Charles Gayle, William Parker, Hamid Drake : Live At Jazzwerkstatt Peitz – (2015)
Voici un enregistrement de Charles Gayle dans une période approchant la grande maturité, il jour ici du sax ténor sur deux pièces et du piano sur trois autres. Il est accompagné par William Parker à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie, les pièces étant signées par les trois, on comprend de suite que l’improvisation est la règle ici, tant mieux, il s sont arrivés au stade où tous les chants sonnent juste.
C’est un enregistrement en public, à l’église de Stüler, dans la ville de Peitz, en Allemagne, le vingt-trois mai deux mille quatorze, lors du concert d’ouverture du festival « Jazzwerkstat 51 ». Un concert dédié au grand Peter Kowald, le bassiste allemand. Le Cd est bien plein, comme toujours avec Charles Gayle, c’est paru l’année suivante sur le label Jazzwerkstatt.
La première pièce est superbe, à la fois sereine et baignée dans le mysticisme, elle s’appelle « Fairless » et dépasse les vingt-huit minutes, chaque moment est une fête, des années après on ressent à son écoute un incroyable équilibre et une justesse de tous les instants, que ce soit lors des solos ou lors des phases collectives.
Même le solo de batterie d’Hamid Drake arrive à émouvoir, je suis très sérieux, on sent dans son toucher une sorte de retenue qui force la concentration et emporte l’adhésion. Un sentiment très rare illumine la pièce, un peu comme si, ce soir-là, en cette église, certaines choses aux contours mystérieux devaient être dites…
Pour les trois pièces suivantes, Charles Gayle se met au piano, son premier instrument, il en joue bien, en digne fils de Monk et de Cecil Taylor, mais avec ce truc qui n’appartient qu’à lui, ces sauts de puces, ces montées de notes sur le clavier et les descentes également, vers le grave, parfois même à la recherche du swing, il est formidablement soutenu par cette extraordinaire rythmique qui le choie et le cajole, l’emmène et le porte…
Trois pièces se succèdent ainsi, « Gospel », « Texturen » et « Angels », peut-être Charles se souvient-il de ces années où il fut pianiste de bar ? Il est certain également que la posture assise convient également bien à l’homme fatigué, qui a traversé la vie bien souvent dans l’inconfort, voire plus, tant il fut balloté par les forces implacables du destin qui ne l’épargnèrent guère, bien qu’il se tînt droit, solide et fier, au milieu de la tempête…
On entend cette tension, particulièrement sur « Angels », habité, puis calmé par un baume apaisant. Lors de la dernière pièce « Encore At Jazzwerkstatt », Charles retrouve son saxophone ténor, il aime à en jouer, bien que dans la plus grande partie de sa vie il se consacra à l’alto, plus vif et mordant. Sans doute la gravité et la sagesse qui le guident, l’ont-ils fait pencher vers le grave, le gros son, peut-être moins souple, mais plus serein, plus proche d’Ayler également, qui aimait prolonger le souffle jusque dans le cri !
Pour moi un très, très bel album…