Le fantastique voyage pop de The Divine Comedy

À l'heure du triomphe du rap mononeuroné, de l'electro cacophonique et de l'hyperpop hyper-cheap, avouons-le : on est tellement heureux que Neil Hannon existe. Ce petit bonhomme blondinet, qui s'apprête à fêter ses 55 automnes en novembre prochain, promène depuis bientôt trente ans son élégance de dandy so british, ses références un brin anachroniques et sa pop orchestrale majestueuse, au fil d'une impeccable carrière à la tête d'un faux groupe — The Divine Comedy — dont il est le seul démiurge.

Mi-septembre, le Nord-Irlandais a sorti son treizième album, Rainy Sunday Afternoon. Un petit miracle musical, qui condense en onze titres tout ce qui fait le génie quelque peu mésestimé d'Hannon, artiste aux multiples facettes : crooner à la Scott Walker, compositeur incorporant avec un goût sûr les instruments de la musique de chambre à la pop d'outre-Manche, parolier pince-sans-rire, parsemant ses chansons de références littéraires et de wit, cette notion typiquement britannique qui mêle humour, esprit et intelligence vive. Une formule qui a pu varier au fil des disques — entre l'intimiste Promenade, le très pop Casanova et l'ambitieux Office Politics, les différences sont notables —, mais dont les ingrédients ne varient pas, pour le plus grand bonheur du public britannique mais aussi français, où The Divine Comedy a connu un franc succès dès les années 1990. « Le très grand intérêt de ne pas être à la mode, c’est qu’on n'a pas peur de ne plus l’être en se réveillant un matin ! », souriait le quinquagénaire lors de sa rencontre avec Marianne dans un hôtel parisien, en juin dernier.

Pour accoucher de Rainy Sunday Afternoon, l'artiste a pu profiter des conditions exceptionnelles offertes par le mythique Studio 3 d'Abbey Road, où s'illustrèrent les Beatles, Pink Floyd, et de nombreux ensembles de musique classique. Un luxe permis par le grand succès de la bande originale du film Wonka, adapté de l'univers du roman Charlie et la Chocolaterie, que le réalisateur Paul King a confié à Hannon. « Si j’avais envie de me payer cinq voitures de sport et une grande maison à la mer, je pourrais faire les choses à l’économie, par exemple en optant pour des instruments virtuels sur ordinateur, sourit ce dernier. *Mais ça n’est pas dans ma nature, ça ne me correspondrait pas : pour moi, les albums de Divine Comedy doivent avoir un son magnifique, et donc, il faut y mettre le prix. *» En ressort un disque très acoustique, à la production remarquable, où chaque instrument — guitare, piano, cordes, cuivres — se détache avec clarté.

Les compositions se hissent au niveau des meilleurs crus de The Divine Comedy. Le fil conducteur de l'album est mélancolique : Hannon traverse une sorte de la crise de la cinquantaine, prenant conscience qu'il s'approche doucement de la fin, et a vécu le douloureux décès de son père, des suites de la maladie d'Alzheimer. Il en tire des chansons sublimes : Achilles, ballade inspirée par un poème de Patrick Shaw-Stewart, tué sur le front de la Première Guerre mondiale, ou The Last Time I Saw the Old Man, poignant morceau aux accents jazzys qui évoque avec des mots simples les dernières conversations de l'artiste avec son père. À noter, dans le même registre, The Heart Is A Lonely Hunter, époustouflante élégie douce-amère sur les affres de l'amour.

D'autres titres sont plus légers, mais pas moins beaux, comme Mar-a-Lago by the Sea, un titre à l'atmosphère de piano-bar d'un palace 5 étoiles où Neil Hannon, acide, se grime en un Donald Trump incarcéré qui se remémore avec mélancolie l'âge d'or de sa propriété floridienne. Citons encore Invisible Thread, chanté en duo avec la fille de l'artiste et consacré au lien indestructible reliant les membres d'une même famille, ou encore All The Pretty Lights, émouvante petite perle qui raconte le premier voyage à Londres d'un Hannon encore enfant. Avec Rainy Sunday Afternoon, The Divine Comedy réussit l'exploit de capturer en musique ce sentiment si singulier qu'est la nostalgie : une mélancolie qui n'est pas un simple conservatisme, un regret des temps révolus tempéré par de doux souvenirs qui réchauffent le cœur.

Hadrien_Mathoux
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le 3 oct. 2025

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