Head Carrier
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Head Carrier

Album de Pixies (2016)

Je fais partie de ceux, pas encore suffisamment nombreux, qui considèrent que les Pixies ont eu une importance aussi grande dans l’histoire du rock que les Beatles. Cette importance, les Pixies la doivent plus à leur génie propre qu’à leur succès. Entre 1987 et 1991, ils auront non seulement aligné les morceaux de génie (pas un seul déchet parmi leur centaine de chansons), mais carrément changé la face du rock, ouvrant la voie au renouveau grunge du punk-rock, et s’attirant les éloges de personnalités aussi imposantes que David Bowie, PJ Harvey ou Thom Yorke.
L’erreur à ne pas commettre, mais dans laquelle tombent malheureusement trop de critiques, est de juger des deux nouveaux albums des Pixies (le très sous-estimé Indie Cindy en 2014, Head Carrier aujourd’hui) à l’aune de ces débuts inoubliables.
Le malheur pour Black Francis est qu’on n’a jamais vraiment reconnu son rôle majeur dans la réussite de la formule Pixies. Il est clair que c’est dans sa relation d'amour et de haine (réécoutez Vamos, Tame ou Hey) envers Kim Deal, qui a quitté le groupe, qu’il a puisé beaucoup de ses coups de génie. Et Deal avait le sex-appeal qui manquait aux autres membres. Pour beaucoup de fans des Pixies, le groupe ne pouvait donc pas exister sans elle.
Il faudrait commencer à admettre que 99% des chansons des Pixies ont été composées par Black Francis. De ce point de vue, rien n’a changé. Il faudrait aussi reconnaître l’originalité décisive du jeu pointilliste et inspiré du guitariste soliste Joey Santiago, jeu qu’on retrouve tel quel tout au long de Head Carrier. Et surtout, il est important de mesurer que 25 ans ont passé depuis Trompe Le Monde, et qu’il est évidemment impossible pour les Pixies de refaire à l’identique la musique de leurs débuts.
La meilleure manière d’écouter Head Carrier est donc d’oublier Doolittle et de considérer le nouvel album pour ce qu’il est : un album aussi riche d’influences que de mélodies imparables.
Dans l’ordre : Head Carrier, cousin des montagnes soniques de Neil Young, sort des dents menaçantes avant un refrain somptueusement lyrique : « I’m going down the drain – again », où l’on voit que les Pixies sont toujours capables de prendre des virages inattendus, sources inépuisables d’émotion ; Classic Masher, que Black Francis a longtemps joué seul sur scène et qui a toujours eu la faveur des premiers cercles de fans, est une merveille de power-pop concentrée à laquelle la nouvelle bassiste Paz Lenchantin apporte un contrepoint vocal bouleversant ; le ciel s’assombrit de nouveau avec Baal’s Back où l’on retrouve le mur de guitares sous influence Hüsker Dü de Rock Music (Bossanova) à peine dominé par les hurlements impressionnants de Black Francis ; Might As Well Be Gone est une ballade country-psychédélique un peu évanescente qui se justifie par l’évocation d’un quasi-fantôme ; Oona (du nom de la petite-fille d’André Breton) entrelace plusieurs mélodies dans un collage ingénieusement organisé, où l’on retrouve avec grand plaisir la voix plaintive de gamin cinglé de Come On Pilgrim et Surfer Rosa : « I wanna be in your band » s’y lamente désespérément Black Francis ; Talent nous jette dans un tourbillon de guitares avant de nous entraîner à un rythme effréné dans l'histoire trop courte d’un découvreur de talents qui ressemblait à Jack Palance et qui finit en raté : à peine commencée, la chanson se termine, et plusieurs écoutes sont nécessaires pour la savourer pleinement ; Tenement Song est, avec Um Chagga Lagga, le morceau le plus représentatif du vieux-style Pixies : un couplet à la mélodie à la fois tendre et inquiétante suivi d’un refrain puissant, mélange de rock noisy et de pop, où les paroles évocatrices font moins sens qu’elles ne donnent à rêver ; Bel Esprit est la chanson la plus country et la plus évidente de l’album, Paz Lenchantin y chante à l’unisson avec Francis, et la simplicité du morceau permet de mesurer tout ce que les Pixies y apportent d’original : une expressivité à mi-chemin entre souffrance et colère, qui se dissout en rêverie dans l’outro avec une brillante mélodie surf de Joey Santiago ; All I Think About Now est une méta-chanson où Francis rend hommage à Kim Deal en empruntant au célébrissime Where Is My Mind quelques-uns de ses gimmicks : ce morceau étrange semble hoqueter, les guitares électriques bégaient leurs accords avant de se lâcher à la fin, comme enfin libérées du poids du message chanté par une Paz Lenchantin souveraine : « Can I thank you now ? I’m gonna try anyhow » ; Um Chagga Lagga, morceau desert-rock furieux, nous offre un échantillon de folie pure et de plaisir rock’n’roll primaire ; Plaster of Paris mêle avec assurance et précision les mélodies surf de Santiago à une guitare rythmique continue, ressuscitant et rafraîchissant les harmonies de la new wave en les enrichissant d’un parler-chanté dans lequel Black Francis est passé maître ; en conclusion, All the Saints, ballade ternaire proche de Havalina (Bossanova) réussit le tour de force d’évoquer plusieurs univers en 2mn30, laissant le dernier mot de cet album généreux à la rêverie lyrique et douce-amère.
Les Pixies sont donc bien toujours là, et même un peu au-delà de nos espérances. Ils trafiquent dans leur monde à part des expériences risquées, des mélanges de genres, des contrastes assumés, avec une liberté qui n’a d’égale que la cohérence de l’inspiration.

DocteurTalos
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le 14 avr. 2017

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