Never Let Me Down
4.6
Never Let Me Down

Album de David Bowie (1987)

Il y a 65 milions d'années environ, les dinosaures du rock ont subi l'assaut de la météorite MTV, plusieurs espèces disparurent dans le cataclysme, tandis que quelques rescapés s'embourbèrent pataudement dans les marais colorés et synthétiques qu'on appelle les années 80.


  Alors que les grands anciens, des légendes, des mythes pour certains, s'effacent face aux icones pop taillées pour les bandes des magnétoscopes et les couvertures en papier glacé, on se dit que les Bugles avaient bien raison et que oui, "Video Killed the Radio Stars". Pourtant, à 40 ans, David Bowie, produit des années 70 dans tous ses avatars, réussit un tour de force en s'emparant d'une place de choix dans le paysage des années 80 au même titre que les encore frais Madonna ou Michael Jackson. David Bowie est au sommet à cette époque, il apparaît avec ses costards flashy et sa coupe pompadour peroxydée comme un genre de Prince en version blanche et anglaise. Il parvient à cette époque au sommet de sa popularité, son image est incontournable, il vend des albums comme jamais, par camions, et apparaît régulièrement au cinéma. Il refuse cependant en 1986 le rôle de Max Zorin dans le James Bond "Dangereusement Vôtre" au profit de Christopher Walken. Il partage en cela le parcours de Tina Turner, qui, de fascinante chanteuse des 60s devient un symbole incontournable des 80s dans tous leurs excès, épaulettes et coiffure en pétard inclus. 

Alors qu'on a connu Bowie tour à tour marginal, provocateur, visionnaire et expérimentateur, il revêt la peau d'un suiveur un rien opportuniste avec un succès effarant ! Les succès commerciaux s'enchaînent donc enfin, "Scary Monsters" résonne comme le chant du cygne de Bowie artiste, laissant la place avec "Let's Dance" et "Tonight" à une superstar solaire bientôt côtée en bourse.


