Victoire ! L'Axe est vaincu ! Le Japon a capitulé après deux claques atomiques et nos gars sont de retour ! Qu'ils sont glorieux à se répandre dans les rues encore vêtus de leurs uniformes de marin, ils emplissent les clubs, les boîtes de nuits, les bars et les instituts de lutte dénudée (voyez les photos intérieures). Provisoirement intitulé "A Kiss and a Fist", "Muscle of Love" décrit cette hystérie collective, ces débordements comme une métaphore peu subtile des premiers émois sexuels d'une bande de pauvres types de Detroit descendus à New York pour prendre du bon temps.
La dernière fois, nous avons laissé le groupe au sommet mais épuisé. Enfin pas si épuisé puisque "Muscle of Love" paraît la même année que "Billion Dollar Babies". Il s'agit néanmoins des adieux d'Alice Cooper en tant que groupe, les dissensions ont fini par naître et quelques procédures mettront un terme à l'aventure. Cependant, en guise de cadeau d'adieu, le groupe fournit cet honnête album, plus rock que le précédent "Billion Dollar Babies", et moins porté sur les singles puisqu'aucun titre n'obtiendra le statut de hit, malgré des qualités indéniables. Bob Ezrin n'est pas de la partie cette fois ci, officiellement en raison de maladie, officieusement parce-que le groupe désirait revenir à ses bases moins pop et que certaines frictions ont gâché l'ambiance de travail.


"Muscle of Love" occupe donc une place un peu ingrate, dernier album avec le groupe, successeur un peu décevant pour ceux qui attendaient une suite de l'ampleur de "Billion Dollar Babies" et précédent le flamboyant "Welcome to my Nightmare" du Coop' en solo. Il serait pourtant un peu triste d'oublier cet album à la couverture en carton d'emballage (comme pour un déménagement) qui possède une réelle atmosphère et des qualités non négligeables.


