Ce double CD n’est pas officiel évidemment, même si Bruce commence à sortir depuis quelques années de façon autorisée régulièrement ses concerts de différentes périodes. Celui-ci a été donné à Bryn Mawr, dans le club du Main Point, le 5 février 1975. L’intérêt est que Bruce n’avait pas encore fait paraître un de ses chefs d’œuvre « Born to run » car l’album n’allait sortir qu’en août de la même année. Mais depuis plusieurs mois, il avait commencé à jouer les morceaux de cet album majeur sur scène. Il était avec son groupe obligé d’accumuler les concerts car les sessions d’enregistrement de l’album s’éternisaient et c’était une nécessité pour vivre car les finances étaient au plus bas et l’avenir incertain. Et c’est d’ailleurs à Bryn Mawr dans cette même salle qu’il avait commencé sa tournée en septembre 74. Depuis, le E Street Band a trouvé sa forme définitive avec l’arrivée de nouveaux membres, des musiciens expérimentés toujours là en 2024, Roy Bittan et Max Weinberg. Le public découvrait ces nouveaux morceaux, « Jungleland », « Born to run » ou encore « She’s the one » (version très sauvage, se rapprochant du Bo Diddley beat qui l’a inspirée), aujourd’hui considérés comme des classiques ! Quel choc ça a dû être pour les spectateurs et spectatrices ! C’était la naissance d’un jeune artiste exceptionnel qui savait parfaitement ce qu’il devait à ceux et celles qui l’avaient précédé (Elvis, Chuck, Beatles, Beach Boys…) mais qui apportait une nouvelle façon de raconter des histoires. Bruce était alors à un tournant de sa carrière : après 2 albums très bons mais qui ne s’étaient pas vendus, c’est sa réputation scénique qui le fait remarquer. Mais cette réputation grandissante a du mal à dépasser le Nord-est des États-Unis. Il mise donc tout sur cet album et Columbia, sa maison de disques, a été très claire. Soit il sort un tube, soit son contrat est résilié…

Ce concert intégral de 2h40 est magnifique, une vraie pièce d’histoire. Il a longtemps circulé comme bootleg pour les collectionneurs et il est considéré comme une pièce maîtresse de sa discographie live non officielle. C’est parfaitement justifié. Le son d’abord est excellent, un peu plus sourd sur le CD2 mais rien de grave ni de gênant, le concert enregistré avec soin, ce qui n’est pas toujours le cas pour des shows radiodiffusés. Pas d’indicatif de la radio, pas d’intervention intempestive d’un animateur local quelconque. Ensuite la performance est fabuleuse, comme pratiquement toujours, les concerts un peu moins bons de Bruce pouvant se compter sur les doigts d’une seule main (et j’en possède des centaines dans ma collection). Il donne tout sur scène, faisant de chaque concert comme s’il était le dernier, comme aujourd’hui d’ailleurs mais il avait encore la fougue et l’énergie de son jeune âge (26 ans), l’envie de crever le plafond et d’être connu dans le monde entier en écrivant les meilleures chansons possibles. Enfin, il a créé autour de lui un groupe de potes qui va devenir au fil des décennies pratiquement comme une famille, un E Street Band qui a trouvé sa forme parfaite. Clarence y a évidemment un rôle déterminant, même si lors de ce concert, il ne joue pas encore son solo ahurissant dans « Jungleland », celui qui l’a fait entrer dans l’histoire du rock, probablement pas achevé à ce moment-là (il était tellement complexe qu’il a été obligé de le composer note à note !). C’est un solo de guitare qui le remplace alors. En plus, le saxophoniste a développé une grande complicité avec Bruce jusqu’à pratiquement jouer des mini-sketchs sur scène avec lui. « Thunder Road » a fait lors de ce concert sa première apparition sur scène alors en cours de travail sous le titre «Wings for Wheels » comme indiqué sur la pochette. Enfin, ce concert recèle une curiosité par la présence dans le groupe de la violoniste Suki Lahav. C’était un des derniers concerts qu’elle donnait avec le E Street Band avant de retourner en Israël dès le mois de mars. Il faudra attendre le début des années 2000 pour qu’une nouvelle violoniste rejoigne le groupe, Soozy Tyrell. Suki Lahav apporte un son vraiment intéressant dans ce groupe de pur rock, une touche délicate et orientale, assez folk. Le morceau d’ouverture est une vraie rareté, c’est « Incident on the 57th Street » jouée uniquement par Bruce au piano et Lahav au violon, magnifique. « New York City Serenade » est aussi une vraie rareté, très peu jouée sur scène aujourd’hui.

Si vous êtes comme moi fan de Bruce, ce live est un incontournable, que ce soit pour le côté historique de la performance, la qualité du son et d’interprétation (les versions de « Kitty’s back » et de « Rosalita » dépotent toujours autant !!!). L’époque des bars et des petits clubs allait s’achever pour Bruce et son groupe. Une fois « Born to run » sorti quelques mois après ce concert, devenant un classique du rock, le succès va être énorme et les salles (comme le nombre de fans !) n’allaient cesser de grossir. Le succès et ses revers allaient être compliqués à gérer. Le 27 octobre 1975, Bruce Springsteen, le petit gars de Freehold qui voulait gamin devenir une rockstar, apparaît simultanément sur les couvertures des magazines Time (« Rock's New Sensation ») et Newsweek (« Making of a Rock Star »), ce qui n’était jamais arrivé, dans un coup publicitaire conçu par son producteur Mike Appel. Springsteen dit à Time : « Je ne comprends pas pourquoi toute cette agitation… J'ai l'impression d'être à l'extérieur de tout cela, même si je suis à l'intérieur. C'est comme si vous vouliez attirer l'attention, mais parfois vous n'arrivez pas à vous y identifier ». Dans Newsweek, il dit : « Quel phénomène ? Nous ne sommes pas un phénomène. Le battage médiatique fait obstacle ». Bruce a surmonté tout cela et en 2024 il donne des concerts avec le E Street Band toujours aussi grandioses ! Vive le rock’n’roll et vive Bruce !

JOE-ROBERTS
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le 12 févr. 2025

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