Il existe certainement un héritage de la musique de films dans l’espace, du film de Stanley Kubrick à la saga de John Williams, en passant par les partitions atonales de Jerry Goldsmith – ce dernier ayant beaucoup apporté au genre de la science-fiction. Cette histoire de la mélodie aux confins de l’univers se voit marquée par trois bandes originales récentes : celle de Gravity composée par Steven Price, véritable concept sonore, ouvre le bal, tandis que celle de Hans Zimmer, pour Interstellar, constitue l’épicentre de cette trilogie musicale. La troisième, enfin, demeure celle de Justin Hurwitz pour First Man, concluant un cycle de réflexion sur la mélopée là où elle ne peut se faire habituellement entendre. Le double de Damien Chazelle récupère de ses aînés : de Steven Price, il intègre l’idée d’une chanson étouffée que la voix explose pour mieux la libérer ; de Hans Zimmer, il emprunte au conte familial dessiné par le compositeur allemand, avec ces retours mélodiques, ceux-ci ramenant toujours Cooper au souvenir du foyer. Heureusement, la bande originale de First Man ne s’embourbe pas dans les citations faciles et les hommages factices, de la même manière que la composition de La La Land n’est pas une reprise des meilleurs morceaux de Michel Legrand. La référence, chez Justin Hurwitz, apparaît autant subtile qu’affichée. Avec la comédie musicale, le compositeur offrait une orchestration gargantuesque aux oreilles des spectateurs et des spectatrices, alors qu’avec First Man, il semble privilégier l’intimité des sections instrumentales, à l’instar de la partition de Whiplash. Qu’on ne se trompe pas : la frénésie de la batterie, pleine d’ambition et de rage, ne peut être totalement comparée à la timidité de la harpe, recouverte de deuil et de chagrin. C’est pourquoi l’analyse de cette bande originale ne se fait pas au microscope ; il ne s’agit pas de décortiquer chaque morceau, exercice beaucoup plus aisé quand on se penche sur La La Land, par exemple. D’ordre plus télescopique, l’étude musicale de First Man reste une discussion narrative, complètement cramponnée à la mission intérieure de Neil Armstrong. Moins élargie que ses grandes sœurs, la bande originale de ce long-métrage se contente approximativement d’une idée fixe, reliée à la perte d’un enfant, et qui se greffe partout : dans la famille Armstrong, à la N.A.S.A. ou, encore mieux, sur la Lune.



The Armstrongs :



https://www.youtube.com/watch?v=PhdQMCOFyFQ


Karen, fille de Neil et de Janet Armstrong, est invisible par les images dès lors que son corps appartient désormais à la Terre ; elle reste pourtant audible grâce à la voix musicale qui s’incruste dans l’imaginaire auditif du spectateur et de la spectatrice. Ainsi, la musique de Justin Hurwitz établit très rapidement le passage de la vie à la mort, de la Terre à la Lune, pour cette enfance endormie trop tôt. La harpe renvoie effectivement à cette sphère onirique qui entoure la jeunesse, de même qu’elle imbibe le rêve ultime de marcher sur le satellite naturel. Il y aurait par conséquent une symbiose entre la mission de Neil Armstrong, qui est d’être le premier homme à fouler la Lune, et les songes utopiques de l’enfance : l’expression de cette conjugaison s’affirme très clairement dans The Landing. Auparavant, la partition de Justin Hurwitz nous décrit ce chemin mental en manifestant le thème de Karen dans des citations musicales très brèves. Dès lors, le morceau Karen expose la mort de cette dernière comme un endormissement vers le monde du sommeil éternel, la plonge dans une nuit infinie. L’enfant ferme ses yeux à jamais quand ceux de son père semblent tout le temps éveillés, fixés sur le ciel et les étoiles. Pour nous signifier cette perturbation dans la vie de Neil Armstrong, le morceau débute par la fin du thème purement mélodique de cet ange, puis, lorsque le parent caresse une dernière fois la chevelure blonde de Karen, Justin Hurwitz révèle les premières mesures de ce poème lunaire. Métaphoriquement, le musicien associe la petite fille à la Lune, si bien qu’à chaque fois que le personnage interprété par Ryan Gosling regarde l’astre nocturne, c’est comme s’il contemplait sa progéniture. D’autre part, le morceau Squawk Box revient complètement sur le thème de Karen, l’exposant entièrement, de la première phrase à la dernière, avec cette même douceur, cette magnifique candeur de l’innocence dans une nuance piano. Chaque note semble précieusement pincée sur les cordes d’une harpe qui grimpe la hauteur de son chant. Par ailleurs, l’alternance entre des valeurs courtes et des valeurs longues des notes renforce, sans aucun doute, la poésie de ce moment instrumental. La mélodie semble ne plus vouloir s’arrêter : Karen désire vivre autrement que par les captures de la caméra. De même, la solitude de cette harpe, qui s’accouple avec de longs silences, se voit consolée par l’intervention des synthétiseurs au bruit sourd en contre-temps. En outre, l’intelligence de la bande originale, et sa fantastique utilisation par Damien Chazelle, est attestée grâce au morceau Baby Mark : le thème de Karen, refrain mortel, fait naître un nouvel être. On assiste de fait à un retournement symbolique du thème : alors qu’il accompagnait Karen dans l’allée des défunts et des défuntes, il berce désormais la vie d’un autre enfant.


