Le meilleur album des années 80 est sorti en 1977.

Il est de ces disques qui vous transportent si loin qu'ils finissent par vous dépasser, puis par vous perdre, vous laissant démunis de tout repère, qu'il vous convient de bâtir par la suite. Il est de ces disques qui vous transcendent et deviennent inconsciemment vos petits maîtres à penser. From Here To Eternity est de ces disques qui vous dépassent et à qui il faut entièrement s'abandonner pour en profiter pleinement.

Parfois je me dis que rien n'est hasard : si je suis petit, dodu et que je fais l'amour salement, ça doit forcément être à cause de From Here To Eternity. De toutes façons je ne vois pas d'autres explications. J'ai même tenté la moustache mais je dois bien avouer que ma pilosité sub-nasale n'est pas aussi extraordinairement enchanteresse que celle de Giorgio. Qu'importe.

Un jour quelqu'un m'a dit que Discovery des Daft Punk était la réponse moderne à la disco. Ce jour là, je n'ai pas compris. Car ce jour là, je n'avais pas encore eu le bonheur de rencontrer FHTE. Ce jour là, dans mon esprit bien étroit, la disco c'était des saxophones gays et des violons transpirants, alors le rapport avec le synthétique et le cosmos de Discovery ne m'a pas sauté aux yeux. Et puis, plus tard, j'ai découvert cet album avec un étrange moustachu en cover, et j'ai compris : le rapport entre Discovery et la Disco, c'est From here To Eternity.

Giorgio avait déjà créé l'érotisme mécanique en rallongeant de 14 minutes Love To Love You Baby de Donna Summer en 1975, puis l'avait mystifié en 77 avec I Feel Love, ultime concrétisation de ses fantasmes sexuels. A la production, il faisait de Donna Summer un robot sensuel générateur automatique d'orgasmes.

C'est sur ces bases, qu'en 77, Giorgio aborde son nouvel album. Après Knights in white satin, en 76, où il offrait à la disco une œuvre langoureuse et sexuelle dépourvue de toute subtilité (qui peut faire mieux que "I wanna funk with you tonite" ?), il se tourne vers les fantasmes futuristes, l'espace, les robots, les mécaniques, les synthés fumants et les vocoders railleurs, sans jamais oublier la touche érotique qui avait tant fonctionnée sur I Feel Love.

Le morceau d'ouverture éponyme est, en ce sens, la continuité du travail de Giorgio sur I Feel Love. From Here To Eternity s'étend en fait sur toute la face A. Dès les premières mesures, un voix robotique chantonne "From here to eternity that's where she takes me, [...] with love, with love, with love" en guise de préliminaires à ce qui ressemble fort à une aventure erotico-spatiale. Beats métalliques et synthés organiques battent le rythme de cette danse qui ne finira qu'au tréfonds de l'espace, avec en prime des échos non moins évocateurs, pour l'accompagnement. L'album donne le ton : il sera plus subtil que son ainé, mais ira bien plus loin.

Ce tube futuriste n'est rien d'autre qu'une amorce. Giorgio montre clairement son talent de compositeur hors norme, il propose un voyage dans la 4ème dimension et d'oublier tout ce que l'on sait alors sur la disco. Il est encore temps de faire demi-tour, pour ceux qui sont effrayés par l'idée de faire l'amour à un robot en orbite, car une fois happé, c'est l'expérience ultime. L'âme du morceau se prolonge sur les suivants (même si tous sont uniques, ils ne sont qu'excuses pour rallonger le fantasme), jusqu'à boucler la face A, le tout indivisible et cohérent, grâce à la production incroyable de Giorgio.

La face B se veut moins lisse, ou du moins, plus classique. Il ne s'agit plus de prolonger un morceau mais bien de trois tubes disco, toujours sensuels, futuristes et mécaniques. Écouter la voix robotisée répondre à une autre, mieux audible, plus humaine et sexy sur fonds de ricanements synthétiques "second-hand-love" sur First Hand Expérience In Second Hand Love, prolonge le fantasme initié par la face A.

I'm Left, You're Right, She's Gone, prouve à la planète entière que les violons de la disco peuvent -et doivent- être remplacés par les synthétiseurs, ces puissants vecteurs d'émotions venus du futur. L'utilisation du vocoder se veut également prophétique le tout soutenu par un beat froid et métallique. La conclusion du voyage est plus légère : Too Hot To Handle est un morceau au groove langoureux et chaud, toujours synthétique, toujours robotisé et disposant d'une ligne de synthé incroyable et initiatique.

From Here To Eternity n'est pas un album comme les autres, il est un de ces albums fédérateur et visionnaire, comme le sont ceux de Kraftwerk. Il porte en lui l'âme du space disco et toute l'essence des années 80. The Chase, sorti la même année, ne fera que concrétiser l'idée qu'on a déjà un pied dans l'italo disco, et qu'on est déjà pas très loin de la House. En une petite demi-heure, Giorgio profite des joies de l'hyperespace et des années lumières pour faire un saut dans le futur et dévoiler tous les trésors de beauté que nous offriront par la suite les années 80.
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le 29 janv. 2012

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