Moonmadness
7.7
Moonmadness

Album de Camel (1976)

Après le symphonique, très mélodieux et entièrement instrumental Snow Goose, Camel sort en 1976 son quatrième album qui, selon certains, conclut en beauté son âge d'or (commencé par le mythique Mirage de 1974): Moonmadness. Publié la même année qu'un autre chef-d'œuvre du rock progressif, le sublime et très réussi, Tales of Mystery and Imagination du Alan Parsons Project (cet appellatif de progressif ne vaut que pour celui-ci!), il pourrait bien s'agir du chef-d'œuvre suprême de notre ami chameau, tant sur le plan musical que sur le plan conceptuel et lyrique, même si, honnêtement, j'ai une toute petite préférence pour Mirage. La maturité dont fait preuve le groupe avec ce disque est d'une dextérité impressionnante, sachant se distinguer de façon marquante de toutes leurs productions précédentes, sans pour autant perdre en hauteur. Bref, c'est un album formidable. Or, je vous avoue que quand je l'ai écouté pour la première fois, formidable n'était pas du tout le mot qui me serait venu à l'esprit pour décrire cet opus...

Lorsque j'entendis pour la première fois les synthés monstrueux et oppressants de l'instrumental introductif, Aristillus, il faut dire que j'étais vachement déçu. Ben oui, comment ne pas l'être après avoir entendu le premier album, Mirage et The Snow Goose, où Peter Bardens faisait preuve d'une modération sage? Ici, c'était, au moins à première vue, un peu excessif. Puis, je l'ai réécouté, et au fil du temps, j'ai commencé à apprécier ces sonorités assez étranges. Car au final, Bardens nous livre ici une super nappe de synthés, mélodieuse malgré l'oppression qu'elle procure, et qui nous plonge dans le merveilleux et magnifique dessin de la couverture de l'album. Et puis, il ne dépasse pas non plus les bornes: les claviers restent nonobstant parfaitement maîtrisés, faisant preuve d'une virtuosité harmonieuse, contrairement à un autre ténor du prog, Keith Emerson, qui allait souvent trop loin dans le noodling. Voilà, Aristillus est en fait un excellent instrumental qui ouvre l'album sur une note mystérieuse et ô combien planante. Le groupe dépasse ensuite davantage les attentes posées par l'introduction avec le majestueux Song Within a Song. Bon, si les 7 premières secondes du morceau ne fonctionnent absolument pas (ce n'est pas du tout satisfaisant de commencer sur un accord pareil!) ce sont les claviers planants de Bardens et la douce flûte de Andy Latimer qui le rachètent progressivement, mais c'est surtout autour de la troisième minute que s'accomplit le prodige! Ah, que de solennité, que d'émotions, que d'espoir l'on ressent lorsque Latimer répète ce riff majestueux sur des synthés arachnéens! Rien que cela me donne envie de donner un 10 à cette magnifique chanson! Et c'est sans compter sur l'outro pantelante où le groupe se montre en pleine forme. Que dire d'autre aussi sur le riff essoufflé en 7/4 de Chord Change, où Latimer et Bardens nous concoctent un instrumental aussi prenant que varié? Un autre aspect intéressant qui ressort tout particulièrement sur ce morceau, comme son nom l'indique, est le changement constant d'accords qui le parsème, de quoi ravir les fans de "vrai" progressif. Camel fait ensuite un petit saut en arrière avec la courte piste Spirit of the Water, qui, grâce à sa flûte à bec, rappelle avec un certain plaisir les somptueuses mélodies de Rhayader ou de La Princesse Perdue, sorties sur The Snow Goose, constituant un autre moment assez planant (surtout due aux réverbérations des parties vocales) qui termine la première face de Moonmadness dans le calme et la tranquillité. Force est de constater que les ambiances et les arrière-plans sonores n'ont jamais été aussi bien travaillés qu'ici, rendus au maximum par les synthés éthérés et mystérieux de Bardens. Le premier morceau de la deuxième face, Another Night, qui s'avère être aussi l'unique single issu de l'album, change la donne en introduisant une dimension plus rock et plus direct, qui cette fois nous renvoie aux débuts de Camel: Ward et Latimer sont ici en pleine forme, surtout le premier qui retrouve