For they knew someday the sun would die

Quand vous dites « Quicksilver Messenger Service », la plupart des gens vous répondront « ah oui, les Californiens de Happy Trails, le groupe de John Cipollina, de l'acid rock qui fait planer, cool ». Bon, en fait, la plupart des gens vous répondront « hein, quoi, le lapin Nesquick a fait quoi ? », mais imaginons que la plupart des gens soient plus cultivés qu'ils le sont vraiment, ne serait-ce que pour garder un minimum de foi en l'espèce humaine.


Bref.


Donc, la plupart des gens ne connaissent de QMS que leurs prestations fillmoréennes de la fin 1968, et c'est tout de même un peu dommage, parce que quoi que l'on pense de ce disque (moi, je ne l'aime pas beaucoup, mais c'est juste moi), le groupe a sorti une poignée d'albums après qui sont loin d'être dégueulasses. Shady Grove (1969) perd Cipollina, mais gagne Nicky Hopkins, un échange loin d'être désastreux puisqu'il nous a offert la fabuleuse Edward the Mad Shirt Grinder – personnellement, j'échange volontiers ces dix minutes de virtuosité hopkinsienne contre tout Happy Trails. Just for Love et What About Me, tous deux enregistrés à Hawaï en 1970, marquent le retour de John Cipollina et surtout de Dino Valente, l'un des fondateurs du groupe, après un long séjour en taule, un album solo et d'autres histoires personnelles. Et paradoxalement, c'est avec ce Dino aux innombrables pseudonymes arrêté pour possession de drogue que QMS va prendre un virage résolument mainstream : les chansons se font plus structurées, plus accessibles, avec des cuivres très proéminents sur le second. Le pire, c'est que ça marche : le groupe se maintient dans le Top 30 US, et se paie le luxe d'un mini-hit avec Fresh Air.


Les choses semblent bien aller pour la poste mercuriale, mais dans les coulisses, l'orage gronde. La domination valentine ne fait pas que des heureux : mécontents d'en être réduits à jouer les faire-valoir, Cipollina, Hopkins et David Freiberg finissent par claquer la porte. Deux anonymes, Mark Naftalin et Mark Ryan, viennent remplacer Hopkins et Freiberg, mais c'en est fini du duo de guitares Duncan-Cipollina, et c'en est fini des claviers de Nicky (bon, d'accord, Naftalin avait joué avec le Paul Butterfield Blues Band, mais soyez honnêtes, vous aviez déjà entendu parler de ce mec ?). Beaucoup de groupes ne se seraient jamais relevés d'un tel coup, mais pas QMS. Eux, ils ont préféré sortir le meilleur album de leur carrière.


Impossible ? Avec son titre tout simple, le Quicksilver de 1971 veut peut-être marquer un nouveau départ. La dynamique d'ensemble reste pourtant la même : sur les neuf chansons, sept sont composées par Valenti et deux par le guitariste Gary Duncan. Le son s'inscrit dans la lignée des précédents disques, mêlant rock, folk, country et une toute petite lichette de psychédélisme, juste assez pour rendre les choses intéressantes mais pas au point que ça devienne imbuvable. Mais c'est le premier et peut-être le seul album du groupe où il n'y a rien à jeter : chaque chanson a quelque chose à offrir, une mélodie mémorable (I Found Love), des paroles futées (it can drive you crazy when somebody calls you insane!) ou juste de l'énergie à revendre (Hope, Rebel), une partie de guitare qui botte des culs (la bien nommée Play My Guitar), une ligne de piano qui vous tire des larmes (l'adorable ballade Don't Cry My Lady Love) ou une atmosphère minimaliste à couper au couteau (l'étrange et embrumée Fire Brothers, sans doute la moins représentative du lot mais ma favorite). Un disque brillant du début à la fin.


Et bien entendu, un disque brillant du début à la fin, c'est un bide commercial qui n'entre pas dans le Top 100, c'est complètement oublié sitôt sorti, et un demi-siècle plus tard, c'est complètement éclipsé par un album de jams à la con. Qu'est-ce que je disais au début à propos de la foi en l'espèce humaine ?

Tídwald
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le 31 août 2015

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