Pour ajouter de la complexité au récit musical, Justin Hurwitz écrit un autre thème, une autre odyssée, cette fois-ci plus cyclique avec un tempo plus affirmé. Le morceau The Armstrongs utilise une nouvelle fois la harpe, celle-ci servant de rappel au thème de Karen, mais elle décrit maintenant les relations mouvementées qui existent dans la famille des Arsmtrong. Autrement dit, le deuil laisse une emprunte affolante dans ce foyer perturbé par un nouveau voyage céleste, celui de Neil Armstrong. La vitesse affichée de la mélodie exclusive se solidifie grâce à une clé de fa appliquant l’harmonie à chaque temps. La montée, d’octave en octave, de l’instrument rêveur personnifie cette inévitable poursuite vers la Lune, cette mission entêtante qu’assume Neil Armstrong pour cajoler une dernière fois le visage de sa fille en apposant son pied sur l’astre de la nuit. De la même manière, le thème des Armstrong, pour ne pas dire le thème du père et de l’époux, refuse très clairement les modifications harmoniques, trace une ligne droite entre la Terre et la Lune, entre Neil et sa fille, une relation directe que personne ne peut entraver. C’est pourquoi l’on observe, en réalité, très peu de modulations dans cette bande originale de First Man. Ce dynamisme, retombant sans cesse sur les mêmes notes (Sol, Ré, La#), témoigne de l’acharnement et de l’obsession de l’astronaute dans sa quête psychanalytique. Les doubles-croches ne formulent pourtant pas un ostinato, ce qui indique que la tâche que se fixe Neil Armstrong est évolutive, qu’elle n’est pas, à l’origine, vouée à l’échec, et que sa seule satisfaction adviendra sur la Lune. Cependant, le calme regagne parfois la maison des Armstrong, et le père endosse dès lors son rôle terrestre en s’amusant avec ses deux garçons, en partageant quelques élans de tendresse avec son épouse marquée également par la solitude, la perte de sa fille, et l’absence de son mari. Ces quelques moments d’accalmie effleurent le thème de cette famille, le reposent dans un morceau intitulé Sextant. Ce dernier débute par une octave haute, puis la ritournelle mélodique s’apaise, s’abaisse, s’affaisse. La tranquillité affichée de Neil Armstrong ne dure malgré tout qu’un instant car la musique va crescendo ; des notes tenues aux violons, à peine audibles, propagent la tristesse éplorée de cet homme de plus en plus muet. Son isolement se constate dans le rejet de tout autre accessoire musical autour du thème, les tremolos des synthétiseurs ne suffisant pas à contenir le chagrin de l’homme endeuillé. Le tempo moins exigeant que celui de The Armstrongs permet alors de soulager musicalement la peine de l’astronaute. Rien qu’un temps, seulement, car l’objectif spatial de Neil Armstrong s’imprime dans la voie musicale choisie par ce dernier. Tout, dans la partition de Justin Hurwitz, doit mener à la conquête de la Lune, à cet au-revoir définitif entre un père et sa fille.



