Lâcheté et mensonges
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Si nous sommes formidablement heureux, bien entendu, de la vitalité de la jeune scène Rock française, surfant sur la vague mondiale psychédélique ou redécouvrant les joies de la cold wave millésimée 80 (pardon, du post-punk), il y a toujours un moment où l’on en arrive à regretter qu’il n’y ait pas plus de prise de risque, plus d’originalité, voire plus de vraie radicalité dans la musique qui nous occupe… Et puis, on se remémore l’existence de Guillaume Marietta, au détour d’un set particulièrement réussi organisé par le Supersonic en ces temps de disette. Marietta, déjà un “vieux de la vieille”, qu’on connaît surtout grâce à son groupe, The Feeling of Love, ou pour ceux d’entre nous qui ont des racines dans l’Est de la France du fait de sa participation à la Grande Triple Alliance de l’Est, mouvement radical datant quand même déjà d’il y a presque 20 ans…
Mais Marietta est tout sauf un « pilier », car il reste avant tout un défricheur : il suffit d’écouter son dernier album, "Prazepam St"., pour réaliser combien l’inconfort de sa musique est formidablement fécond… Il y a d’abord ces textes, à la fois malins et touchants, ses : « Nous sommes des possédés, au regard aluminium / Synapses menthol et synapses molles / Aluminium » ("Aluminium") ou « L’éther le plus pur est tatoué dans ma tête » ("Ether Ok")… qui nous confirment rapidement qu’on n’a pas affaire à n’importe qui, mais à un véritable « artiste » (pardon, Guillaume, on ne sait pas si tu aimes ce terme, mais il nous semble évident…). Il y a ensuite cet étonnant assemblage musical, entre shoegaze anglais, électronique expérimentale et dérapages psychés. Il y a des mélodies formidables derrière la plupart de ces chansons ("Aluminium", "Ether OK", "Prazepam Street"…), qui pourraient aisément, on le sent, devenir des bonbons pop, mais qui sont systématiquement déconstruites, parfois recouvertes / effacées par une atmosphère brumeuse, abstraite. Il y a surtout ce chant magnifique, véritablement « rock », on veut dire dans la belle tradition des vraies rock stars british narquoises, arrogantes un peu : oui, il y a chez Guillaume ce que l’on qualifierait par facilité une « rock attitude » naturelle, une élégance qu’on aurait tendance à lui envier.
"Prazepam St." – joli titre chimique – n’est pas un album facile, et il faudra plusieurs écoutes pour d’abord le comprendre, ensuite pour l’apprivoiser, enfin pour l’aimer : sur "Dmpa", par exemple, Marietta fait le choix audacieux de privilégier ruptures et… chaos, plutôt que la mélodie, et prouve que son romantisme naturel (?) est soluble dans les essences toxiques. A l’inverse, les amoureux d’une musique à la fois mentale, intimiste et bruitiste retrouveront leurs marques sur le puissant "Hey Void". Et tout le monde se réjouira de l’étonnante – et impérieuse – lecture des préceptes, très américains, très « premiers de cordée », d’un Michael Jordan glorifiant le succès individuel et le triomphe de la volonté (brrrr !!!), sur "The Jordan Rules"…
"Prazepam St." se clôt sur "Cablé au Plastique", grand titre shoegaze que l’on s’attend à voir décoller dans un maelstrom de guitare électrique, et que Marietta préfère, une fois encore, effacer derrière une brume électronique des plus inquiétantes qui nous ramène, en boucle, là où tout a commencé. Et nous fait dire que, s’il nous reste quand même une petite frustration en terminant cet album, c’est bien qu’on n’a pas assez entendu la guitare inspirée de Guillaume : pour ça, pour compenser ce manque, il faudra aller le voir sur scène, là où sa guitare brille de mille feux.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette chronique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/09/16/prazepam-st-marietta-nous-invite-a-un-beau-voyage-pop-et-brumeux-et-parfois-inquietant/
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Créée
le 16 sept. 2020
Critique lue 120 fois
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