Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.

Raum
7.1
Raum

Album de Tangerine Dream (2022)

Le rêve fonctionne encore...

Samedi 18 octobre 2025, votre serviteur attend patiemment avec 30mn d’avance dans la nuit qui commence à tomber et la fraîcheur se lever dans une queue un peu trop étendue dans la verdure qui entoure le Trabendo, au Nord de Paris. A l’affiche de cette salle modeste qui n’a d’ailleurs jamais de siège pour s’assoir hélas (sic), Tangerine Dream. Les billets ont été pris même pas deux semaines avant le concert, ajoutant une possible inquiétude qui s’ajoute aux précédentes.


Car oui les amis, même si je me déclare fan du groupe, j’avais un peu délaissé la machine depuis le départ vers l’autre monde de son fondateur principal, Edgar Froese en 2015. Bien sûr je savais que 10 ans auparavant, sous le label Eastgate, Froese avait pris comme membre à part entière, Thorsten Quaeschning et que le groupe avait d’ailleurs encore fort belle allure (les cinq disques faisant partie des « 5 saisons atomiques » retraçant toute l’année 1945 à Hiroshima ainsi que Nagasaki et sortis de 2007 à 2010 étaient de mon point de vue, une très belle réussite (*)). Je savais que c’était donc Thorsten qui avait repris les rênes de la créature initialement crée par Froese, Francke et Baumann (**) et avec d’autres nouveaux membres, mené assez adroitement la barque en posant le groupe à la croisée des chemins entre un héritage énorme et de nouvelles compositions futures.


Avec un peu de retard, on commence à rentrer. Il n’y aura pas de première partie donc après l’ouverture des portes on a près d’une heure à tuer. Et tandis que beaucoup se ruent vers les petites buvettes en extérieur (le Trabendo dispose d’une petite cour) et intérieur pour se gorger de bière, je vais faire la queue pour profiter un peu du marchandising. Pensez donc, des t-shirts Tangerine Dream et le dernier album en date (celui dont vous lisez cette chronique, oui, oui) que j’avais un peu beaucoup poncé au moment de sa sortie mais sur les canaux de diffusion en ligne essentiellement. Sur l’écran près de la place du concert, on diffuse une vidéo de pluie qui tombe incessamment sur la mer et les navires de pêche, de quoi se préparer un peu à l’ambiance du disque qui va être joué en première partie sur scène pour ses 50 ans, le mythique « Phaedra ».


Je crois d’ailleurs que j’ai recommencé à m’intéresser sérieusement au Rêve Mandarin quand j’ai appris que le musicien Ulrich Schnauss en fit partie pendant une courte période de 2014 à 2020. Qui est Schnauss ? Juste un compatriote allemand extrêmement doué pour qui s’intéresse à la musique électronique actuelle. Passionné de Shoegaze (également un genre que j’adore même si là on est en dehors de la musique électronique et plus dans le rock et notez bien que c’est là que ça devient intéressant), le bonhomme a fait en sorte de commencer à dévier vers ce genre avec ses machines, quitte à finalement quelque part recruter d’autres musiciens pour créer un groupe. Sur son premier album, l’excellent « Far Away Trains Passing By » (2001) qui mériterait de figurer dans une liste genre « les 100 meilleurs disques de musique électronique », ça ne s’entend pas. Tout au plus un sample qui fait penser légèrement à un bruit d’avion à un moment (quand on pense que My Bloody Valentine en 2013 pour son retour nous fait un morceau où l’on a l’impression d’entendre une turbine de réacteur au décollage, quelque part ça boucle la boucle…(***)). Sur le second disque (« A strangely isolated place » - 2003) avec le recul ça devient flagrant avec les synthés d’Ulrich qui commencent à lisser leur son. Et sur le troisième disque, « Goodbye » en 2007, ça y est, il nous fait du shoegaze, il y a eu basculement. Tout ça pour dire que j’avais écouté un de ses disques récents où il était revenu à l’électronique et ça m’avait paru fade, comme une sous-copie de Tangerine Dream. Un peu comme si la bande à Froese l’avait vidé de sa substance ou que justement ils avaient absorbé également sa créativité pour s’en nourrir…. Ce qui paradoxalement était donc également une bonne chose pour Tangerine Dream en ce qui nous concerne ici.


En première partie de concert donc, une version mise à jour de Phaedra, 50, pardon, 51 ans plus tard, bien plus brute et musclée. Le disque d’ambiant planant de 74 passé à la moulinette d’une musique qui n’hésite pas à lorgner vers la techno un peu hardcore. Les 4 compositions sont à la fois reconnaissables et mélangées dans un gros melting-pot. Forcément ça décoiffe mais étonnamment ça passe bien. Juste avant le concert, un de mes voisins dans la queue plaisantait en disant « S’ils ne jouent pas Stratosfear, mon morceau préféré, je fais un scandale ! » Raté, hihi ! Ils ne le joueront pas mais il y aura d’autres titres du passé, tous aussi cultes (le thème inquiétant de Sorcerer, l’ambiance planante d’un Love in a real train issu lui aussi d’une autre B.O, celle du film Risky Business, un peu de Logos, le thème final de White Eagle….) ainsi que des compositions issues de RAUM.


RAUM donc.