From Gemini 8 … :



https://www.youtube.com/watch?v=d-OwHUmvJr4


S’il ne reprend pas la structure mélodique et harmonique du thème de Neil Armstrong, le thème de la conquête spatiale, quant à lui, exprime la même ardeur et la même volonté de marcher sur la Lune. Pour autant, et c’est là que l’on identifie la sagesse musicale de Justin Hurwitz et de Damien Chazelle, le thème de la N.A.S.A., pour le dire de cette façon, apparaît totalement absent dans les séquences finales, à savoir à partir du moment où Appolo 11 décolle. C’est qu’il est par conséquent étranger à cette opération intime de Neil Armstrong, que son ambition reste uniquement personnelle, et que la mission scientifique ne concerne pas la scène lunaire. Le thème de la N.A.S.A. sert simplement, à Neil Armstrong, d’entraînement puis de tremplin pour son aventure domestique. En même temps, le thème de la conquête spatiale, que l’on entend tout d’abord dans Multi-Axis Trainer montre les enjeux sociétaux de ces interventions cosmiques, tant le son qui s’en dégage a quelque chose d’infiniment intriguant, rappelant les partitions à suspens des films politiques. La guitare a alors remplacé la harpe, avec des hauteurs de notes plutôt basses, et elle exhume son ostinato à la manière d’une alarme qui ne cesse jamais de chanter, qui n’a en fait pas le temps s’amollir. Les doutes de la guitare, incapable de se métamorphoser mélodiquement, répondent à ces tâtonnements techniques de la N.A.S.A. Quelques notes tenues forte, çà et là, de trombones en manque de grandeur, ironisent sur le patriotisme quasi-inexistant de First Man. Pour la première fois au cours de cette analyse, l’accent sonore du thérémine s’interpose dans une piste de la bande originale, mais sa diction incertaine indique facilement l’incertitude des équipes de la N.A.S.A. tout le long du film de Damien Chazelle. Une fois que tout est accompli, qu’Apollo 11 est irrévocablement conclu et que les trois astronautes s’enferment en quarantaine, le End Credits, triomphant mais aussi lourd de pertes, peut enfin s’acclamer, en reprenant le thème de la conquête spatiale. Conséquemment, la pièce orchestrale impressionne par le gigantisme symphonique communiqué par quatre-vingt quatorze pupitres. End Credits affirme dans ce cas son progressisme instrumental à travers un crescendo qui ne peut toutefois balayer le prix humain de ces expériences galactiques. La répétitivité de l’ostinato à la guitare et aux claves s’exclut peu à peu de l’histoire musicale racontée avec beaucoup de lyrisme par les cordes, aidant l’admirable legato d’une flûte courageuse au milieu de cette montagne de trompettes, de cors et de tubas. L’instrument à vent matérialise en quelques sortes la bravoure de l’humanité, fourmi de l’univers, face à l’extraordinairement grand, l’espace martelé par les cuivres percussifs. End Credits se termine toutefois par le retour decrescendo de l’ostinato, signifiant que d’autres missions pourront encore voir le jour, et que l’ode stellaire n’est jamais pleinement achevée.


Comme dit auparavant, les missions de la N.A.S.A., telles Gemini 8 et Apollo 11, restent intimement liées à la quête personnelle de Neil Armstrong, ce dernier cherchant systématiquement à introduire ses affaires intimes dans ses objectifs professionnels. Pas étonnant, donc, de retrouver le thème de Karen alors que nous nous situons hors du foyer des Armstrong, parfois même au-delà de l’atmosphère terrestre. Une première inclusion du thème de Karen dans les ambitions de la N.A.S.A. se manifeste dans le morceau Houston, tandis que l’on explique la conquête de la Lune aux astronautes. Pour le dire autrement, la conquête de l’astre de la nuit est musicalement associée au thème de Karen, ce qui maintient l’idée selon laquelle Apollo 11 reste et demeure l’histoire d’un père à la recherche de sa fille. Bien entendu, le fait que le morceau soit dissimulé par les dialogues et les explications scientifiques permet de masquer ces intrusions familiales au sein des plans de la N.A.S.A., et sert par conséquent la cause de Neil Armstrong qui doit cacher ses émotions pour parvenir à son but. Pour mieux abriter tout ceci, Justin Hurwitz module très implicitement le thème de Neil Armstrong pour qu’il paraisse plus enjoué sur des violons et des altos staccato amusés. De plus, l’intervention des castagnettes et des claves ajoute ce supplément d’entrain à la piste symphonique. La délicieuse harpe tente malgré elle, quelques notes malicieuses, toutes discrètes. Mais la première minute du morceau passée, la flûte et la clarinette entament les dernières mesures du thème de Karen. Débusquée, la clarinette mime le thème en le basculant vers un ton amoindri, et c’est alors que le thème de Neil Armstrong extasie sa vigueur pour éteindre toute interrogation. Au contraire, il semble que le thème de Karen ait moins besoin de se cacher dans le morceau Docking Waltz, véritable petit plaisir référencé de Justin Hurwitz à d’autres compositeurs classiques ou de musique de films. Il y aurait beaucoup à rapprocher des premières mesures de cette piste au Main Title de Jerry Goldsmith pour le premier volet de la saga Alien. Une même étrangeté, gravissant les monts atonaux de la musique, fabrique les prologues de ces deux morceaux. On entend vaguement le thérémine et le moog synthesizer prononcer des paroles incompréhensibles dans le cosmos. Après quoi, Docking Waltz se familiarise davantage avec les travaux de Johann Strauss II pour Le Beau Danube Bleu, tout en y mêlant la récréation du thème de Karen, fièrement valsé par la liaison sans faille des cordes gracieuses. Ce n’est pourtant qu’un simple divertissement puisque les modulations du thème de Karen s’éteignent peu à peu, endormie par la flûte et la harpe, malgré une dernière tentative de la clarinette de faire danser l’enfant morte dans les étoiles. Neil Armstrong s’approche de la guérison avec Gemini 8.



