Le collectif animalier le plus connu de la sphère pop revient ce mois-ci avec un dixième album studio composé par un groupe restreint à l'état de trio – Avey Tare, Panda Bear et Geologist - et enregistré dans les studios californiens mythiques qui ont vu naître « Pet Sounds » et avorter « Smile », les deux classiques des Beach Boys. « Painting With » donc, album de pop surréaliste s'il en est, renouvelle parfaitement la formule du collectif tout en faisant apparaître l'ébauche de quelques réserves.


La gestation et le dévoilement progressif de ce nouveau disque furent longs et un peu chaotiques, comme presque toujours avec Animal Collective. De cet album, on a vite su via de nombreuses interviews en amont qu'il serait nerveux et concis, qu'il présenterait des collaborations prestigieuses (John Cale, Colin Stetson), et que Deacon n'était pas de la partie. Puis la toile s'affole le 25 novembre, lorsque l'aéroport de Baltimore se met à diffuser en boucle ce nouvel album. Aucun leak ne filtre, on se doute qu'un aéroport est difficilement l'endroit rêvé pour écouter à loisir un disque d'Animal Collective, encore moins pour enregistrer un bootleg. Suivent un premier single et son clip, le fabuleux et vertigineux « FloriDada », au surréalisme évident, mâtiné de psychédélisme et de sous-entendus sexuels à peine dissimulés. Puis ce fut le tour de « Lying on the Grass », la chanson avec Colin Stetson, et enfin ces jours-ci parurent « Golden Gal » et son clip, sur lesquels nous reviendrons.


Parler de changement d'orientation musicale serait tout à la fois un euphémisme et une légère erreur d'approche. Certes, les compositions sur « Painting With » illustrent toutes un départ assez franc du groupe des structures éclatées et des pop songs qui virent à la jam psychédélique et électronique auxquels nous ont habitués les trois derniers albums en date. Ici, le titre le plus long dure 4 minutes 42 et constitue la piste peut-être la plus linéaire de tout l'album. « Golden Gal », puisque c'est de ce morceau qu'il s'agit, est une ritournelle pop assez imparable où tout le savoir-faire du groupe est représenté, mais dont la cadence mélodique rappelle fortement celle des couplets de « Applesauce », le single le plus marquant de « Centipede Hz ». Le clip, quant à lui, est un peu décevant avec sa boucle animée dont les couleurs seules changent et qui lasse rapidement après nous avoir fasciné deux minutes. Néanmoins la chanson reste très efficace et reste remarquablement en tête. « FloriDada » est un morceau de choix pour ouvrir le disque sur les chapeaux de roue, et difficile de faire plus accrocheur que son refrain entêtant. « Lying on the Grass » enfin, déroute un peu plus, mais avec les écoutes on s'attache aux détails, comme ces sons presque liquides qui parsèment les bruitages divers (même les rythmiques font « mouillées »), ou encore les flûtes et divers samples de saxophone de Colin Stetson, un choix remarquable pour rehausser le tout.


La clé d'appréciation du disque réside en fait dans cet art du détail. Puisque le groupe ne nous gratifie plus de ces longues plages instrumentales (qu'ils appellent « drone » en interview) où les compositions partent en montée ou en crescendo, mais resserre au contraire son écriture sur un format beaucoup plus court et archétypique d'une certaine pop classique, il faut avoir les oreilles aux aguets et savoir saisir l'immense richesse instrumentale déployée par chaque morceau, qui s'ouvre immédiatement comme un mille-feuilles sonore sans cesse renouvelé. Cette pop hybride et savamment électronique est très difficile à décrire avec des mots, et le recours du groupe à la métaphore picturale est précieux. « Painting With » est effectivement une peinture musicale, une expression sonore « peinte avec » des notes. Un album cubiste, résolument surréaliste et qui ne cesse de révéler de nouveaux éléments. Sur « Hocus Pocus », le morceau auquel participe John Cale, le refrain en stéréo se dérobe un temps à l'oreille peu attentive, puis devient au contraire un véritable point d'ancrage. Les couches de synthés et de bidouillages sonores (bruitages électroniques divers, sons passés à l'envers, filtres...) dont fourmillent toutes les pistes ne se découvrent que petit à petit, en réécoutant plusieurs fois le disque, et dans des conditions diverses, comme s'ils participaient chacun d'une « impression » différente, à même de se révéler différemment suivant l'angle d'écoute.


Par ailleurs, le rythme global est le plus soutenu auquel nous ait jamais soumis Animal Collective, avec une quasi-absence de temps morts ou de pause remarquable, le premier morceau (à part « Lying on the Grass ») à vraiment ralentir le tempo étant « Golden Gal » à quelques encablures de la fin du disque. Paradoxalement, ce sont les morceaux les plus courts et les plus criards qui offrent le moins de longévité, à l'instar du tourbillonnant « The Burglars » et de « Natural Selection », brève paire centrale qui constitue finalement le ventre mou d'un disque qui sait automatiquement rebondir. « Bagels in Kiev » et son texte farfelu - « Bagels for everyone, that's the kind of thing you would've wanted » - s'ouvre sur une basse mimétique du « Halleluwah » de Can, et bifurque immédiatement vers un titre de pop légère et onirique où certains claviers sont effectivement réminiscents du krautrock électronique des années 70, plus Kraftwerk que Can par ailleurs. L'autre grand moment d'absurde du disque est également son titre le plus convaincant et celui qui offre sans doute la plus solide longévité musicale : « Vertical » et son texte obsédant, marqué par un mystérieux refrain « My feet can't cross the parking lot / the parking lot is way too hot », prétextes à une envolée lyrique métaphysique et sensuelle pas si loin d'une version urbaine du « Correspondances » de Baudelaire. Le dernier tiers du disque frise la perfection, chaque chanson apportant juste ce qu'il manquait à ce prisme musical pour en enrichir la complétion. Les voix étirées et le drone entraînant de la bien nommée « On Delay », la dance faussement bourrine de « Spilling Guts » qui vous fera obligatoirement dodeliner bêtement au rythme de son synthé staccato, ou encore l'étrange « Recycling », qui referme l'album sur une interrogation de plus : que recycle-t-on exactement dans ce fatras sonore qui sonne presque comme si tout le morceau était en fait passé à l'envers ? Le groupe nous fait-il le coup de Queen sur « Jazz » qui rejouait en accéléré des morceaux choisis de tout l'album ou bien fait-il simplement semblant ? Sur ce titre, le hachage caractéristique des syllabes, fussent-elles chantées en harmonie ou en polyphonie, atteint un paroxysme d'abstraction qui force le respect.


Ce chant pourtant distinctif du groupe et nettement imputable à Panda Bear, qui domine tout l'album, en est pourtant la majeure limite. En effet, avec « Painting With », un album formidablement riche et complexe malgré la courte durée de ses morceaux, Animal Collective n'a jamais autant sonné comme un album solo de son membre Panda Bear, en particulier le dernier en date « Panda Bear Meets The Grim Reaper », dont la chanson « Boys Latin » sonne comme une matrice des dix chansons à venir de « Painting With ». L'âpreté de l'apport d'Avey Tare notamment s'est un peu perdue en route, mais ce dixième album reste une très agréable surprise pour l'auditeur attentif. Il faut accepter de se perdre et de se perdre à nouveau dans ces dix labyrinthes miniatures, dans ces capsules musicales qui composent ce petit disque-monde qu'est « Painting With ».


Initialement publié sur indiemusic.fr

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le 19 févr. 2016

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