Ça doit être un drôle de coin, Lawrence. Dans cette ville du Kansas, les quelques groupes de rock ont pour nom Ghosty, Aspera Ad Astra, The Appleseed Cast, Drakkar Sauna ou Namelessnumberheadman. De cette scène grandie à l'ombre du campus universitaire parvient le quatrième album de cinq barbus installés là pour fuir leur trou perdu du Missouri ? Boonville, 8 500 âmes. La musique campagnarde de Minus Story sonne aussi désolée que ses terres et l'imaginaire du groupe est appelé à la rescousse pour oublier la chape de plomb qui pèse sur l'autochtone. Ainsi Jordan Geiger invente des histoires effrayantes d'êtres fantomatiques incapables de contrôler leur destin, recourant à de monstrueuses paraboles comme cette vision d'un homme avalé et recraché par son bébé qui lui mange sa jeunesse (Little Wet Head).
La claustrophobie de l'album atteint des sommets au début de Waking Up, quand la voix plaintive et fragile de Geiger résonne en écho désespéré à celle, beaucoup plus entraînante, d'Alec Ounsworth de Clap Your Hands Say Yeah. Ce qui nous amène à des Mercury Rev aux bottes crottées. Minus Story joue un folk psychédélique et frêle aux relents pop 60 s, comme si les Zombies ou les Beach Boys avaient trop longtemps résonné dans la caboche hantée de Neil Young. Comme si le désespoir des premiers Low avait trouvé dans les vols planés du post-rock un moyen de garder la tête hors de l'eau. Le tout avec une production lo-fi qu'on a envie d'envoyer en salle de muscu. Pour rigoler, les Minus Story définissent leur son comme un wall of crap (mur de la crotte). Vivement que le lyrisme de leurs insaisissables compositions passe le mur du son.(Inrocks)
J'écoute donc je suis" : voilà ce qu'aurait affirmé René Descartes s'il avait eu l'occasion de télécharger illégalement No Rest For Ghosts sur son iPod dernier cri. Car cet album nous donne foi en l'existence d'une beauté et d'une sincérité véritables, alors que, jour après jour, les preuves du contraire s'accumulent. Un tel disque ne pouvait d'ailleurs atterrir autrement sur nos platines, c'est-à-dire sans buzz ni singles aguicheurs, sans plans médias en guise de béquilles promotionnelles ni commentaires d'illustres parrains jetés comme de la poudre aux yeux. Minus Story se passe de ce genre d'artifices. Sa musique est son seul argument. Ce quatuor originaire du Missouri enregistre là son deuxième album pour l'incontournable structure Jagjaguwar et déjà le quatrième de sa courte existence. Le précédent, The Captain Is Dead, Let The Drum Corpse Dance!, remarquable quoique peu remarqué, étrennait ce qui va devenir sa marque de fabrique : The Wall Of (Crap) Sound. Avec No Rest For Ghosts, le groupe ralentit le rythme pour signer une oeuvre majeure. Dès la lecture des trois premiers titres (I Was Hit, Knocking On Your Heads, Ringing In The Dark), on se dit qu'Andy Byers et ses amis ne sont pas là pour rigoler. Ils préfèrent nous hanter et composent la musique idoine pour parvenir à leurs fins. À savoir une pop brute et décharnée, mise à nu par la voix déchirante de Jordan Geiger. Comme si Mercury Rev avait appris la modestie en engageant l'ouvrier qualifié Steve Albini juste après avoir licencié l'enjôleur Dave Fridmann pour faute grave (Secret Migration). On pense également à The Magnolia Electric Co. lorsque les premiers accords de There's A Light résonnent. Sur Waking Up, on croise furtivement le fantôme apaisé d'Elliott Smith, et l'on se fait une idée assez précise de ce qu'aurait pu nous offrir le songwriter désenchanté s'il avait choisi de jouer une musique aussi désespérée que ses textes. Mais inutile de limiter Minus Story à quelques références tant ces compositions étranges et étonnamment complexes, portées par une section rythmique mouvante et virtuose, surprennent à chaque instant. Aussi surprenantes sont les paroles, absurdes et surréalistes, nous contant notamment l'histoire d'une chasse au nuage avaleur d'âmes ou d'un homme gobé puis régurgité par son propre enfant. Le très surréaliste Robert Desnos, justement, écrivait dans Corps Et Biens (1930) : "J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes...". Les membres de Minus Story ont dû tant imaginer ces chansons qu'ils nous les délivrent comme dans un songe, s'effaçant à leur profit. Chacune d'elles se suffisant à elle-même, s'apparentant à une sensation inédite, un sentiment nouveau, impalpable mais tellement intense. On se fiche alors presque de savoir qui sont ces musiciens, tant ils ne semblent être que les vecteurs géniaux d'une créativité qui les dépasse. Les trois perles alignées en fin de parcours (Will I Be Fighting, To The Ones You Haunted et In Our Hands) en sont les exemples flagrants. La première vous désarme par une progression à la fois brillante et troublante et sublimée par une trompette spectrale, la puissance et l'éclat mélodique de la seconde vous fait vaciller tandis que le final élégiaque de la dernière assène un coup de grâce qui n'aura