Gainsbourg en 1968 est à un tournant. Plaqué par Bardot, il compose des albums superbes…qui ne se vendent pas. Ce sont les chansons qu’il écrit pour les autres qui marchent. C’est sa rencontre avec Jane Birkin qui va changer sa vie. Il la rencontre sur un plateau de tournage de «Slogan » de Pierre Grimblat. Après des débuts tumultueux, Serge et Jane tombent follement amoureux l’un de l’autre. La concrétisation de leur amour doit être pour Serge une chanson. Il propose alors à Jane de réenregistrer « Je t’aime, moi non plus » au départ enregistrée par Bardot mais qu’elle avait fini par refuser de sortir, forcée par son mari qui menace de poursuites judiciaires, au grand dam de Serge. Jane refuse la chanson dans un 1er temps, mais quand elle apprend que de nombreuses actrices veulent la chanter (dont Mireille Darc), elle accepte. Jane reprend donc, une octave plus haut, la « symphonie érotique » de Serge, créant un vrai trouble sensuel pour l’auditeur/ auditrice, rarement atteint dans la chanson française. Gainsbourg tient là son premier tube mondial, un buzz international énorme, considérée comme une chanson pornographique à l’époque, interdite aux moins de dix-huit ans, censurée dans de nombreux pays (Royaume-Uni, Italie et Vatican, bien entendu, Espagne, Brésil, Portugal, Suède…), vendue sous le manteau et donc immense succès ; elle est n°1 dans de nombreux pays ! On parle de 750 000 exemplaires vendus. Mais avant tout, une immense chanson d’amour poétique mêlant pudeur et impudeur : « L’amour physique est sans issue » nous chante pourtant Serge. En entendant le résultat final, hautement provocateur, le producteur demande au couple d’enregistrer tout un album.

Gainsbourg décide, pressé par le temps, de fouiller dans certaines de ses anciennes compositions, accompagnées par quatre chansons inédites pour Jane. Certaines ont déjà quelques années : "Les sucettes" pour France Gall, "L’anamour" pour Françoise Hardy, "Sous le soleil exactement" pour Anna Karina, "Elisa" pour une bande-originale. Le résultat est fantastique, sur des arrangements grandioses de Jean-Claude Vannier ; écoutez juste les magnifiques cordes de « La décadanse » en bonus. Avec un son privilégiant la subtilité d’une ligne de basse efficace ("69 année érotique"), des guitares funky ("L’anamour", j'adore cette chanson), de la wah-wah ("Ourang-Outang"), un solo de guitare ("Les sucettes"), l’album s’inscrit dans la lignée gainsbourienne britannique de l’époque, avec un charme français inaltérable (l’accent fondant de Jane qu’elle ne perdra jamais). On trouve dans certaines le caractère provocateur et médiatique du couple, bousculant les conventions sociales, amenant la libération des mœurs : le "69" bien entendu, la différence d’âge d’ "Elisa", l’ambiguïté des "Sucettes" ; dans d’autres, la tendresse et la complicité du couple : "Ourang Outang", méconnue mais très belle grâce à la simplicité émouvante et magnifique qui caractérise si bien l’état d’esprit du couple ; et "Jane B", hommage au "Prélude n°4" de Chopin mais surtout, hommage à celle qui est désormais sa muse. Pas sûr qu’on ait chanté en français l’amour aussi bien qu’ici. Le bonheur est-il transmissible par disque ? Serge et Jane nous montraient là que c’était parfaitement possible. Le début de la période la plus créative de Serge.

JOE-ROBERTS
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le 20 mai 2025

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