Quand Zeit sort en 1972, il produit une sorte de cassure avec le peu que Tangerine Dream a fait avant et inaugure la période dite « planante » du groupe. « Zeit » en Allemand, ça signifie le Temps, un titre conceptuel pour un double album de nappes sonores obscures de près de 75mn qui préfigurent donc ce qu’on appelle le « Dark Ambiant » avant l’heure (****). Ce qui est intéressant c’est que l’album sort sur le label OHR, enchâssé entre Alpha Centauri (1971) et Atem (1973) qui eux, ont encore un pied entre le Krautrock et les élévations planantes du groupe. Zeit préfigure quelque part les premiers albums à venir de la période Virgin, notamment la mythique trilogie Phaedra / Rubycon / Ricochet… Même si ces derniers seront bien moins dans une tonalité sombre comme ne l’est Zeit.


Raum signifie lui, « Espace » au sens non spatial et global mais plus d’un endroit délimité géographiquement, cela peut-être aussi bien une chambre qu’une place voire une région. Détail intéressant, la couverture de la pochette dont on jurerait voir une nébuleuse alors qu’avec beaucoup de recul on comprend qu’il s’agit de feuillages en contrejour et que l’objectif photographique a tenté de capturer la lumière du soleil (*****), une manière de nous signaler que les larges étendues stellaires ne sont pas si éloignées de nous. Notez bien au passage la typographie du nom du groupe et du titre de l’album qui nous renvoient directement à celle de l’album Rubycon de 1975.


Le concert dura près de 2h30. Merveilleux, enchanteur et néanmoins un peu épuisant vers la fin, il laissa pas mal de spectateurs un peu exsangues, comme votre serviteur. Néanmoins la réserve d’étoiles dans les yeux et le cœur était remplie pour un moment, et le besoin de revenir vers le merveilleux Raum qui se faisait ressentir de plus belle, vu que je ne l’avais plus réécouté depuis sa sortie quelques années avant. Un petit débriefing avec des amis mélomanes (team Culturopoing plus que Sens Critique huhu ^^) et on reprend le chemin du retour… Le casque plein de Tangerine Dream bien sûr.


Et donc Raum pour finir cette longue et étrange double chro’ ?

C’est un album merveilleux et superbe, tant dans la continuité de ce qu’à fait un Tangerine Dream qui n’a pas à rougir de son passé, tant dans les pistes ouvertes qu’il donne pour le futur. A l’image du concert récent, TD semble englober sa propre histoire comme celle d’une bonne partie de la musique électronique, de l’ambiant à la techno en passant par la Berlin School à travers 7 pistes de longueurs variables, de 5 à 19mn.


Le puissamment mélodique Continuum (un des meilleurs morceaux en live au passage) ouvre la marche. Puis, comme une balise lancée dans le grand vide stellaire, l’hypnotique Portico prend le relais. Les 19mn de In 256 Zeichen sont tour à tour mystiques et aventureuses, d’où émerge le violon de Hoshiko Yamane enveloppé de boucles dignes de leurs albums des années 80. Plus axés vers une électronique un peu « pop », You’re always on Time et Along the canal permettent une belle respiration avant les dernières pièces maîtresses. Et puis voilà il y a les 14mn de RAUM qui donnent son titre à l’album, probablement l’une des meilleures compositions du groupe depuis belle lurette avec l’enchanteur Continuum. Une magnifique conclusion qui ne peut qu’augurer du meilleur pour les prochaines productions de Tangerine Dream.


Au final, un excellent concert et un excellent album !


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(*) Il faudra bien que j’évoque un peu d’ailleurs le second disque, « Summer in Nagasaki » (2007) un de ces jours tant il est tout bonnement incroyable.


(**) Qu’il me soit permis de simplifier très vite ici sur les débuts de Tangerine Dream pour ne pas ajouter à une déjà longue chronique. En fait si je veux être exact sur la création de l’entité TD, ce serait plutôt Edgar Froese, Klaus Schulze et Conrad Schnitzler qu’on doit mentionner et ce, dès le premier album, Electronic Meditation sorti en juin 1970 sur le label OHR mais le groupe a un tel changement de membre constant sur la durée (Schulze et Schnitzler s’en vont d’ailleurs direct après le premier disque c’est dire) que je prefère m’en tenir aux formations longues et qui conservent donc une certaine unité tant musicale que personnelle via ses membres des périodes données. Et dieu sait que Tangerine Dream en a connu des périodes et changements de style et de son !


(***) Oh tiens, je vous en fait profiter pour que vous me détestiez ou m’aimiez plus encore par la suite, hihi : https://www.youtube.com/watch?v=pWyRfqfEC2s


(****) Et je ne doute pas que certains en écoutant ZEIT trouvent le temps un peu long encore aujourd’hui huhu.


(*****) Et ce détail en fait surgir un autre dans la mythologie TD. La pochette est signée Bianca Froese-Acquaye d’après une photo originale de Edgar Froese. Bianca, la seconde épouse d’Edgar. Chez les Froese quelque part c’est un peu toujours une histoire de famille : Les premiers albums des années 70, les pochettes étaient réalisées conjointement par Edgar et sa première épouse, Monika si on se rappelle bien.


Nio_Lynes
8
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le 21 nov. 2025

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