jamais aussi bien porté son nom. Une grâce qui ne quitte jamais l'album, chaque note distillant cette même mélancolie, cette même tristesse sereine et assumée que l'on a pu éprouver à l'écoute de The Sophtware Slump de Grandaddy. Là où Jason Lytle a ému avec le magistral So You'll Aim Toward The Sky, Jordan Geiger en fait de même lorsqu'il scande "And all we're innocents/We're ringing in the dark again", comme s'il s'agissait du dernier souffle capable d'attiser les braises d'une vie partie en fumée. Aussi fragile que bouleversante, cette (Minus ?) Story s'écrit donc en lettres d'or et l'on sait d'ores et déjà qu'il sera difficile de surpasser ce coup de maître. Mais pourquoi ne pas leur faire confiance, pourquoi ne pas les accompagner dans l'écriture des pages à venir, sur lesquelles couleront encore beaucoup de larmes. Les fantômes ne sont-ils pas éternels ? Écoutez et vous serez, écoutez et vous saurez.(Magic)
Les touches du piano s'enfoncent toutes seules. Le souffle des voix, plus tard, fait son apparition. La guitare électrique donne de l'opacité à l'air. Et Minus Story prend possession des lieux en quelques mesures. Vous ferez bientôt partie de ces lieux. Il y a des disques à la tentation desquels il n'est pas difficile de céder. Ici, c'est différent. On tâte timidement d'abord, on résiste peut-être un peu, on titube ensuite ; on s'engloutit. Et on se laisse tout à fait hanter. Tranquillement anéanti par une trouble et gracieuse torpeur. Difficile de déterminer de quoi se nourrit le charme de Minus Story. De nos âmes sans doute. De celles de ses musiciens plus certainement encore. Entre l'électricité presque systématiquement saturée de la guitare, qui parvient pourtant à s'ériger en modèle de légèreté, la rythmique toujours à la limite de la sophistication, frappante de limpidité néanmoins, et bien sûr les voix qui s'envolent parfois si haut qu'on craint de ne pas avoir les oreilles assez bien faites pour aller les chercher, l'atmosphère se construit d'une sombre mais diaphane élégance. Flottante mais sépulcrale, la musique a cette noirceur éthérée qu'on n'a que rarement rencontrée auparavant, mais dont avait peut-être déjà aperçu des émanations au détour de l'hypnotique "Dead Man" (le film et sa bande-originale). Même tension nocturne ici, même clairière d'obscurité. Et plus que jamais, les perles savent briller dans le noir : "Knocking on Your Head", lentement hachée par la guitare électrique, donne le ton de l'album, dans sa singularité déséquilibrée, "Hold On", escale acoustique rythmée à l'orgue, est la digne descendante de "Knocking on Heaven's Door", "Little Wet Head" nous fait un moment croire à une escapade hors du côté obscur, tout en dévoilant une nouvelle fois ce qu'une belle voix peut avoir de poignant. Quant au final de l'album (les deux derniers titres fort emblématiques), s'il est particulièrement crépusculaire, ce n'est pas le désenchantement qui l'habite, mais une splendeur magique propre aux spectres. Car la musique de Minus Story ne mêle pas le désespoir à la grisaille bleutée de ses compositions. Les grands cimetières sous la lune leur ont certainement servi de cadre, mais l'astre de la nuit a aussi sa lumière. C'est ce qui transpire de chacun de ces morceaux, empreints d'une vision fantasmagorique de l'(in)existence autant que d'une véritable mélancolie. Et quand le disque touche à sa fin, c'est un tout un pan de réalité qui s'écroule, celle que, sans répit, ont instaurée ces revenants improbables... Il y a pourtant bien de quoi ne pas en revenir. (Popnews)
Les américains de Minus Story ont déjà à leur actif trois albums et un EP depuis 2001 mais restent très confidentiels même en Europe. Il faut dire qu’ils définissent leur son comme un "wall of crap". Pas très vendeur donc… En fait, leur musique évoquerait plutôt des groupes comme The Notwist, Travis (période "The Man Who") ou encore Clinic même si c'est surtout l’ombre du grand Neil Young qui plane tout au long de leur nouvel opus. Placée en ouverture, I Was Hit, n’est pas forcément la meilleure composition du lot mais résume assez bien à elle seule la tonalité générale du disque : une voix haut perchée souvent soutenue par des chœurs bien pensés, des claviers éthérés, des guitares électriques tout en finesse et une batterie au son assez électro. Dès le deuxième titre, l’entêtant Knockin On Your Head, on comprend que le quintet emmené par Jordan Geiger joue maintenant dans la cour des grands (Grandaddy, Mercury Rev, …). La suite ne fait que confirmer cette excellente impression : les ballades Hold On et Will I Be Fighting? ou les obsédantes To The Ones You Haunted et In Our Hands sont autant de merveilles d’intelligence et de finesse aux mélodies imparables.
Oublié de tous les palmarès de l'an dernier, "No Rest For Ghosts" est pour pourtant un des grands disques de 2005 mais requiert et mérite écoutes et réécoutes. Minus Story, une histoire dont on reparlera…(indiepoprock)