  "Never Let Me Down" conforte son succès, il devient l'une de ses toutes meilleures ventes à ce jour et ce à peine quelques mois après sa sortie. Mais, si le tiroir caisse fonctionne à plein régime, l'album est loin d'être considéré come un chef d'oeuvre, bien au contraire !
Véritable leçon en dix points sur comment créer un album 80s cliché et raté, il n'y a vraiment pas grand chose à en retenir, si ce n'est que même les meilleurs ont leurs mauvais moments. Bowie avait annoncé un album du retour aux sources (ce qui est souvent un mauvais signe) avec une prédominance du rock par rapport à la pop des deux albums précédents. Il se remet d'ailleurs pour l'occasion à jouer de multiples instruments, comme à la bonne époque ; pas de quoi s'emballer, lui même finira par reconnaître la piètre qualité de "Never Let Me Down", et ira jusqu'à le renier.
Ce qui est malheureux, c'est que les thèmes abordés ne sont pas spécialement inintéressants, certains textes ont un côté intimiste inédit chez Bowie comme "Never Let Me Down" dédié à sa fidèle assistante Coco Schwab mais à chaque fois, la production 80s et les compositions peu inspirée ruinent tout effort. Rien ne surnage réellement et l'album s'écoute avec indifférence, mollement en plus alors qu'il est censé être un retour du rock.
Le single "Day in Day Out" qui ouvre l'album est indigne de Bowie, il est supporté par un clip hideux et même s'il parle de la difficulté des sans logis, la production noie le message dans un flot de kitsch. Même travail pour "Beat on Your Drum" qui décrit pourtant un lolita-complex et qui aurait mérité un meilleur traitement ou "Time Will Crawl" qui évoque Tchernobyl (c'était l'année précédent l'album, souvenez-vous). Les morceaux s'enchaînent sans que rien de notable nous fasse vraiment différencier les chansons.
"Zeroes" ressemble à une sale blague avec son intro foireuse qui semble s'inspirer du merveilleux "Diamond Dogs" et son titre parodiant l'épique ""Heroes"". Pourquoi faire référence à deux titres mythiques au sein d'un morceau aussi mauvais ? On se demande même s'il ne s'agit pas de cynisme pur et simple, oh et ce solo de guitare cliché à souhait ! Brr, je n'en parle pas plus ça m'énerverait presque. "Glass Spiders" en rajoute une couche avec une nouvelle intro parlée ressemblant à une parodie du "Future Legend" de "Diamond Dogs" encore (rappelons qu'il s'agit de l'album préféré de Bowie) et il est difficile de ne pas lier ces spiders à celles qui venaient de Mars à l'époque de "Ziggy". Résultat, une des pires chansons de David Bowie, voilà mesdames messieurs !
Si je vous dis années 80 au cinéma. A quoi pensez vous ? A "Neuf Semaines et Demi" ? Gagné ! Bon, peut-être que vous pensiez à un autre film, mais ça m'arrangerait que ça soit celui-ci. Pourquoi ça ? Parce-que non contente d'être une chanson relativement ratée malgré un Bowie qui s'amuse à faire une voix étrangement aigüe, "Shining Star" inclut en son milieu, idée fantastique, une partie de "rap" interprétée par, idée fantastique, Mickey Rourke ! Autant dire que l'intérêt du morceau est purement anecdotique.
On se dit que jusque là tout va mal, il reste pourtant quelques morceaux. "NY's in Love" débarque tout en synthé acide et batteries en plastique sur le thème de l'hypocrisie et la vanité des métropoles... Exactement ce qu'est ce morceau aux gênants "goo goo goo goo". "'87 and Cry" évoque Margareth Thatcher, c'est assez rare que David Bowie se mèle de politique et ça aurait pu donner quelque chose d'autre si l'album avait été soigné, malheureusement c'est encore une terrible déception. "Bang Bang" vient alors conclure l'album. Il s'agit d'une chanson d'Iggy Pop, on suppose que David Bowie refait le coup de "China Girl" en permettant ainsi à son ami de toucher un maximum de royalties. Parue en 1981, la version d'Iggy Pop n'était déjà pas un morceau d'anthologie, mais elle bénéficiait de son inimitable interprétation. Ici, la chanson est encore plus plombée par une rythmique tellement 1987 (comme disaient les hipsters de 1988) et un solo de guitare du même tonneau qui font qu'on regrette amèrement l'originale. On dirait encore une mauvaise blague et même Bowie n'a pas l'air d'y croire.
Je le reconnais, il est facile de taper sur cet album, et c'est même un peu triste de le faire quand on considère les paroles parfois bonnes et les thèmes intéresants qu'il aborde. Néanmoins il est édifiant de voir comme en 10 chansons il arrive à cristalliser tout le mauvais versant des années 80. Il illustre (pas) en beauté ce qui se passe quand un artiste se repose sur son succès et cède le pas à l'opportunisme. David Bowie reconnaît avoir enregistré cet album à une période où il "nétait pas très bien". On le croit volontiers, sans pour autant fermer les yeux sur l'ampleur des dégats. Il s'agit tout à fait de l'un de ces albums où l'artiste pourrait être échangé contre un autre, aucune personnalité ne s'en dégage et venant de Ziggy Stardust alias Halloween Jack alias The Thin White Duke, ça fait vraiment de la peine. Déçu par le résultat, mais convaincu de poursuivre sur cette voie plus rock, David Bowie décidera après cet album de se dissoudre un peu au sein du groupe "Tin Machine" prouvant que pour le moment l'inspiration l'avait bel et bien déserté.

Il y a des centaines de millions d'années, une quantité impressionnante de plantes et d'animaux morts tapissent le fond des marais et des océans sous la forme d'une épaisse couche de vase putride. Les millénaires s'écoulent, des couches sédimentaires s'empilent alors les unes sur les autres pour créer une importante pression qui, adjointe à l'importante chaleur venue du sous-sol provoque une lente transformation chimique permettant aux malheureux organismes changés en vase informe de devenir du pétrole, richesse précieuse et convoitée s'il en est. Les dinosaures attendent et espèrent en rêvant.

Créée

le 26 sept. 2013

Modifiée

le 27 sept. 2013

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I Reverend

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