« Quand j’ai eu ma trachéotomie, je suis devenu bleu et j’ai arrêté de respirer… ça n’allait pas bien du tout, et les docteurs ont coupé à travers la peau et le cartilage en bas de ma gorge pour y faire glisser le tube… »


Tiens, combien d’albums ont déjà commencé par ce genre de phrase ? Pas beaucoup, on est prêts à le parier. "Famous Tracheotomies" vous prend littéralement… à la gorge, dès les premières secondes de la magnifique ouverture du nouvel album de Okkervil River. Will Sheff – ou peut-être le personnage qu’il incarne dans la chanson – pense à la terreur de sa mère à cet instant, elle qui a déjà perdu des enfants. Et la mélodie est sublime, sur laquelle vient s’élever la voix bouleversante de l’un des meilleurs auteurs-compositeurs en activité dans Trumpland.


Après un "Away" quand même un peu décevant avec ses chansons trop longues et pas forcément toujours inspirées, Okkervil River, groupe magnifique conjuguant comme peu une hyper-sensibilité quasi enfantine et une grande assurance mélodique, est de retour avec un album lyrique (comme toujours…) et remarquablement intense, que l’on jurerait du niveau des chefs d’œuvre d’hier ("The Stage Names", "The Stands In" à la fin des années 2000).


La nouveauté de cet album cette fois plus fastueux que minimaliste, c’est la richesse de sa production et la profusion d’instruments : des cuivres (sur "The Dream and the Light", sans doute le morceau le plus impressionnant d’un album qui n’en manque pourtant pas…) et beaucoup de claviers, voire même des synthés (un peu trop envahissants çà et là, ils constituent la seule très légère faute de goût de l’album, sans doute une certaine concession à l’air du temps de la part d’un artiste que l’on sait concerné par l’impact qu’il peut avoir sur son public).


Les mélodies sont accrocheuses – mais jamais faciles, attention ! -, comme nous n’en avons plus entendues depuis longtemps chez un Will Sheff qui est ici à nouveau "on the top of his game", comme on dit : "Love Somebody", avec sa montée sublime d’émotions a tout du genre de hits que REM imposait dans les années 90 ; "Pulled Up the Ribbon", une rock song très classique, comme Sheff n’en fait que très rarement, avec son gimmick accrocheur aux claviers, devrait être un bonheur sur scène ; "Don’t Move Back to LA" reprend les clichés attendus sur la recherche de la célébrité avec une élégance et une légèreté humoristique (?) rares… On soulignera encore la beauté et la délicatesse de "External Actor", avec sa ritournelle qui risque de vous rester dans la tête longtemps et d’enchanter votre printemps…


« If you gotta love somebody, you gotta lose some pride » chante Will : heureusement, aimer Okkervil River en 2018 ne signifie pas renoncer à sa fierté, au contraire, voilà un groupe unique que l’on a envie de défendre haut et fort !


[Critique écrite en 2018]


Vous pouvez lire cette critique et bien d'autres sur Benzine : https://www.benzinemag.net/2018/04/28/okkervil-river-de-retour-avec-le-fastueux-in-the-rainbow-rain/

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le 29 avr. 2018

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Eric BBYoda

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