Ca commence d'ailleurs particulièrement bien, avec un "Big Apple Dreamin' (Hippo)", morceau un peu stonien, résolument rock mais teinté d'une émotion palpable. Il s'agit, selon votre modeste Révérend, de l'un des tous meilleurs morceaux d'Alice Cooper, en groupe ou pas, qui introduit le concept de l'album d'une très belle façon. On imagine les hardos un peu paumés de Detroit qui, à peine sortis de l'enfance, se jettent sur New York, bien décidés à ne faire qu'une bouchée de la Grosse Pomme. La voix du chanteur, y est plus grâve qu'à l'ordinaire, mais n'oublie pas quelques percées hargneuses. On sent que l'expérience new yorkaise sera sujette à désillusions mais que ce sera avant tout intense, brillant et que rien ne sera plus pareil. L'humour n'est jamais loin malgré tout, et Alice Cooper joue allègrement sur les double-sens du mot "coming" par exemple. Du dépucelage, voilà à peu près de quoi parle l'album. Ah, et le "Hippo" c'est pour "Hippopotamus", pas la chaîne de restaurants, mais un club new yorkais fréquenté par le groupe à l'époque. Un morceau qui laisse donc présager le meilleur pour la suite, en tous cas une réussite déjà en soi, à découvrir d'urgence.
"Never Been Sold Before" arrive tous cuivres dehors, encore une fois très Rolling Stones sur les bords, un joli morceau encore très rock sur la prostitution et ses déconvenues. La (ou le) prostitué(e) manifeste ses récriminations face à son souteneur avec pas mal de morgue. Le morceau est particulièrement entraînant, et aurait pu trouver sa place parmi les titres de "Billion Dollar Babies" ou "Killer" sans pâlir de honte.
"Hard Hearted Alice" nous ramène un peu à l'époque de "Love it to Death" avec beaucoup plus de maîtrise. Le morceau semble évoquer une fragilité peu apparente jusque là avec des paroles douces amères sur la précarité et l'urgence de la vie du narrateur. On y trouve des solos très inspirés, un rien encore teintés de psychédélisme 60s avec un rien de Zappa dedans.
"Crazy Little Child" tombe à corps perdu dans le jazz, on y suit les aventures d'un voleur de la Nouvelle Orléans du nom de Jackson, jusqu'à leur conclusion tragique. Le morceau emprunte logiquement tout ce qu'il peut pour gagner une atmosphère de roman noir, cuivres, piano et voix se mèlent habilement et on pourrait presque sentir la fumée qui emplit le bar alors que la pluie tombe à verse dehors. La comédie musicale ne semble pas loin non plus, et on verra Alice Cooper revenir dans ces ambiances de roman noir avec son mésestimé "Lace and Whiskey" quelques années plus tard.
"Working on a Sweat" vient nous secouer un peu, avec son refrain contagieux et ses coeurs. Encore une fois, ça parle de cul, disons le, et Alice Cooper fait une nouvelle fois preuve d'une écriture particulièrement habile dans le domaine du double sens bien troussé. On y découvre en même temps que le narrateur, les problèmes d'échauffements et d'irritations qui peuvent se manifester lors de la pratique trop assidue de certaines tâches, en couple si possible. "Bandages came off today, really feeling sick, the hardest part's explainin' all those blisters on my...nose !" s'émerveille-t-il au détour de ces paroles réjouissantes.
Enfin, je disais en couple, mais "Muscle of Love" montre qu'on peut déjà bien s'amuser tout seul. Avec ce retour à un rock plus cru (c'est le mot) la chanson semble au bord de l'explosion durant 3:45 de bonheur conclu par des coeurs extatiques chantant des "hallelujah" à mesure que notre héros découvre une nouvelle occupation en parcourant les magazines de son père.
Alice Cooper avait déjà abordé le thème de James Bond sur l'album précédent, le mariage est consommé ici avec la chanson "Man With the Golden Gun" écrite pour le film du même nom. Elle ne sera hélas pas retenue officiellement pour une question de délais, à la déception du groupe et même de Christopher Lee qui incarnait le rôle titre. Pourtant, avec son ambiance tout à fait Jamesbondesque et ses envolées psychédéliques et même hypnotiques, elle collait tout à fait à l'atmosphère de ce 007 particulièrement halluciné, si on ajoute à cela la présence de choeurs de haute volée dus à Liza Minelli, aux Pointer Sisters et à Ronnie Spector, le choix de la chanson de la chanteuse Lulu semble peu judicieux en comparaison.
"Teenage Lament '74" est un peu un écho à la première chanson de l'album pour son atmosphère un peu mélancolique. On y retrouve Liza Minelli et Ronnie Spector, ce qui conforte l'impression de se retrouver dans une version rock de "New York New York", ainsi qu'une folle atmosphère de débâcle éthylique sur fond de comédie musicale. On y retrouve l'un des losers de cette bande de jeunes venus à la conquête de la métropole, on le suit dans ses vaines tentatives de paraître cool au sein de la faune new yorkaise. Cette chanson particulièrement attachante évolue entre optimisme borné et drame personnel avec l'adresse d'un funambule.
L'album s'achève sur "Woman Machine" plus hard, au thème emprunté à la SF. Le morceau aurait dû paraître plus tôt, sur l'un des premiers albums du groupe, et ça s'entend assez. On retrouve une dernière fois les nappes psychédéliques des débuts, ce qui fait que sans être désagréable, le morceau départ un peu du reste tout en étant un peu bancal. La fin, avec sa voix féminine mécanique montée en boucle a sans doute fortement inspiré Marilyn Manson, autre chanteur à nom de fille, sur la conclusion de ses "Man That You Fear" et "Antichrist Superstar". On ne me la fait pas à moi !


"Muscle of Love" est donc un très bon album. Il paie juste le fait d'être coincé entre deux monuments et de se limiter à un rock plus "basique" (selon les critères du groupe car ce n'est pas vraiment un album épuré). Il s'avère être très réussi sans être indispensable comme pouvaient l'être "Killer" ou "Billion Dollar Babies" puis "Welcome to my Nightmare". Il marque une conclusion aux teintes un peu fânées de la fête flamboyante qu'était le Alice Cooper Band. Les tensions mettront longtemps à s'apaiser, le groupe continuant à tourner sous le nom de "Billion Dollar Babies" ce qui agace le chanteur. Alice tout seul publiera son premier effort, avec un Bob Ezrin de retour, l'année suivante, pour le meilleur puisqu'il le confirmera comme superstar incontournable à cette époque.

Créée

le 25 oct. 2013

Modifiée

le 28 oct. 2013

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I Reverend

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