Juin 2020. En plein confinement, Nick Cave investissait le prestigieux Alexandra Palace, à Londres, pour y capter une performance seul au piano et sans public, suite au report de sa tournée européenne prévue avec ses légendaires Bad Seeds tout au long du printemps. Ce concert et dispositif unique est la conclusion d’un long processus entamé il y a des années, de sa première déclaration d’amour à cet instrument (sur l’album The Boatman’s Call, en 1997) jusqu’à son Conversation Tour l’an passé, avec ses échanges musicaux se déroulant autour d’un piano. En terme de cinéma, Nick Cave a durant la précédente décennie investi par deux fois le grand écran en tant que sujet principal, par le biais de l’autofiction (20.000 jours sur Terre de Iain Forsyth et Jane Pollard) et du journal intime filmé (One More Time with Feeling d’Andrew Dominik), se penchant tous deux sur les affres d’un artiste en proie à ses doutes dans son rapport à son entourage, son mode de vie, ses créations.


Se voulant comme la conclusion d’une trilogie -tout comme Ghosteen venait compléter une série de disques entamée avec Push The Sky Away et Skeleton Tree-, Idiot Prayer, dans sa version vidéo, ne fût diffusé qu’une seule fois, le 23 juillet 2020 sur internet, en échange d’un ticket permettant l’accès à son visionnage en streaming, avant de conquérir quelques cinémas plus tôt ce mois-ci. Si l’on ignore aujourd’hui si le film sera un jour disponible sur une autre (plate)forme, la captation audio du concert vient, quand à elle, de paraître en support physique et digitale.


D’emblée, l’atmosphère est solennel. Avec Spinning Song, Nick Cave donne à l’ouverture de Ghosteen une dimension poétique aux frontières du sacré, centré sur sa voix et ses paroles sous forme de conte prophétique, à la diction et aux inflexions parfaites, sur fond de cordes mélancoliques bouclées et traitées à la manière d’une piste ambient de William Basinski. Ce titre constituera la seule disgression vis-à-vis de la formule piano-voix du disque, pour un résultat du meilleur effet. Derrière ces vingt-deux chansons couvrant pas moins de dix albums des Bad Seeds et deux de Grinderman (side-project de Nick Cave, représenté ici par Palaces of Montezuma et Man in the Moon) se dévoile une chanson inédite, Euthanasia, aux sublimes fêlures. Les paroles n’ont jamais été si intelligibles que dans cet enregistrement, et le jeu de piano pourtant quelque peu limité de Cave se révèle plus magnétique et intense que jamais. Les rires venant clore (Are You) the One That I’ve Been Waiting For ou les accords violemment plaqués à la fin de Jubilee Street, He Wants You ou Papa Won’t Leave You, Henry viennent alors saisir la facette la plus instinctive et imprévisible du dandy rock, prêcheur des temps modernes et bête de scène notoire. On le connaissait fier, quelque peu narcissique et égocentrique, et on pouvait par conséquent s’attendre un jour à ce que Nick Cave s’illustre un jour en solo.


Pourtant, sans ses mauvaises graines dont le rôle a beaucoup évolué depuis les débuts (et plus particulièrement depuis l’arrivée de Warren Ellis, sorte d’alter-ego de Cave, dans la formation), le crooner livre un somptueux récital bien au delà des attentes qui ne peut laisser de marbre. Un instant hors du temps, hors du monde, où seule prime l’émotion. Et la grâce, toujours.


la critique complète, en parallèle avec le disque The Sophtware Slump ….. on a wooden piano de Grandaddy

Kamille_Tardieu
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le 6 déc. 2020

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Le  K

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