de leur dernier album en date, le très politique Revolution Radio (2016) : on pouvait en effet s’attendre au même retour de flamme dévastateur qu’avait connu le groupe avec leur brûlot engagé 21st Century Breakdown (2009), réitération inconsciente d’American Idiot s’étant rêvée plus grande que son prédécesseur, et qui s’était vautrée en beauté, notamment handicapée par une production beaucoup trop lisse. Pour replacer les choses dans leur contexte, Green Day était sorti exténué de ce second opéra-rock boursouflé par une ambition démesurée, et nous avait par la suite gratifié d’un retour aux sources douteux avec une trilogie très power-pop rock beaucoup, mais vraiment beaucoup trop longue (la très décriée Uno Dos Tré (2013-2014)). On pouvait donc craindre que l’histoire se répète à nouveau, d’autant plus que les premiers retours laissaient entrevoir un virage très pop et « soul » (oui, oui), avec voix de falsetto et piano à gogo. Le tout condensé en 10 chansons totalisant 26 petites minutes. Aïe.


L’album enfin sorti en ce 7 février (ou plutôt leaké une semaine à l’avance, comme un coup marketing bien huilé), et si certains doutes subsistent quant à la qualité de l’album lors des premières écoutes, on peut être globalement rassurés par l’accident industriel qui a été évité. Sur la forme déjà, malgré une durée raccourcie à la machette et des chansons ne dépassant que très rarement les 3 minutes, l’album développe une certaine cohérence musicale. On sent que le groupe a voulu couper dans le gras pour ne garder que des coups d’éclats symbolisés par des riffs de guitares décomplexés et efficaces, une rythmique entraînante et des sonorités qui naviguent entre l’ancien et le nouveau. On peut également constater que le producteur assez orienté pop Butch Walker a voulu apporter un grain inédit au son du groupe, tout en leur faisant conservant leur identité musicale.


La plus grande fracture se trouve en réalité dans les influences manifestes du disque : là où par le passé Green Day était sous l’emprise hégémonique des Who et Queen pour ses œuvres plus conceptuelles, l’influence majeure qui irrigue ici l’ensemble du disque est sans conteste le groupe pop-rock américain Cheap Tricks. On se surprend même à imaginer la très énergique Sugar Youth figurer sur la prochaine compil rétro-nostalgique des Gardiens de la Galaxie ! Le tout saupoudré d’un hommage appuyé aux pionniers du punk qui ont bercé les membres du groupe, les Clash et les Replacements en tête.


Si on rentre plus dans le détail, certaines chansons apparaissent faiblardes en se révélant n’être que de pâles copies de ce qui a été fait avant : l’exemple tout trouvé est Stab In Your Heart, qui n’est en réalité qu’un succédané de It’s Fuck Time (Dos) ; Junkie On High tente sans succès l’ajout de sonorités urbaines comme Nightlife (Dos) ; Oh Yeah utilise un sample (loin d’être fou) de Joan Jett...


D’autres pistes au contraire valent le détour : Sugar Youth, déjà cité plus haut, n’échappe pas aux comparaisons avec ses aînées (puisqu’on peut y retrouver un soupçon de Christian’s Inferno (21st Century Breakdown) et d’Ashley (Dos)) mais s’inscrit comme une franche réussite, de même que Meet Me On The Roof et ses sonorités rétro à la Motown. Last but not least, la réelle pépite se trouve en dernière place avec Graffitia et son texte pourtant moins léger que les autres chansons (sur la désertification et l’oubli général des villes industrielles pauvres de la rust belt). Au final, c’est bien la side B de l’album qui est à retenir tandis que la première face de la galette (portée par des singles qui, encore une fois, ont été mal choisis) ne reflète en rien la qualité intrinsèque du disque, exception faite du sympathique titre Fire, Ready, Aim.


Sur le fond, les paroles sont moins vindicatives, sans réel message politique apparent ou déguisé comme dans les précédents opus du groupe. Il n’est ici question que de passer du bon temps et de constater l’état de la société (« party in apocalypse » dixit l’expression utilisée par le groupe en interview), sans porter de réel message sociétal revendicatif. On peut certes regretter un manque de parti pris dans les textes, mais l’impact politique de Green Day était tellement devenu caricatural, surtout depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, que le message véhiculé en était devenu gênant et assourdissant. En recentrant son contenu sur une approche plus égocentrique, Billie Joe Armstrong et ses compères offrent un disque à leur image : un instantané honnête et explosif, pourtant bien loin de proposer quelque chose de frais et d’innovant.


Il y a fort à parier que ce Father Of All Motherfuckers ne rentrera pas dans la postérité discographique comme Dookie ou Nimrod en leurs temps. Le nouvel effort de Green Day ne divisera pas autant les fans que prévu, et ce malgré les effets d’annonces de plusieurs médias qui s’époumonaient sur une véritable rupture dans le son : cela reste une œuvre intéressante, quoique peu originale.

Thibaulte
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le 10 févr. 2020

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