Je suis qu'un fauve parmi les hommes

On aura raison d’en vouloir à Booba, raison de dire qu’il éloigne le rap français se son statut politique, raison de critiquer son style. Booba est lourd, son égo écrasant fait l’essentiel de ses textes et permet à lui seul de définir le personnage. Mais pourtant, il n’y a chez lui aucune réelle nouveauté, bien des rappeurs se sont peint des images similaires. Les idoles du rap US par exemple se ventent d’être de gros connards rois de leur quartier, de Dr. Dre à Kanye West, on distribue les punchlines d’ego trip à la pelle. Alors pourquoi proscrire aux rappeurs français ce qu’on aime et ce qu’on demande aux rappeurs américains. Bein tout simplement parce qu’on ne comprend pas toutes les lyrics des rappeurs US, si vous vous attardiez quelques minutes sur les paroles de Dre vous comprendriez qu’il se prend pour un putain de Dieu, pour le mec indispensable de L.A, dont le style inimitable écrase tout le rap game. Ce n’est pas totalement faux, mais la question n’est pas là. En vérité il faut savoir prendre du recul en écoutant Booba, parce qu’il a du talent le petit.


D’abord il sait écrire. Oui oui j’ose ! Il a un style d’écriture fouillé, dans une certaine mesure. Une mesure qui s’arrête dans le fond, mais qui dans la forme trouve tout son intérêt. Des enchaînements de punchlines qui reposent pour la plupart sur des métaphores et des images, rendant chaque rime particulière et donnant l’impression que le texte entier fourmille de références qui lui sont propres. Son écriture est brute. Ce que disent ses textes, concrètement, on s’en tape puisqu’on y trouve de la musicalité. Mais en effet, il suffit de s’y pencher un peu pour dévoiler le vide de son écriture. Egotrip, egotrip à n’en plus finir. Un exemple.


3ème couplet du Duc de Boulogne :


Ok, Ok, fumer mes confrères, je n'ai que ça à faire
Les humilier, balayer, ravager, tabasser, voyager en classe affaire
Toute l'équipe à Sarko, j'la verrai bien tapiner
Au micro, j'suis un des négros les plus raffinés
J'fais du son à la Kurt Cobain, son à fond dans la Merco-Benz
Pour toi c'est fini demande à Yékini, j'te, j'te, j'te baise
Les clochards vendent des copies de mon nouvel opus
Prennent le bus pour aller sucer, au marché aux puces
C'est pour les enfants terribles qui ne font aucun effort
Au parcours comme une queue de négro : longue et pénible
Que le prochain fils de lâche qui veut me clash vienne me le dire en face
B.2O.B-Arme, drogue et cash, personne ne le remplace


Des punchlines bien trouvées, qui font sourire : « au micro j’suis un des négros les plus raffinés », ironie parfaite, ni plus, ni moins. « Au parcours comme une queue de négro : longue est pénible. ». Comparer son parcours à une queue de noir (en pleine sodomie visiblement, puisque longue est pénible) c’est drôle. « Les clochards vendent des copies de mon nouvel opus/ Prennent le bus pour aller sucer, au marché aux puces » C’est ici une assonance légère crachant volontairement sur les banlieusards des marchés au puces de Boulogne Billancourt. Et chez Booba ce n’est que ça. Jamais rien d’autre que ce genre d’image mais dans le fond ce qui est dit c’est que personne ne lui arrive à la cheville, que tous les autres rappeurs font le tapin, et que lui, et bein c’est le mac.


L’autre souci qu’on trouve dans son écriture c’est l’absence de ligne directrice. Booba ne raconte jamais d’histoire, ses phrases sont courtes et interchangeables entre les chansons, le thème ne varie quasiment jamais et quand il varie, Booba trouve toujours le moyen d’incruster des punchlines passe-partout( c’est le cas dans le titre Je me Souviens). Alors oui, on ne l’écoutera pas pour sa capacité de conteur, ni pour celle de rendre noble la langue française. Car Booba est vulgaire,misogyne , prétentieux et vénal.


En ce qui concerne la production de l’album, il s’agit d’un point fort. Les intrus sans être des chefs d’œuvres musicaux sont correctes et agréablement arrangées. Booba y dépose sa voix rocailleuse et pesante en toute liberté. Son flow est également très bon, aux cadences variées, souvent bien lent comme pour insister sur la lourdeur de ses rimes, et parce que c’est son style tout simplement. Malheureusement si on apprécie le style de Booba, on ne peut pas rien reprocher à l’album, car il n’est pas exempt de défauts. Les featurings font appelle à des MCs bien moins impressionnants. Kennedy est à chier. Mac Tyer n’a rien pour lui, ni voix, ni flow. Intouchable ne sait vraiment pas écrire. C’est malheureux de le dire mais les featurings inégaux sont la preuve que Booba, même s’il est détestable, a quelque chose de plus que les autres rappeurs.


Vous l’aurez compris, tous les gens qui écoutent du Booba savent qu’il est con, savent qu’il est incroyablement prétentieux et c’est ce qu’ils apprécient dans le personnage, parfois au premier degré, parfois au second. C’est mon cas. Je déteste le mec, mais j’accroche à son style, et c’est pour moi comme un péché mignon, un artiste dont je sais les défauts, mais qui pour moi n’en sont pas vraiment. La preuve, c’est que ses vrais défauts vont se faire ressentir plus tard, avec les albums qui suivront. Dans 0,9 et Lunatic (l’album) Booba perdra de sa richesse textuelle. Ses punchlines se simplifieront tellement qu’elles n’en seront même plus drôles. Il deviendra en quelque sorte une parodie de lui-même, loin de ses trois premiers albums. Car à vouloir définir et redéfinir sans cesse le même personnage on tourne en rond et on ne finit par ne plus rien dire, par perdre de sa verve et de sa crédibilité (même si je n’ai jamais cru à ce qu’il racontait).

-Alive-
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le 17 juin 2013

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