Double album définitif pour le son des années 2000

James Murphy est un homme à multiples casquettes. Directeur de label, producteur, musicien, chanteur, fan de musique... Et artiste surfait. Alors que vient de paraître American Dream suite à la reformation de son backing band, il est bon de se replonger dans sa première œuvre qui restera, définitivement, la seule à justifier le ramdam des critiques autour de sa personne.


Néanmoins, une remise en contexte s’impose. Les années 2000 sont une ère confuse ayant engendré une quantité hallucinante de pseudo-sauveurs du rock. C’est l’époque où les journaleux croient dur comme fer à un retour du rock à guitares, notamment avec la fameuse vague des groupes en "The". Puis il y a eu la remise au goût du jour du garage rock comme avec l’excellent premier Strokes et les White Stripes. Parallèlement, on redécouvre les années 1980 via le spectre du post-punk. Que ce soit son côté sombre en compagnie d’Interpol ou dansant (Radio 4 ou !!!). En bref, on nage dans un élan revivaliste déconcertant. Comme si une amnésie collective avait frappé les critiques, au point que chaque bande susceptible de rappeler les courants précités avait toute sa chance d’être acclamée.


En prenant du recul, toute cette nostalgie surgonflée a débuté avec la britpop. Mais ce genre a laissé une pléthore de disques essentiels et ses têtes de gondole avaient même une certaine personnalité. Le bilan concernant les 00s est bien plus mitigé. Si on s’en tient au dance-punk revitalisé par cette période justement (en gros, des gens ayant découvert Liquid Liquid, ESG et Gang of Four), on a hérité surtout de groupes à singles (Bloc Party et The Rapture) et peu de grands albums.


C’est là qu’arrive James Murphy et son LCD Soundsystem.


Pur produit de son époque, il réactualise tout ce qui s’apprête à devenir la norme et la mode en sortant plusieurs singles percutants. Le premier d’entre eux, « Losing My Edge », fait parler de lui dans les milieux branchés grâce à son groove obsédant et ses paroles satiriques. Des textes décrivant parfaitement la génération Internet. Surgavage de connaissances, name dropping à outrance, mythomanie, rappel d’une figure d’autorité désormais dépassée (Murphy raconte qu’il connaissait la musique que les kids téléchargent avant leur naissance) et une citation qui fait tout le morceau. Un riff, celui du « Change » de Killing Joke. Une formation qu’il est décidément cool de voler quand il s’agit de composer un tube (souvenez-vous de « Come As You Are »).


Trois ans et plusieurs singles plus tard, sort ce premier album sans titre en deux versions. L’une simple, l’autre double. La seconde possédant un deuxième CD regroupant les fameux singles ayant fait connaître ce coquinou de Murphy.
Alors au sommet de la hype, beaucoup le découvrent à cet instant et là, scandale. On s’aperçoit que le mec pille à tout va avec un cynisme incroyable. Sa voix oscille entre Mark E. Smith de The Fall et Prince. « Tribulations » est plus New Order que nature. Les Stooges sont retournés comme une crêpe sur « Movement ». Les rythmiques casseroles de ESG sont placées un peu partout et il prend même la liberté d’imiter Brian Eno sur « Great Release ». La blague !


Est-ce que ça en fait un mauvais disque pour autant ? Ben voyons.


Derrière cette pose à vouloir étaler ses influences à tout prix (James est plus un amateur de zic qu’un artiste à la vision singulière), le bonhomme réussit à construire une œuvre plus ambitieuse qu’elle ne le laissait supposer à première vue. Il s’agit d’une synthèse des musiques dansantes de qualité et des deux côtés du prisme. Noire (le disco, la house et le funk) et blanche (le post-punk, le dance rock et le garage). Donc finalement, ce n’est pas si passéiste que ça puisqu’on sent une collision voulue entre électro et rock. Démarche non révolutionnaire mais inédite dans ce milieu des 00s. Une démarche résumée en une recette simple : répéter quelques éléments musicaux. En ajouter d’autres au fil des minutes pour faire monter la sauce en fin de parcours afin d'atteindre l’orgasme auditif. Mélanger ça avec des lignes de basses interdisant tout immobilisme, des guitares coupantes (« On Repeat ») ou hypnotiques (cette conclusion imparable qu’est « Yr City's a Sucker ») et vous obtenez la recette du succès de LCD Soundsystem.


Il vous sera impossible de compter tous les grands moments de cette sortie avec vos dix doigts. Cependant, il est impensable de ne pas évoquer le déferlement acid house de la Crass Version de « Yeah ». Le fabuleux solo de casseroles qu’on aurait aimé entendre sur St. Anger dans l’autre version de « Yeah ». Les hymnes « Daft Punk Is Playing at My House » et « Disco Infiltrator ». Le beat acidifié de « Thrills » ou encore l’irrésistible montée en puissance de « Beat Connection ».


Double album oblige, il y a aussi quelques ratés. Le très cradingue (et enregistré live ?) « Tired » est fun mais dispensable. Quant à « Never as Tired as When I'm Waking Up », c’est une affreuse ballade à cause des roucoulements de Murphy (il n’y a guère que la gratte à sauver). Heureusement, les loupés sont suffisamment en minorité pour ne pas gâcher l’impact de ce pavé dans la mare. Parce que s’il faut choisir un seul disque représentatif de cette période où le rock ne savait pas quelle direction prendre, LCD Soundsystem fera très bien l’affaire.


Depuis Screamadelica et Pills 'n' Thrills and Bellyaches, le rock n’avait jamais eu autant envie de faire danser dans l’insouciance jusqu’à en oublier le passé et le futur. Ça mérite bien une courbette, même si on finit paraplégique après avoir bougé toute la nuit au son de ce skeud.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 19 sept. 2017

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