Depeche Mode, de la musique pour « les masses » ?

​​Depeche Mode, un groupe britannique de new wave et rock alternatif, s'est formé en 1980. Il apparaît au sein du courant de la synthpop et devient rapidement influent et populaire à l’international. Il tient son nom d’un magazine français : Dépêche Mode. D’abord repéré par l’agent de Soft Cell, Depeche Mode est dirigé ensuite par Daniel Miller qui le fait signer sur son label Mute Records en 1981. Leur titre Just Can’t Get Enought (Je ne peux pas en avoir assez) leur fait connaître leur premier succès en Europe à partir du mois de septembre 1981, puis aux États-Unis en 1984-1985 avec Peope Are People (Les gens sont les gens). En ce qui me concerne, je connais ce groupe depuis que je suis toute petite, puisque mon père avait interprété Enjoy the silence à la TV lorsque j'avais 4 ans. J'ai été bercée par leurs sons durant mon enfance et mon adolescence, surtout dans la voiture de mon papa. Et comme nous avions beaucoup de trajets ensemble, on peut dire que nous avons saigné pas mal d'artistes bien ancrés dans le monde musical, notamment Depeche Mode.


Depeche Mode s’inscrit dans la new wave, et toutes les caractéristiques sont là pour le confirmer. En effet, c’est l’arrivée des rockers diversifiés et peu conventionnels. Dans ce cas-ci, on peut observer, rien que dans le style vestimentaire et l’allure du groupe, qu’il s’agit d’artistes grunges, voire décontractés. Le groupe est composé de Martin L. Gore (guitare électrique, synthétiseur, chant, chœurs), de Dave Gahan (chant depuis 1980), d'Andrew Fletcher (synthétiseur, guitare basse, depuis 1980) et, avant, d'Alan Wilder (synthétiseur, piano, batterie, de 1982 à 1995, engagé après le départ de Vince Clarke).


​Cet article tournera autour de l'album Music for the masses, sorti en 1987.
Daniel Miller, qui avait produit l’album précédent, s’est volontairement retiré des tâches de production de cet album (tension croissante en studio depuis l’enregistrement de Black Celebration). Avec l’approbation de Miller, le groupe a coproduit l’album avec David Bascombe (qui avait auparavant travaillé comme ingénieur du son avec Tears for Fears et Peter Gabriel.


Il y a une distance émotionnelle avec la chanson, notamment avec l’insertion d’instruments synthé qui bouleversent un peu ce que l’on connaissait jusqu’à présent. Même dans le chant, nous sentons un certain mur entre l’artiste et l’émotion supposée être procurée par le chant. D’ailleurs, dans Strangelove, le chanteur est réservé sur son ressenti, l’émotionnel, le personnel ; pourtant, les paroles écrites ont tout pour créer de l’émotion. Ce choix rend le titre brut, violent ; une autre caractéristique de la new wave.

Strangelove
Étrange amour
Strange highs and strange lows
Des hauts et des bas étranges
Strangelove
Étrange amour
That's how my love goes
C'est comme ça qu'est mon amour
Strangelove
Étrange amour
Will you give it to me
Me le donneras-tu ?
Will you take the pain
Prendras-tu la douleur que
I will give to you
Je te donnerai ?
Again and again
Encore et encore
And will you return it
Et la reprendras-tu ?


​En fait, la musique est déshumanisée, électronique, mécanique. Un mélange de noirceur et de provocation, même si Depeche Mode n’est pas le groupe qui plonge le plus là-dedans. Les thèmes abordés sont durs, sombres, dérangeants. Quand on y pense, Never Let Me Again est une sorte d’allégorie à la mort, au fait que le chanteur rejoint son ami dans le ciel, où les étoiles brillent de mille feux, et la répétition du « Ne me laisse plus jamais tomber » appuie cette hypothèse. La musique se clôture par un « Tout va bien ce soir », parce qu’après la mort, tout va pour le mieux ; on ne sent plus rien, aucune émotion. Rien. Juste le néant.