… To Apollo 11 :



https://www.youtube.com/watch?v=sr2EnBzyjfc


Certains s’enchanteront de la beauté aérienne de The Landing ; pour ma part, dès le visionnage du long-métrage, mon attention se porta tout particulièrement sur le morceau Apollo 11 Launch, presque une anomalie auditive de la bande originale de First Man. Morceau plus que cinématographique, à la manière de Shenzou dans la partition de Gravity, Apollo 11 Launch transporte l’espoir d’un homme vers la Lune avec une accablante mélancolie. A l’inverse de Shenzou, qui ramène Ryan Stone (Sandra Bullock) sur Terre, non sans danger, la piste présentée par Justin Hurwitz met en scène un décollage risqué en-dehors de la planète bleue. L’introduction d’Apollo 11 Launch se fait aux synthétiseurs goldsmithien tandis que les astronautes rejoignent le vaisseau spatial. C’est, très certainement, la plus belle scène du film : ces champs/contre-champs entre le regard de Neil Armstrong rivé sur la Lune et celle-ci à travers un hublot, comme si la fixité de ces yeux à l’expression déterminée permettait la réussite de cette propulsion. Les plans généraux sur la fusée, découpés par la musique toujours grimpante des cordes legato, renforcent la symbiose qui existe entre l’image et le son. Les violons arrachent leurs notes sur leurs cordes fortes malgré l’effort surhumain à fournir tandis que la harpe maintient le rêve éveillé. Les percussions, surexcitées, et les trombones déjà victorieux constatent la puissance technologique et émotionnelle soulevée lors de cette séquence, avant que tout ne s’assagisse à travers un accord célébrant le succès de cet envol. Cependant, il ne s’agit pas de cacher la splendeur orchestrale de The Landing. Toutes les sections instrumentales sont convoquées par Justin Hurwitz pour célébrer l’ultime discussion entre Neil Armstrong et Karen. Sans introduction, le thème du père astronaute retentit chez les violons, bientôt accompagnés par de multiples percussions (timbales, caisses claires, grosses caisses) qui affermissent la mélodie jamais défaillante. De nouveaux instruments à cordes se rajoutent, tels que les altos et les violoncelles, pour annoncer le lyrisme à venir en reprenant les dernières mesures du thème de Karen. Le voilà éclatant, rugissant, conquérant ! L’accord tutti de l’orchestre transperce l’univers et le thème de Karen traverse la peinture filmique fortissimo avec une élégance sans pareille. Fort de cette clameur philharmonique, le thème de Neil Armstrong continue de tracer son chemin sérieusement, consolidés par quelques mesures cuivrées du thème de sa fille : la dernière rencontre entre les deux vient de commencer. Cette ribambelle instrumentale s’efface d’un coup crescendo alors que le hautbois essoufflé assène, pour conclure pacifiquement l’atterrissage, quelques notes du thème de l’astronaute. La musique cède sa place au silence paisible de la Lune qui accueille, pour la première fois, l’humanité.