ses incroyables fills et typiques charlestons qui avait fait la gloire des morceaux de Mirage. Bien que la chanson ne soit pas forcément du hard rock, le riff principal de Another Night est lourd et déchirant, voire limite oppressant, révélant une chanson certes plus simple mais ô combien engageant, tout en passant par des ponts plus calmes mais tout aussi solennels. Reste à dire que c'est sûrement la piste qui s'en tire le mieux niveau chant, car, pour être honnête, c'est probablement le seul hic de cet album. Successivement, c'est la très romantique Air Born qui s'invite au tableau, caractérisée par une mélodie assez aérienne (comme son nom l'indique!) mais tout aussi géniale, qui exploite à fond les talents de flûtiste qu'est Latimer. Le final, grandiose et symphonique, s'avère être une autre réussite de l'album, sachant transmettre avec une certaine modestie la vraie beauté musicale dont est il imprégné. Mais pour moi, la vraie pièce de résistance, c'est indubitablement l'instrumental conclusif Lunar Sea, l'un des meilleurs morceaux du groupe, qui propose une excellente synthèse des styles abordés depuis le début de leur carrière. Alors déjà, le titre est super bien trouvé: en anglais, une mer lunaire se dit lunar mare et non lunar sea. Par contre, si ce mot est prononcé avec un accent bien britannique, on entendra "Lunacy", qui veut dire Moonmadness! C'est une masterclass en termes de jeux de mots! Revenant à l'instrumental, celui-ci commence par une ambiance mystérieuse et extrêmement planante (je sais, je sais, j'ai déjà utilisé ce putain de mot 67382 fois dans cette critique, mais ici c'est vraiment stratosphérique!!!) qui, plus que jamais, renvoie à fond aux magnifiques paysages mélancoliques et enneigés de la pochette, tout en donnant l'impression d'être sur une autre planète, avant de passer à une progression hypnotique admirablement conduite par des licks de guitare intrigants accompagnés d'une batterie poignante. Puis, surprise, solo de synthétiseur! le vrai cette fois, avec les classiques modulations de fréquence qui caractérisent leur usage, pas souvent réussi... mais dans le cas-présent, je trouve qu'il est optimalement mené par Bardens, qui fait preuve de la même sagesse que sur Aristillus. Derechef, quand je l'ai écouté pour la première fois, ce solo de synthé me paraissait vraiment excessif, mais j'ai appris à l'apprécier voire l'acclamer. La cerise sur le gâteau, c'est l'excellent groove qui l'accompagne, représentant l'un des rares moments où le bassiste Doug Ferguson est mis en avant, rappelant son incroyable performance sur le magnum opus du groupe, Lady Fantasy! Passé ce cap, ce sont les guitares furieuses et allumées de Latimer qui prennent le relais, délivrant un jeu strident, hard, agressif et tout simplement jouissif, avec la batterie déchaîné de Ward pour fond. Cette section outro reste sans aucun doute le meilleur moment de la chanson, voire de l'album en général, mettant parfaitement en évidence la virtuosité et l'intensité de Camel. Lunar Sea se termine sur un long bruit de vent énigmatique qui conclut Moonmadness de façon magistrale!

1) Aristillus (8/10)

2) Song Within a Song (10/10)

3) Chord Change (9,5/10)

4) Spirit of the Water (8/10)

5) Another Night (9,5/10)

6) Air Born (10/10)

7) Lunar Sea (10/10)

(La chanson indiquée en gras est mon titre préféré de l'album)

Pour conclure, Moonmadness est un disque excellent, de par sa remarquable solidité et variété musicale, proposant une pluralité d'ambiances (allant de calme et romantique à hard et intense, en passant par du solennel et majestueux) alliée à une virtuosité intéressante qui ne tombe pas jamais pour autant dans de la vantardise. Le seul point faible que l'on pourrait éventuellement lui attribuer est le chant qui, en effet, n'a aucune chance par rapport à celui que l'on trouve sur le premier album ou Mirage. Moi, en tout cas, je peux lui attribuer un 9,5/10.

Herp
9
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le 21 févr. 2025

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Herp

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