​We're flying high
Nous volons haut
We're watching the world pass us by
Nous regardons le monde nous ignorer
Never want to come down
Je ne veux plus jamais redescendre
Never want to put my feet back down
Je ne veux plus jamais poser mes pieds
On the ground
Sur le sol


En revanche, dans Sacred, c’est le thème de la religion qui y est abordé. Elle évoque le devoir de partager aux gens des nouvelles saintes, se mettre à genoux et d’être un fervent croyant. Dans Behind the Wheel, il y a un partage de la volonté de ne plus être aux commandes – de sa propre vie ? – à une douce petite fille, représentant l’innocence. On peut y voir un appel à l’aide, de détresse, le besoin que l’on prenne soin de nous, qu’on nous protège de la douleur du monde, de ne pas être – pour une fois – en train de conduire et diriger notre vie. Juste pouvoir mettre sur pause. I Want You Now, assez original et ensorcelant en quelque sorte, est l’une de ses créations. Une réalisation laissant parfois exprimer de l’angoisse, non sans être accompagné d’un certain climat de tension. Un titre que l’on pourrait écouter dans le noir.


De manière évidente, le groupe s’inspire de la scène industrielle allemande, notamment de Kraftwerk. Il y a beaucoup de synthé, les titres semblent réalisés pour le dance floor, tout en œuvrant dans une sorte d’onirisme lyrique en hommage à Martin L. Gore. Bien que touché par la toxicomanie, Dave Gahan offre une voix puissante à cet album, grâce au travail de Gore, même si la construction de cet opus repose entièrement sur les épaules d’Alan Wilder.


Mais alors... est-ce un album conçu pour « les masses » ?
Qu'entendons-nous par « masses » pour commencer ?
Dans ce cas-ci, cela concerne la majorité de la société, les personnes que l'on considère comme étant dans la « norme » établie. À cette époque, la musique se voulait rebelle, prête à bousculer les mœurs. Andrew Fletcher et Martin L. Gore ont expliqué que le titre de l’album avait été conçu comme une blague car tout le monde leur a répété qu’ils devraient faire plus de musique commerciale ; en fait cet album est tout sauf de la musique pour les ​masses ! Le mégaphone (ou sa représentation iconique) sur la pochette, réalisée par Martyn Atkins, a été utilisé durant toute la durée de la sortie de l’album ; lors d’événements de presse, sur les pochettes des singles de l’album et lors de la tournée. Le but ? Placer un orateur dans un cadre non propice aux masses, pour rester dans l’ironie engendrée par le titre et l'idée même de l'album ; nous retrouvons donc ces mégaphones au milieu d’un décor qui ne leur convient pas.


Grosso modo, ils 'agit d'un album onirique, à l’apogée de la mélancolie, où la frontière entre le silence, le chant brut et l’angoisse ne tient parfois qu’à un fil. Music for the masses peut convenir à diverses profils d’amateurs et amatrices de musique, des plus décontractés aux rockers. La version Deluxe ne fait qu’accentuer cela, puisqu’elle permet l’ajout de titres plus atypiques les uns que les autres. Malgré cette particularité quelque peu déstabilisante, certains titres plus génériques de l’album, tels que Nothing et Strangelove, ont traversé les boîtes et les discothèques – d’ailleurs, je connaissais déjà Strangelove avant l’écoute de l’album ! –, ce qui a permis au groupe de gagner davantage en popularité. Toutefois, même si « les masses » peuvent apprécier, rappelons que l'album n'avait pas été conçu pour elles à l'origine. D'ailleurs, cet album ne conviendra pas à tout le monde ; il faut un minimum apprécier l'électronique, la new wave ou le rock alternatif (ou tout simplement le dance floor pour certains titres). Un album qui a bien vieilli, avec un son remarquable.

PapillonVoyageur
7

Créée

le 15 févr. 2022

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