Surtout, le satellite naturel invite un homme à fouler son sol, à caresser son manteau grisâtre avec autant de délicatesse que l’on câline les joues d’un enfant. Après avoir modestement contemplé l’ange lunaire, Neil Armstrong se dirige vers un cratère où l’abîme reçoit un totem familial, un bracelet de Karen amené par son père durant l’expédition. En le donnant à la Lune, il enterre pour toujours ses remords, et Karen trouve enfin son cercueil éternel. Le morceau esquissant cette scène se nomme Crater. Justin Hurwitz utilise – au sens strict car c’est lui qui joue cet instrument – le son particulier, pour ne pas dire unique, du thérémine pour musicaliser la voix de Karen qui n’a pas pu éclore. Non par les mots, mais par les notes, la petite fille s’adresse à son père qui autrefois la consolait. C’est à elle, maintenant, de choyer son paternel en lui chuchotant d’abord sa mélodie piano. Puis elle grandit dans la hauteur de ses phrases, comme pour signifier l’éloignement nécessaire à établir, comme pour écarter le deuil qui ne peut plus tenir. Le tremolo des synthétiseurs, puis les notes tenues decrescendo des cordes, emmènent définitivement la fillette hors de portée après quelques larmes versées. First Man raconte également la réconciliation d’un homme avec son foyer, chose faite après les funérailles lunaires de Karen, puisque Neil Armstrong revient directement sur Terre, dans le récit cinématographique, en tout cas. Cette ellipse rapproche alors très rapidement les deux parents, tandis que tout le reste du long-métrage les écartait lentement l’un de l’autre. Le thème de Neil Armstrong se fait plus prudent dans Quarantaine, morceau concluant l’odyssée, alors que le visage de Janet s’imprime sur celui de son époux grâce au miroitement de la vitre qui les sépare. Les relations entre les deux amants apparaissent apaisées, et quand ils se regardent, ils se racontent sans prononcer, ils se disent sans parler, ils essaient de se toucher sans s’atteindre à cause du verre. Pourtant, ils sont plus proches que jamais, parce que l’image et la musique les fusionnent – au sens propre. Le thème de l’astronaute s’est modifié, devenant plus léger (Do#, Mi, Sol#), et le mode ternaire en 6|8 unit davantage Neil à Janet, tout comme il joignait magnifiquement Sebastian à Mia dans la bande originale de La La Land. Ensuite, l’époux rapporte avec lui, entremêlé à son thème, les doux mots réconfortants de Karen, tels qu’ils sonnent au thérémine dans Crater, les transmet à la matriarche et l’ultime berceuse se conclut par étreinte musicale entre les deux mélopées. Le chant tremblant de l’instrument lunaire, à savoir le thérémine de Karen, trouve un écho lénitif dans les bras de ses parents, et de cet adieu naît le regard de Neil Armstrong pour son épouse, les yeux tout entiers pour elle. La vue de l’astronaute abandonne le ciel, sa vision d’homme gravite enfin autour de Janet.



Moonwalkers :



Quatre films de Damien Chazelle donnés aux cinéphiles, quatre partitions de Justin Hurwitz offertes aux mélomanes. Le compositeur délaisse quelque peu ses délires rythmiques de Whiplash, ses envolées orchestrales de La La Land, et produit une bande originale thématique pour First Man. C’est à la fois un objet sonore soumis à des essais acoustiques évidents et une proposition musicale intelligente dans ses choix instrumentaux (la harpe et le thérémine) et la construction de ses thèmes, principalement celui de Karen et celui de Neil Armstrong. En fait, la bande originale de First Man s’apparente à une longue berceuse, un bonne nuit qui ne finit pas, comme le voulait Johannes Brahms regardant dans les rêves du paradis (Guten Abend, gut’ Nacht). Il n’y a, à priori, pas de musique dans l’espace. Aucun bruit ne s’entend dans le désert de l’univers. Avec l’aide du cinéma, les compositeurs ont marché sur la Lune.


Guten Abend, gut’ Nacht,
mit Rosen bedacht,
mit Näglein besteckt,
schlupf’ unter die Deck!
Morgen früh, wenn Gott will,
wirst du wieder geweckt.


Guten Abend, gut’ Nacht,
von Englein bewacht,
die zeigen im Traum
dir Christkindleins Baum.
Schlaf nun selig und süß,
schau im Traum’s Paradies.

Nonore
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le 11 nov. 2018

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